Cette
société est égoïste et presque uniquement
tournée vers l'acquisition des biens matériels qui
parait être pour les individus sinon l'unique préoccupation,
du moins la principale et de loin.
Tout
ceci a sa logique propre et pourtant, pour peu que l'on creuse
un peu, des contradictions essentielles apparaissent. Cet égoïsme
joue, à première vue contre la famille. On conçoit
en effet que si un individu veut avoir toute sa production économique
pour lui seul, il refuse la famille. Le ménage sans enfants
est l'association de deux égoïsmes, de deux individus
qui veulent avoir pour eux seuls toute leur production économique
et ne veulent donc pas consacrer une part de celle-ci à
la création d'une famille et à son entretien.
Du
point de vue strictement égoïste, cette conception
apparemment cohérente comporte cependant des lacunes graves
et des contradictions certaines. C'est précisément
ce que nous allons examiner.
II
faut distinguer le présent et le futur, et d'emblée,
une première remarque s'impose. On est toujours obligé,
pour préparer le futur, de leur consacrer une certaine
part d'énergie et de moyens qui sont prélevés
surie présent. C'est une règle absolue qui ne souffre
aucune exception. Dès qu'on trouve qu'il y a des choses
à améliorer dans une situation donnée, on
prépare et on réalise un certain nombre de transformations,
qui ont pour but précisément de réaliser
ces améliorations, et ces améliorations sont la
réalisation du futur. Si on veut tout consacrer au présent
et rien au futur, c'est qu'on estime que le présent est
parfait et qu'il est inutile de l'améliorer ou que l'on
veut rester dans les imperfections et les insuffisances présentes,
ou qu'en lui consacrant tout, ce serait bien.
Vouloir
disposer de tous ces moyens tout de suite, pour en jouir dans
le présent, c'est renoncer à toute amélioration
pour demain. Cette conception est en fait une conception de statu
quo interdisant tout progrès.
Le
tout tout de suite est en somme une conception de non-progrès.
Ce n'est pas une théorie qui prévoit et souhaite
une amélioration de la vie, mais c'est une théorie
qui l'empêche.
Donc,
celui qui veut tout tout de suite, c'est-à-dire disposer
de tous ses moyens tout de suite, veut les avoir à sa disposition
entiers dans le présent, s'interdit une amélioration
pour le futur.
A
côté de la théorie du tout tout de suite,
il y a le tout pour moi, et il y a un lien entre les deux comme
on le verra. Le tout pour moi est une autre théorie de
l'actuelle société. II faut remarquer d'emblée
que la seule notion de société impose l'existence
d'une part pour les autres, et en particulier toutes les structures
de la société exigent une contribution pour elles,
ces structures étant tout l'appareil de la vie collective
(l'État et les services publics, les collectivités
locales ou les grandes couvres collectives, routes, voies ferrées,
etc.). Mais, si l'individu donne quelque chose pour les autres,
il reçoit d'eux quelque chose et il bénéficie
notamment des services publics, voies de communication, etc. II
bénéficie ainsi de l'apport du passé, car
tout ce qui existe est déjà réalisé,
donc est l'oeuvre du passé et ce passé était
le futur pour ceux qui l'on réalisé. Le raisonnement
étant vrai non pas seulement pour un individu, mais pour
tous. II y a donc dans une société une' inévitable
solidarité entre un individu et les autres et entre le
passé et le présent. A remarquer que notre présent
est le futur de ceux qui nous ont précédés.
Le tout tout de suite interdit le progrès futur qui vous
profitera souvent à vous-mêmes, mais profitera aussi
aux autres. Le tout tout de suite est ainsi une forme de tout
pour moi. II accepte l'apport des autres mais ne rend rien en
échange (c'est bien un tout pour moi).
Cette
société qui sacrifie le futur au présent
et qui devrait
C'est
alors que les anomalies du raisonnement apparaissent clairement.
Cette société veut des garanties pour l'avenir,
soitl Lesquelles? des garanties illusoires ou des garanties réelles.
