A
la veille de notre IIIème congrès, une mère
de neuf enfants, empêchée d'assister à une
de nos réunions s'est fait tout raconter par une voisine
et nous écrit que les réformes sociales que nous
demandons seraient les bienvenues.
Nous
rencontrons des difficultés à tous les niveaux matériel :
depuis plusieurs années nous cherchons à vivre dans
un foyer plus spacieux que celui que nous occupons actuellement
et où chacun de nos enfants aurait, enfin, le droit d'avoir
son petit coin personnel pour y ranger ses petits trésors,
jouets, affaires sans se les faire prendre continuellement, même
par inadvertance, par le petit frère. Avoir enfin un petit
coin pour s'isoler, se détendre, lire, étudier à
l'abri du bruit et des des autres. Obtenir enfin ce peu de silence
et de recueillement indispensables à l'épanouissement
d'une personnalité.
Nous
demeurons à ... ; les enfants se portent bien physiquement,
mais sur le plan moral c'est bien difficile de faire vivre, sans
bruit, sans énervement onze, Personnes dans un "F.4"
composé de :
une
petite chambre pour les parents, deux chambres pour six filles
et trois garçons d'âges nettement différents,
une
cuisine, une salle d'eau bien trop petites pour une famille nombreuse,
une
salle de séjour sans oublier un W.C. si petit qu'il faut
faire une véritable manuvre pour arriver à
en fermer la porte.
Difficultés
morales : II est bien difficile de vivre détendu dans
le bruit et la contrainte spatiale et chacun sait que, où
il y a de la gêne, il n'y a pas de bonheur complet.
A
dire vrai, on construit très peu pour les familles nombreuses.
La théorie de Malthus, citée par votre conférencier
et qui fait l'objet d'un article dans le Courrier de Laissez-les
Vivre, nuit aux familles nombreuses que les égoïstes
regardent maintenant comme un danger public car elles réduisent
"la part du gâteau".
Dans
les journaux, dans les hebdomadaires féminins on nous "impose"
l'idée d'une famille française "type"
réduite au minimum : père et mère (qui travaillent
tous les deux) et deux enfants, pas plus ! et comme
l'a si justement fait remarquer votre conférencier, le
troisième enfant est condamné ainsi que les suivants.
II faut ajouter qu'on a depuis longtemps évincé
les grands-parents de la famille. La Société a divisé
la famille pour mieux isoler les individus afin de les « diriger
plus facilement là où elle veut ! »car
après l'Ogre que nous voyons poindre actuellement, elle
réinventera le cocotier !
Je
répéte que mes enfants se portent bien sur le plan
physique, je fais tout ce que je peux pour cela, mais, sur le
plan moral, j'ai bien du mal car je n'arrive pas à les
protéger de la promiscuité qui règne dans
les H.L.M. Allez donc empêcher des jeunes filles d'avoir
de mauvaises fréquentations ! Elles n'ont pas besoin
de les chercher bien loin, elles les rencontrent dans les escaliers,
sur le même palier. Comment les empêcher de se laisser
monter la tête par les "copines" plus ou moins
à la page et qui depuis longtemps prennent la pilule ?
Comment les protéger de l'idée de faire des sottises
au nom du rituel « Je veux vivre ma vie »car
elles en ont assez de vivre en famille, en troupeau, de subir
les contraintes qu'impose l'exiguïté d'un F.4. avec
onze personnes dedans.
C'est
la raison pour laquelle deux de mes filles 20 et 16 ans ont
pris, en grandissant, l'habitude d'être plus souvent en
dehors qu'à la maison et cela les a menées à
commettre des sottises. Je crois que si les enfants avaient été
moins comprimés dans deux chambres si mes grandes
avaient eu une chambre à partager à deux ou trois
filles seulement, elles n'auraient certainement pas éprouvé
le besoin d'aller si souvent au dehors.
Oui,
nous avons beaucoup d'ennuis.
