Depuis
la naissance d'Amandine, la première petite fille née
en France après fécondation
in vitro, on a pratiqué dans notre pays plusieurs
centaines de fécondations extracorporelles, si bien qu'il
y a maintenant, dans les congélateurs de nos hôpitaux
des milliers de petits œufs humains.
En
effet, quand on pratique une fécondation extra-corporelle,
on provoque, par des piqûres de gonadostimulines, la ponte
de plusieurs ovules, cinq à dix par exemple et l'on tente
sur chacun la fécondation par les spermatozoïdes du
mari. Les œufs fécondés sont reconnus promptement
par les divisions cellulaires qui s'y font et l'on choisit en
général deux ou trois œufs pour les implanter
dans l'utérus de la femme. L'implantation ne réussit
pas toujours et c'est pourquoi on augmente les chances de succès
en implantant plusieurs œufs. Mais, même ainsi, il
arrive que l'implantation échoue ; il est alors logique
de tenter sa chance à nouveau pendant les deux ou trois
cycles qui suivent et de conserver pour cela par congélation
les œufs qui n'ont pas servi.
L'emploi
d'œufs ainsi conservés est moins dangereux pour la
femme qu'un nouveau prélèvement moins astreignant,
moins coûteux aussi puisqu'on évite une hospitalisation,
une anesthésie, et une nouvelle stimulation des ovaires.
Mais
que va-t-on faire si la femme ne réclame pas qu'on lui
implante les œufs gardés en réserve, soit parce
que, la grossesse ayant réussi, elle est devenue mère,
soit parce qu'elle se lasse des tentatives d'implantations (une
salle d'opération n'est pas une alcôve !), soit enfin,
en raison d'un décès comme dans le cas de ce couple
chilien venu en Australie pour une fécondation extra-corporelle,
et mort dans l'avion qui les ramenait au Chili.
Va-t-on
détruire ces œufs ? Ce serait tuer des personnes
humaines. Va-t-on garder ces œufs ? Mais pour qui ?
et pourquoi ?
Va-t-on
les implanter à une mère porteuse? C'est la solution
que les parlementaires australiens voudraient appliquer aux deux
œufs des chiliens décédés ; ces
œufs seraient couvés quelque temps par une ou deux
mères porteuses puis naïtraient, non pas comme des
orphelins chiliens, nantis d'un héritage, mais comme des
enfants de la mère porteuse. Mais c'est faire de ces œufs
des objets dont on dispose.
Escalade
en Grande-Bretagne
Mais
on va plus loin en Grande-Bretagne, ce pays qui, depuis deux siècles
au moins, a donné l'exemple du pragmatisme, de l'utilitarisme,
on y envisage d'utiliser ces petits œufs, au vu et su de
tout le monde.
Un
rapport officiel a été fait par une certaine Mrs
WARNOCK pour le compte du Ministère de la Santé
et des services sociaux : les petits œufs humains pourraient,
jusqu'à leur 14ème jour être mis en congélation,
être l'objet de transactions, ou être tués,
ou servir àdes expérimentations. Le 18 juin 1984,
Mrs WARNOCK, interviewée à la télévision
britannique, a même souhaité qu'une commission soit
nommée pour que ces normes soient adaptées suivant
les besoins. Elle a déclaré, par exemple, que la
limite de 14 jours pourrait être retardée, car elle
est arbitraire.
Ces
propositions certes, ont ému certains parlementaires, et,
à la veille des vacances d'été, il y a eu
une levée de boucliers parmi les députés
aux Communes. Mais que restera-t-il de cette vague d'indignation ?
Une
philosophie
Mais
le progrès médical, qui a permis cette prouesse
qu'est la fécondation extra-corporelle, appelle aussi une
réflexion en profondeur. Car le respect de la vie humaine
s'inscrit dans le respect plus large des personnes inclues dans
des liens sociaux.
L'enfant
ne naît pas seulement de la rencontre de chromosomes, mais
de la rencontre de personnes. Il est conçu dans un échange
affectif. A méconnaîÎtre cette vérité
première on en fait un matériel biologique, voire
un objet que produisent des équipes médicales et
dont les droits ne sont assurés que par leur bon vouloir.
Si
notre société fabrique, par centaines des œufs
humains, c'est qu'on a persuadé les couples stériles
de satisfaire leur désir d'enfants. On l'a fait, depuis
le début du siècle, avec la pratique, de plus en
plus admise, de l'insémination artificielle, et on l'a
fait, ces derniers temps, avec la fécondation extra-corporelle.
Mais
le désir d'enfant, s'il est légitime, ne saurait,
à lui seul, autoriser n'importe quoi. Quand un mari répudie
sa femme stérile, ce qui se fait dans certains cycles culturels,
beaucoup d'entre nous estiment que la femme est
bafouée. Il serait normal que ces mêmes personnes
soient choquées quand l'enfant est produit artificiellement,
ou même quand on proclame que l'enfant ne doit naître
que s'il est désiré. Dans ces diverses situations,
l'enfant est un objet. On a critiqué, à juste titre,
certains comportements qui font de la femme un objet pour le désir
masculin ou pour une publicité basée sur les instincts.
Il faut critiquer, au même titre, la civilisation qui a
pu se donner pour slogan : « un enfant si je veux
et quand je veux ! ».
Le
vrai droit, c'est que l'enfant, comme la mère et comme
le père ne trouvent l'épanouissement de leurs droits
que dans la famille, dans une famille ou l'enfant trouve place
sans être intrus, dans une famille ou les procréateurs
soient assurés de la pérennité de leur union,
tout cela dans un cadre moral qui peut paraître exigeant,
mais qui, dans ses conséquences, apparaît fondé.
Pierre
Vignes
© Laissez-les-Vivre
– SOS Futures Mères, Janvier 1985
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