Là, sa logique perd pied. On ne suit plus, car tout se
passe comme si elle ne voulait pour l'avenir que des garanties
totalement illusoires et sans valeur. Pourquoi donc veut-elle
des garanties illusoires et sans valeur? Son ignorance est profonde,
et son égoïsme est mauvais conseiller. Mais, si cet
égoïsme était éclairé, il conduirait
cette société à d'autres conclusions.
Si
l'on admet comme hypothèse de travail la théorie
du tout pour moi, de l'égoïsme absolu, il faut néanmoins
considérer les choses dans la durée, et cette société
de l'égoïsme absolu pense quand même à
la durée, à l'avenir comme on vient de le voir,
et elle recourt pour cela à des prélèvements
sur le présent pour financer les systèmes de retraites
et les diverses assurances qui sont florissantes actuellement,
et qui sont des preuves tangibles de son souci de l'avenir. La
société de l'égoïsme absolu accepte
ainsi un prélèvement sur le présent pour
financer l'avenir des individus égoïstes, à
savoir les retraites et les assurances diverses. On remarquera
que la population active de demain, ce sont les enfants d'aujourd'hui,
et c'est la population active de demain qui paiera vos cotisations
de retraites à vous adultes actifs d'aujourd'hui (les cotisations
sont toujours versées parles plus jeunes pour les plus
vieux (1), et qui d'autre part, par sa production, cautionnera
la valeur de la monnaie. S'il n'y a pas de production, les signes
monétaires perdent toute valeur, c'est l'inflation exponentielle.
Les signes monétaires ne peuvent garder en effet une valeur
que si la production existe pour assurer leur cautionnement. Cette
notion est absolument fondamentale et ne doit pas être ignorée.
Donc même dans le système de retraite par capitalisation
dans lequel c'est votre argent qui paye votre retraite (et non
celle d'un autre plus âgé que vous : retraite
par répartition), la valeur de votre retraite dépend
du travail donc de l'existence des plus jeunes, car seuls les
plus jeunes peuvent par leur travail maintenir la valeur de la
monnaie, donc de votre argent, donc votre retraite.
Cette
société accepte de prélever surie présent,
malgré son égoïsme ou à cause de son
égoïsme, et malgré son désir d'avoir
tout tout de suite. Elle ne veut pas d'enfants, mais elle accepte
cependant pour ne pas prélever sur son présent de
prélever sur son présent pour assurer son futur.
Donc, elle prélève de toute façon sur le
présent et elle l'accepte, et ce prélèvement
s'effectue sous forme d'argent, c'est-à-dire du travail
car il faut du travail pour gagner cet argent.
Là
se place le point central, le point fondamental de la discussion.
Elle ne veut pas d'enfants, car les enfants prélèvent
sur le présent, et demandent du travail, mais elle n'hésite
pas à prélever sur le présent et à
travailler pour ces garanties futures que nous avons vues et le
prélèvement correspond à une somme d'argent
qui elle-même correspond à une quantité de
travail déterminée et qui peut être importante.
Or,
n'ayant pas d'enfants, que valent ces garanties pour le futur.
Elles ne valent rien sans enfants population active de demain
- pour cautionner la valeur de la monnaie par la production de
demain - par la population active : par reproduction. L'argent
mis de côté aujourd'hui est perdu et le travail effectué
pour gagner cet argent est perdu. Ces garanties sont donc illusoires
et sans valeurs. Alors, travail pour travail, prélèvement
pour prélèvement, faut-il un prélèvement
et un travail qui assure l'avenir d'une façon solide, ou
faut-il un prélèvement et un travail qui n'assure
pas du tout l'avenir. La réponse est pour nous évidente.
Expliquons-nous. Au non même de son égoïsme,
cette société ne prend pas le meilleure des deux
voies. Nous nous mettons donc, pour un instant, dans la peau de
cette société égoïste, sans patriotisme,
sans religion véritable ou sans religion morale, sans système
de valeurs, et qui cependant prélève sur son présent
pour assurer son avenir. Pourquoi fait-elle un prélèvement
économique qui ne lui servira à rien, au lieu de
faire un prélèvement qui lui assurera son avenir.