Problèmes
matériels : pour éviter tous ces ennuis que
nous redoutions depuis longtemps, car plusieurs familles en étaient
déjà victimes autour de nous, nous cherchons depuis
plusieurs années, et par tous les moyens, à nous
loger plus convenablement en faisant accession à la propriété.
Nous avons fait beaucoup de démarches auprès d'un
grand nombres d'organismes. Finalement nous avons trouvé
une société d'H.L.M. qui construit de grands pavillons
réservés aux familles nombreuses.
Il
s'agit pour nous d'une grosse somme. Le crédit d'H.L.M.
avance la moitié l'autre moitié, mon mari
espère la trouver par des prêts pour lesquels on
nous demande des intérêts très importants.
II faut un accompte personnel de 20 %.
Le
remboursement se monte à une somme mensuelle, pendant beaucoup
d'années somme qui dépasse le tiers des revenus
familiaux mensuels.
II
ressort de tout cela que pour avoir DROIT de vivre dans une de
ces maisons construites « pour les familles nombreuses »
il faut que la Mère (chargée d'enfants) travaille
au dehors. Cela est-il normal ?
Je
pense que M. X..., Conseiller à la Cour d'Appel de Paris,
qui dans votre conférence s'est montré si humain,
y verra une brimade vis-à-vis des Mères de famille
nombreuse.
II
faut donc, pour avoir droit à une vie normale, abandonner
mes enfants à eux-mêmes. Cela ne tournera pas rond,
je l'ai bien vu lorsque j'ai été malade, un seul
jour. Pour aller chercher une paie au dehors, il faut que je laisse
mes petits sans surveillance, freiner la bride sur le cou, comme
on en voit trop depuis qu'on oblige les mères à
travailler au dehors. On doit admettre qu'un enfant n'est pas
naturellement bon, sociable, studieux, propre, discipliné,
ordonné, travailleur et que lorsque la mère n'est
pas là pour lui donner de bons exemples, de bons conseils,
à l'encourager ou le reprendre lorsqu'il fait mal, il a
vite fait de retourner à l'état sauvage.
J'ai
noté avec plaisir la réclamation présentée
par les personnalités de Laissez-les Vivre pour
obtenir que les mères de famille nombreuse bénéficient
enfin d'un salaire il serait le bienvenu !
J'ose
avouer que je passe mes journées en lavages, repassages,
raccommodages, cuisine, ménage, soins aux enfants, sans
oublier la couture et le tricot car j'habille moi-même toute
la maisonnée. Est-ce que je peux abandonner tous ces travaux
pour aller chercher une paie à l'extérieur ?
Une paie qui certainement nous permettrait d'habiter cette maison,
mais à quel prix puisqu'en rentrant je trouverons tout
le travail domestique à faire après mon travail
extérieur ! II est vrai que de nos jours les soins
du ménage et de la famille ne comptent plus guère,
ils sont méprisés, et celles qui s'y dévouent
se voient ravalées au niveau des "sans profession",
puisqu'elles ne sont que des mères de famille, donc une
charge pour la société !
Une
femme qui renonce à beaucoup de satisfactions personnelles
pour se consacrer à la famille n'est-elle pas digne d'être
considérée dignement ? On admire bien bien
plus actuellement les femmes qui ne « veulent qu'un
enfant »et vous disent bien haut « il
n'y en aura pas d'autre car je tiens à poursuivre ma carrière »ou
encore « ma profession passe avant tout ! »Celles-là
seules sont, elles, intéressantes, alors que nous autres
nous passons pour des "attardées" victimes de
préjugés sentimentaux et religieux.
On
ne nous invite pas, même en famille ; nos amis nous
évitent, car nous sommes trop encombrants ! Pourtant
j'ose dire que j'ai appris à mes enfants à se tenir
correctement en société, à table, en famille.
La
mère au foyer n'est décidément plus rien !
© Laissez-les-Vivre
SOS Futures Mères, octobre 1974
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