"LAISSEZ-LES
VIVRE" s'est donné pour tâche de promouvoir le respect de la vie
et de lutter contre l'avortement et a fortiori l'extension
de ses indications, extension qui légaliserait les meurtres pour
convenance personnelle, et en augmenterait le nombre.
"LAISSEZ-LES
VIVRE" lutte donc contre les causes de l'avortement.
Et
parmi celles-ci le malthusianisme apparaît comme une cause de
tout premier ordre. Il faut en effet comprendre que si la presse
monte en épingle quelques cas très particuliers, véritablement
très spéciaux, ou curiosités, dans l'immense majorité des cas
il s'agit purement et simplement d'une volonté malthusienne délibérée,
sans problème social vrai ou insoluble. D'après une étude dont
l'analyse a été publiée par la revue Population, revue
de l'Institut national d'Études démographiques n° 1, 1972,
p. 164 les avortements surviennent dans 62 à 88 %
des cas selon les enquêtes chez des femmes mariées de 20 à 35 ans
dont les ¾ sont des mères de familles, généralement de
deux enfants. Ceci signifie que si le troisième enfant était accepté,
environ la moitié des avortements seraient supprimés. II s'agit
de gens qui gagnent leur vie, sont installés dans la vie, parfois
même très bien, sont en situation régulière et ont tout à fait
les moyens d'avoir ce troisième enfant. Mais ils ne le veulent
pas par malthusianisme.
Ce
fait a une importance énorme et explique pourquoi il est tout
à fait impératif pour le succès même de notre entreprise d'analyser
l'argumentation malthusienne et néo-malthusienne et en particulier
les arguments développés par les néo-malthusiens actuels.
Empressons-nous
de dire que le problème est complexe et que cette analyse exigera
une suite d'articles, le premier de ceux-ci n'étant guère qu'une
introduction à l'étude de la question et n'étant que le premier
d'une série.
Une
deuxième remarque préliminaire s'impose. L'argumentation néo-malthusienne
anglo-saxonne américaine et anglaise est un danger extrême pour
l'Europe de l'Ouest et spécialement pour la France. Et ce danger
est tel qu'il représente une subversion hautement toxique pouvant
atteindre l'existence même de notre ensemble politique et de la
France en particulier et pouvant ruiner au sens précis du terme
tout notre avenir économique, technologique et politique. On comprendra
pourquoi. L'immunisation des esprits vis-à-vis de ces doctrines
suicidaires est une des tâches fondamentales des années à venir.
II s'agit de notre survie et ce mot n'est pas un abus de langage,
mais une réalité stricte pour ceux malheureusement rares qui connaissent
ce problème. Le danger est accru par l'accueil favorable que reçoivent
presque automatiquement ces doctrines, par les appuis financiers
considérables qu'elles trouvent, par l'ignorance à peu près absolue
de ces problèmes qui caractérise notre corps politique et nos
classes dirigeantes. Les hommes politiques français qui connaissent
ces questions sont en nombre infime. Leur importance n'est pas
soupçonnée par la très grande majorité d'entre eux, leur existence
même n'étant pas entrevue. Et les ministres en sont si peu conscients
qu'ils ne montrent même pas par une allusion qu'ils y pensent.
La
vérité est qu'ils n'y pensent pas. Nous sommes donc fort loin
des solutions cohérentes et structurées qui s'imposent. L'opinion
est littéralement livrée sans défense à ce flot. La tâche est
donc à la fois immense et urgente.
Le
plan sera le suivant: remarques sur les prévisions démographiques.
Les erreurs d'interprétation liées à la vue dissociée du futur.
(Ces deux points vont être traités ici même.) Relations de l'homme
et de la nature. Rôle du travail humain. Le monde humain. Dimension
de l'homme. Les deux univers. Caractères de la "production" et
de la " consommation " humaines. L'homme diastase cosmique. La
transformation créatrice. L'investissement : court, moyen
et long terme. L'investissement démographique. Les caractères
de l'investissement. Les conjonctures démographico-économiques.
Le cas français (et le cas de l'Europe de l'Ouest). Le vieillissement
de la population dans les sociétés malthusiennes au stade tardif.