Pourquoi consacre-t-elle une part de son travail à ce qui
ne lui servira à rien, au lieu de consacrer une part de
son travail à ce qui lui assurera un avenir de sécurité.
Comme on l'a dit plus haut, la valeur de la monnaie n'est cautionnée
que par la production, donc par la population active. Si celle-ci
n'est pas renouvelée au bout de 20 ans, elle diminue progressivement
et va disparaître. II n'y aura plus de population active,
donc plus de production et les vieillards survivants seront réduits
à leur seule capacité de travail pour survivre.
Ce sera l'inflation exponentielle, et la valeur de la monnaie
s'effondrera, autrement dit, l'argent mis de côté
perdra complètement sa valeur. Alors pourquoi pour tant
faire que de faire quand même un prélèvement
sur les ressources présentes, et pour tant faire que de
travailler pour payer la valeur de ce prélèvement,
faire ce prélèvement au profit d'un système
qui conduit à l'échec, au lieu de le faire au profit
d'une action qui garantit l'avenir. Pourquoi préfère-t-elle
la solution idiote à la solution intelligente? Là,
nous pensons que cette société a désappris
beaucoup de choses essentielles. Elle a une ignorance extraordinaire
de la notion des relations démographico-économiques.
II y a un phénomène d'abaissement de l'intelligence.
II faut cependant voir les choses d'encore plus prés. II
y a là un phénomène de malfaisance, car les
coupables, ceux qui se trompent et trompent sont épargnés,
et les innocents complètement étrangers aux erreurs
commises, n'ayant aucune part de responsabilité, sont les
victimes principales. Elles reçoivent le châtiment
pour les erreurs des autres. C'est un des phénomènes
les plus curieux de cette affaire et qui prouve l'existence de
liens entre la haine de la vie et l'injustice.
En
somme, cette société égoïste, purement
matérialiste et ne voyant que son intérêt,
ou plus exactement chacun de ses membres ne voyant que son intérêt
personnel, accepte cependant de prélever sur son présent,
une part de moyens destinés à assurer l'avenir.
Elle accepte cependant de faire le travail correspondant à
cette part de moyens pour assurer l'avenir. Donc, le principe
de ce prélèvement est accepté per elle. Ce
n'est donc pas là qu'est la difficulté. Mais, elle
accepte un prélèvement voué à l'échec
et qui ne servira à rien, même du point de vue le
plus égoïste, le plus strictement économique,
le plus strictement matériel, et elle refuse le prélèvement
qui assure, lui, l'avenir de la façon la plus solide, et
la plus solide économiquement parlant inclusivement. Donc,
du point de vue le plus égoïste, le plus strictement
économique, le plus strictement matériel, elle se
trompe. C'est un phénomène d'absurdité caractérisé.
L'humanité n'a rien d'irréparable à craindre,
si elle garda sa valeur intellectuelle, au sens le plus large
du terme. L'intelligence de la science, mais aussi des comportements
moraux valables et des grandes réalités de l'organisation
du monde. Elle a tout à craindre, si elle devient idiote.
On se trouve en face d'un phénomène de stupidité.
Cette société qui pense quand même à
l'avenir, puisqu'elle fait des assurances-vie, des assurances-vieillesse,
choisit délibérément sur le plan démographique,
une solution qui anéantit l'avenir et les retraites et
toutes les précautions prises pour garantir, protéger
et assurer cet avenir. Ceci nous amène à plusieurs
conclusions.
Dans
le mesure où il s'agit d'un phénomène d'absurdité
ou de manque complet d'informations, il est possible d'obtenir
des résultats précisément en expliquant le
problème et en fournissant la formation manquante. C'est
un premier point.
