La
réanimation médicale permet de suppléer à
la déficience de beaucoup de fonctions vitales et de reculer
l'heure de la mort. Mais, on critique parfois ces soins en les
taxant d'acharnement thérapeutique, ce qui n'est justifié
que s'il s'agit de soins très sophistiqués entrepris
et maintenus sur un malade qui, de toute façon est condamné
à brève échéance. D'ailleurs, la plupart
de ces traitements ne sont pas inhumains : ils soulagent la soif,
l'oppression respiratoire,I'angoisse. En outre, chez la majorité
des malades au stade terminal, la douleur peut être combattue
efficacement et sans trop d'effets secondaires. La médecine
n'a donc pas à rougir de ses progrès.
Par
contre, pour avoir suivi quelques malades jusqu'au tout dernier
jour, j'ai pu constater que l'accompagnement phychologique des
mourants laisse à désirer, car c'est uvre
difficile.
L'attente
des malades est immense. Tout se dérobe. Leurs demandes
se font pressantes, mais impossibles à satisfaire. Les
familles peuvent-elles rendre la santé aux malades ? Les
conflits familiaux qui couvent plus ou moins dans toutes les familles
ressurgissent. Les familles se dérobent. Si parfois une
famille reste stoiquement présente, ses intérêts
à court terme ne coincident plus avec "attente du
mourant. D'ailleurs, les familles ne peuvent être là
24 heures sur 24.
C'est
donc aux établissements de soins de prendre le relai et
tout naturellement les soins terminaux, y seront entrepris soit
quand il n'y a pas d'espoir dans quelque lieu discret
ou l'on tolère parfois les visites des familles à
des heures inhabituelles. Mais, un établissement de soins
n'est pas une personne et, finalement c'est sur une infirmière
que va s'abattre le fardeau d'accompagner le mourant.
A
travers les soins du corps, d'ailleurs, l'infirmière touche
à l'essentiel. Mais cet essentiel a des aspects misérables:
soins de bouche, désobstruction des voies aériennes,
escharres, propreté sphinctérienne. C'est dans de
telles misères que le malade s'enlise et que l'infirmière
le rejoint. Elle le rejoint mieux que le médecin qui appréhende
le malade de facon plus abstraite à travers un diagnostic,
un pronostic, ou des idées sur la physiologie. Mais, pour
l'infirmière, la tâche est lourde, d'autant qu'elle
n'est pas toujours entourée. La famille en désarroi
critique les soins. Si parfois, une famille manifeste quelque
reconnaissance, c'est pour mieux faire excuser sa propre démission.
Pour
peu que l'infirmière soit confrontée souvent à
de pareilles agonies, l'épreuve est lourde, en particulier
pour l'infirmière de nuit qui est très isolée,
qui ne pratique que des soins primaires et qui n'est gratifiée
d'aucun contact humain. Quelles raisons pour vivre pareil métier
qui renvoie à l'idée qu'on est soi-même destiné
à la mort !...
Pour
dédramatiser pareille situation, il faudrait que la vie
soit présente à l'hôpital, jusque dans ces
unités de soins ou l'on meurt. Que les familles y soient
accueillies et renseignées avec habileté. Il faudrait
que les infirmières soient choisies en fonction de leur
résistance phychologi-que, que la rotation des personnels
soit adaptée. Il faudrait qu'on se soutienne en équipe,
que le cur soit généreux. Il y a une tâche
magnifique à réaliser. Elle est essentielle pour
une nation civilisée.
La
vie déclinante, en effet, n'est pas sans valeur. Elle comporte
parfois un message terminal pour le malade ou pour son entourage.
Plusieurs ont pu en recueillir de quelqu'aieul. A vouloir gommer
pareil message, ne risque-t-on pas de gommer la vie ?
Pierre
Vignes
© Laissez-les-Vivre
SOS Futures Mères, juin 1989
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