Les buts démographiques possibles.
Ce
n'est qu'après ce tour d'horizon que les bases de la discussion
seront rassemblées et qu'une attitude cohérente, valable et saine
pourra être définie. Un grand nombre d'erreurs manifestes et dangereuses
seront réfutées, nous l'espérons.
II
était indispensable d'évoquer le plan pour situer la place et
l'importance des différents développements, et pour que le lecteur
comprenne ce qui reste à exposer après chaque article.
I.
- LES PRÉVISIONS DÉMOGRAPHIQUES
II
est à la portée de n'importe qui de calculer des chiffres futurs
lointains à partir des chiffres actuels de la population et en
supposant un coefficient de multiplication déterminé. On parvient
ainsi très facilement à des chiffres énormes. Mais il est impératif
de remarquer tout d'abord que ces coefficients ne sont que des
hypothèses et il n'est déjà pas honnête de les présenter au grand
public comme des certitudes. D'autre part, ces coefficients hypothétiques
peuvent subir des variations imprévisibles qui ajoutent à l'incertitude
des prévisions et dont il faut tenir compte précisément comme
facteur d'incertitude. II y a d'autres causes d'erreur. Quand,
dans une période donnée, il y a allongement de la durée de la
vie sans qu'il y ait la moindre augmentation de natalité, il y
a un accroissement rapide de la population simplement parce que
la mortalité est différée. Mais cette mortalité surviendra,
chaque être né mourra et au moment où cette mortalité différée
se produira, il y aura une chute rapide de l'accroissement de
la population. Inférer d'un phénomène passager une évolution permanente
comporte déjà une erreur évidente et importante.
Un
autre fait doit être rappelé. On parle beaucoup de la croissance
géométrique des populations, ce qui veut dire leur multiplication
par un coefficient constant, ce coefficient étant appelé la raison
de la progression. II faut déjà remarquer que cette constance
n'est pas établie et, en outre, il faut rappeler qu'il ne s'agit
pas d'une croissance géométrique simple mais en réalité de la
différence entre deux progressions géométriques dont l'une
a simplement deux ou trois tours d'avance sur la seconde (croissance
géométrique de la mortalité absolue (1) et dont précisément la
seconde est soustraite de la première. Ce point ne pourrait
changer que si l'homme devenait immortel. Ce n'est pas encore
pour demain et ceci supposerait un changement radical dans la
nature humaine. On nous permettra de discuter sans cette hypothèse.
La deuxième progression géométrique doit donc être soustraite
de la première et ceci change considérablement les prévisions.
Un troisième point doit être souligné. Si la reproduction cesse,
l'humanité tout entière, qu'elle compte 3, 10 ou 50 milliards
d'habitants disparaît aussi vite qu'un village. Elle reste donc
fragile et menacée par les mécanismes actuels de destruction démographique,
qui ont une efficacité théorique voisine de 100 %.
Pour
toutes ces raisons et quelques autres, les prévisions en matière
de démographie doivent être d'une extrême prudence.
Les
constatations objectives se chargent de rappeler les statisticiens
à l'humilité. Voici quelques exemples : beaucoup de faits démographiques
n'avaient pas été prévus par les statisticiens comme par exemple
la baisse de fécondité intervenue depuis quelques années dans
plusieurs pays en voie de développement : Albanie, Bornéo, Formose
(taux de natalité 41,7 en 1958, 25,6 en 1969), Singapour
(42 en 1958, 21,2 en 1969). Hong-Kong (37,4
en 1958, 20,7 en 1969).
Mais
surtout les erreurs de prévisions peuvent être colossales la fourchette
des possibilités étant énorme. Ainsi selon les hypothèses de développement,
le Maroc pourra avoir en 2075 une population allant de 35 millions
à 1 565 millions d'habitants.
On
conçoit que lorsque la fourchette des possibilités est aussi étendue
les prévisions à long terme peuvent être considérée comme dénuées
de toute valeur, voir carrément hautement fantaisistes ou au minimum
éminemment suspectes.
On
ne peut guère tenir compte que des prévisions à court terme et
à la rigueur à moyen terme (quelques décennies) en pensant que
même dans ces cas des erreurs sont possibles.