Le
deuxième est qu'il faut faire comprendre que pour tant
faire que de faire un prélèvement sur le présent,
de consacrer un travail pour payer ce prélèvement,
il est plus intelligent de faire un travail et un prélèvement
qui assurent sûrement l'avenir, plutôt que de faire
un travail et un prélèvement, qui sont voués
à une inutilité totale. Ceci est important à
faire comprendre. Il est important à faire comprendre que
la société a besoin égoïstement d'assurer
son avenir d'une façon solide, et que pour l'assurer d'une
façon solide, il lui faut demain une population active,
donc des enfants aujourd'hui.
Enfin,
il y a une troisième conclusion. II faut accepter de payer
pour le futur. Elle l'accepte. Ceci est donc admis. Mais, elle
accepte de payer bêtement, stupidement. II faut qu'elle
accepte de payer intelligemment pour le futur, c'est-à-dire
d'une façon qui assure ce futur avec solidité. II
ne faut plus entendre récriminer contre le coût des
prestations familiales ou contre le colt des études pour
les enfants ou contre le coût de la formation globale de
la jeunesse ou contre le coût de l'investissement démographique.
II faut accepter ce coût, puisqu'on accepte bien de payer
pour des retraites ou pour des assurances, qui seront sans valeur
demain, si précisément l'Investissement démographique
n'est pas assuré. Puisqu'on accepte de payer, acceptons
eu moins de payer pour une sécurité certaine, au
lieu d'accepter de payer pour une illusion pure et simple et pour
des retraites en monnaie de singe. Donc, on est obligé
de constater que mémo la société la plus
bassement égoïste, si elle est au moins éclairée,
peut, pour ces raisons égoïstes elles-mémos,
se donner une politique familiale valable capable d'assurer son
avenir et sa sécurité future. Ceux qui tuent leurs
enfants le font non pas pour leurs intérêts comme
ils le croient, mais contra leurs intérêts.
Nous
soumettons à l'attention du lecteur le tableau suivant
tiré de la Revue Population, numéro spécial
consacré à la population française 1974,
Années
|
Produit
national brut par habitant
(en francs 1972)
|
Rapport
du produit national brut par habitant au montant annuel
de l'A.S.U. et des A.F. en enfant bénéficiaire
(%)
|
1949
1950
1951
1952
1953
1954
1955
1956
1957
1958
1959
1960
1961
1962
1963
1964
1965
1966
1967
1968
1969
1970
1971
1972
|
6 690
7 120
7 560
7 900
8 150
8 470
8 890
9 370
9 880
10 020
10 270
10 870
11 390
12 010
12 640
13 300
13 750
14 590
15 210
15 840
17 100
18 090
18 740
|
19,3
17,2
17,3
17,6
16,4
16,4
16,1
15,1
13,9
13,0
12,3
12,0
11,4
11,1
10,8
10,1
10,1
9,7
9,3
9,0
8,1
7,6
7,2
6,7
|
p. 300, qui montre que le revenu brut par habitant a en France
presque triplé de 1949 (6 690 NF) à 1972 (1 à
740 NF) et que parallèlement la part du revenu consacré
à l'enfant est passée dans la mémo période
de 19,3 % (A.S.U. et A.F.) en 1949 à 6,7 % en 1972, soit
à peine plus du tiers, l'ensemble des prestations par enfant
bénéficiaire étant passé de 21,8 %
(1949) à 9% (1972).
En
chiffres absolus, la France ne fait pratiquement pas plus pour
les enfants en 1972 qu'en 1949, quand elle avait trois fois moins
de moyens qu'aujourd'hui.
La
France peut donc faire (effort nécessaire si elle le veut.
Ce serait une preuve d'intelligence.
(1) Ce que vous versez actuellement pendant que
vous êtes actifs sert à payer les retraitas des vieillards
d'aujourd'hui. Et quand vous, actifs d'aujourd'hui serez à
la retraite, ce sont les plus jeunes pue vous qui paieront pour
vous. Qu'il existe des plus jeunes que vous, est donc une nécessité
pour que vous ayez vous une retraite.
Dr
E. Tremblay
© Laissez-les-Vivre
SOS Futures Mères, décembre 1977
|