Bref,
le court terme ou à la rigueur le moyen terme sont possibles,
les prévisions à long terme appartiennent à la haute fantaisie
et doivent être dénoncées comme telles.
Et
l'on peut déjà dire qu'il n'est pas honnête d'influencer le comportement
présent ou à court terme des populations menacées
dans leur existence actuelle ou prochaine par l'étalage de chiffres
faux sur les années 2600, 3000 ou 3500. Ces populations
menacées comme la population française et plus généralement
la population de l'Europe occidentale peuvent être conduites
à une situation irrécupérable et cela dans les toutes prochaines
décennies et de la façon la plus certaine par les chiffres faux
de l'an 3000. Ceci doit être dénoncé. Des populations qui n'assurent
pas ou à peine leur renouvellement et ont un vieillissement très
accentué et rapidement croissant avec leur natalité actuelle
peuvent être précipitées très vite dans un désastre irrécupérable
par la nouvelle dénatalité inspirée par ces prévisions fausses.
Ce
qui va se passer en France avec la nouvelle dénatalité et l'aggravation
verticale du vieillissement dans les quinze ans à venir est une
certitude concrète et tangible alors que personne ne sait ce qui
se passera en l'an 3000.
II.
- LA VUE DISSOCIÉE DU FUTUR
Elle
doit aussi être dénoncée comme mécanisme d'erreur de jugement.
Qu'entendons-nous
par là ?
Il
est à la portée des hommes de 1972 et il l'était à ceux de l'an
1000 ou même des Égyptiens de l'Antiquité de faire des multiplications
et d'arriver à des chiffres pour l'an 2600 ou 3000, chiffres bien
entendu hypothétiques et forcément faux comme on l'a vu puisque
le multiplicateur nécessairement n'est pas connu, et de plus est
susceptible de changer, ces changements eux non plus n'étant pas
connus.
Mais
enfin on peut faire des multiplications. Ça c'est facile.
Par
contre, il est totalement impossible aux esprits d'aujourd'hui
de conce-voir le monde technologique et scientifique de l'an 2600
ou de l'an 3000. Ceci est évident. Imaginons ce que pensaient
sur le plan scientifique et tech-nologique les gens de l'an 1000.
Leur monde intellectuel et scientifique était sans commune mesure
avec le nôtre et il leur était impossible de l'ima-giner. Et l'accélération
scientifique a fait que la science a réalisé plus de pro-grès
dans les cinquante dernières années que depuis l'origine des temps
jusqu'à il y a cinquante ans. Pour cela il est vraisemblable que
le changement entre 1972 et l'an 3000 sera infiniment plus grand
qu'entre l'an 1000 et 1972. Ainsi ce monde futur lointain est
complètement inaccessible à nos esprits d'aujourd'hui.
II
en résulte que le jeu des multiplications qui imagine des chiffres
pour l'an 3000 nous présente obligatoirement ces chiffres dans
le monde intellectuel d'aujour-d'hui et non dans le monde technologique
et scientifique de l'an 3000 que nous ne pouvons pas concevoir.
C'est cela que nous appelons la vue dissociée de l'avenir. II
est évident qu'il y a une corrélation entre les chiffres de population
possible et le niveau intellectuel, technologique, scientifique,
agricole d'une ,popu-lation; des chiffres très acceptables aujourd'hui
et allant de pair avec le niveau intellectuel et économique actuel
auraient été impensables en l'an 1000. Nous commettons la même
erreur de jugement en situant en 1972 avec une vision technologique
et scientifique de 1972 des chiffres de l'an 3000. La dissociation
de l'avenir crée une erreur profonde dans l'appréciation des importances,
des relativités, et des possibilités.
Cette
erreur est constante dans les prévisions futuristes.
Il
n'est pas question pour nous de sacrifier des faits concrets,
un futur proche et terriblement certain à un futurisme lointain
et hautement fantaisiste. Cette erreur-là doit être éliminée.
E.
Tremblay
(1)
Cette mortalité absolue est seulement plus ou moins décalée dan
le temps avec une tendance au retard, mais elle sera.
© Laissez-les-Vivre
SOS Futures Mères, janvier 1973
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