II
s'agit d'un rapport établi par MM. Calot, Girard et Léridon
remis voici plusieurs mois au gouvernement, connu sous le nom
"Rapport Calot" et dont la publication vient d'être
autorisée par le gouvernement. Ce rapport est donc présenté
dans le cahier n° 76 publié par l'I.N.E.D. et le gouvernement
déterminera sa politique familiale compte tenu sans doute
de ses conclusions.
Il
convient d'analyser tant ce que contient ce rapport que les conclusions
des auteurs et ce qu'il convient d'après nous d'en tirer.
1)
Analyse du rapport
Après
un rappel sur l'évolution de la fécondité
en France et en Europe depuis un siècle, le rapport en
vient à la crise démographique actuelle qui touche
l'Europe, les U.S.A. et le Canada.
De
nombreux graphiques annexes montrent l'évolution en baisse
rapide de la fécondité des différents pays.
Le
rapport analyse l'opinion des Français en ce qui concerne
la politique démographique et se termine par un résumé
succinct après un texte de 45 pages.
Signalons
les points particulièrement importants.
Les
auteurs disent clairement qu'on dispose désormais d'un
« recul suffisant pour pouvoir affirmer qu'on assiste
à un reflux de la fécondité qui par les niveaux
qu'elle pourrait atteindre serait sans précédent
historique ».
Sont
analysées les mesures prises par certains pays (Tchécoslovaquie,
Roumanie), qui ont permis de rétablir récemment
une démographie compromise (allocation de la mère
au foyer, congé de maternité très allongé,
législation plus restrictive quant à l'avortement)
mais ces mesures pour avoir été efficaces ont été
massives et coûteuses.
Le
comportement des Français se caractérise par la
diminution "spectaculaire" des préférences
pour les familles de dimension 4 et plus (6,5 % des préférences
contre 23 % en 1947) qui aboutirait à un terme à
la disparition totale des familles nombreuses. Le nombre moyen
d'enfant jugé idéal tombe à 2,50 (il s'abaisse
même à 2,28 dans la tranche des plus jeunes 18-24
ans). On note la préférence de la dimension 2 (49
%) au détriment de la dimension 3 (41 %) et le principal
motif de refus du 3- enfant est le manque de ressources (34 %
des cas).
L'opinion
des Français est malthusienne en majorité puisque
65 % de ceux-ci sont partisans d'une population "stable".
La
position des Français dépend de la manière
dont les questions leur ont été posées.
Une
majorité nette (58 %) s'exprime en faveur d'un salaire
maternel alloué à la mère ayant un enfant
de moins de 3 ans et (52 %) aux mères d'au moins 3 enfants.
II convient de souligner cette position des Français en
faveur du salaire maternel.
Deux
femmes sur 3 (65 %) préféreraient une aide pour
rester chez elle et se consacrer à leurs enfants plutôt
que des aides facilitant leur vie professionnelle (crèches,
etc.).
Par
contre les Français ne semblent pas partisans de mesures
spécifiques d'aide au 3ème enfant et de mesures
propres à relever la natalité. Ils ne sont pas non
plus partisans d'une aide particulière à la femme
au foyer, la femme qui travaille devant bénéficier
des mêmes prestations.
2)
Commentaires et critiques qu'on peut faire
2.1.
Aide aux familles
Ce
qu'on peut reprocher essentiellement au rapport, c'est le résumé
final, résumé que seuls liront de nombreuses personnalités.
Dans
ce résumé de deux pages, les auteurs semblent se
retrancher derrière l'opinion malthusienne d'une majorité
de Français qui est de ne pas faire d'effort spécifique
concernant tant la mire au foyer que la venue du 3ème enfant
(optique qui semble être aussi celle du gouvernement).
II
faut dire que ce rapport est déjà ancien et que
de nombreux éléments récents (enquête
parue récemment dans population et société)
sont venus montrer le grand handicap des familles de 3 enfants
et plus vis-à-vis des familles n'ayant que 0, 1 ou 2 enfants.
Pourtant
il est dit dans le rapport que la raison la plus fréquente
pour laquelle les familles refuseraient un 3ème enfant
était précisément le manque des ressources
(causées souvent par la perte du 2ème salaire, la
mère devant cesser le travail à la naissance du
3ème enfant).
II
n'est pas fait mention non plus dans le résumé final
du souhait de la majorité qui se dégage en faveur
du salaire maternel, ni du désir des femmes de rester chez
elle pour 65 % d'entre elles.
Quant
à la majorité malthusienne, celle qui est contre
des mesures propres à remonter la natalité (spécifiques
au 3ème enfant et à la mère au foyer), elle
se recrute essentiellement parmi les familles de 0, 1, 2 enfants,
lesquelles familles n'élèvent qu'un tiers des enfants
de France.
II
était donc particulièrement Inadéquat d'invoquer
un argument spécieux (qu'à déjà repris
à son compte un porte-parole du gouvernement Mme Veil pour
justifier l'attentisme actuel) et de faire fi des vux de
l'importante minorité (35 à 40 % selon les cas)
constituée précisément par les familles à
qui incombe la charge d'élever les DEUX TIERS DE LA FRANCE
DE DEMAIN, c'est-à-dire celles ayant 3 enfants en plus
(lesquelles, on les comprend sont à une forte majorité
en faveur d'une intervention de l'État). A la place des
auteurs, nous aurions dit qu'il convenait de mieux informer l'opinion
à l'égard des mesures qu'il était indispensable
de prendre dans l'intérêt même de la nation,
en faveur de la France de demain, pour arrêter la dégradation
du niveau de vie des familles de 3 enfants et plus.
Le
rapport ne met pas assez en relief la gravité de la situation
actuelle qui conduirait rapidement à la quasi-disparition
des familles de 4 enfants et plus, lesquelles sont encore plus
indispensables à la survie du pays que celles de 3 enfants.
Si demain, l'équilibre démographique devait être
rétabli, c'est que le pays compterait un nombre important
de familles non seulement de 3 mais aussi de 4 ou 5 enfants (la
dimension 4 et plus n'a plus que 6,5 % de partisans contre 23
% en 1947).
Du
fait de l'existence de familles ayant 4, 5, 6 enfants, hier, l'équilibre
démographique était possible avec un pourcentage
de famille ayant 3 enfants et plus de l'ordre de 35 %. Si demain,
la dimension 3 était la dimension maximum, l'équilibre
(2,13 enfant/ femme) ne pourrait être atteint en effet que
si 55 % des femmes avaient 3 enfants compte tenu des éléments
physiologiques (stérilité, célibat, etc.)
incompressibles, et cela apparait bien peu probable.
2.2.
Rapports contraception, avortement et fécondité
Le
rapport n'établit pas de corrélation étroite
entre la baisse de la fécondité d'une part, et le
développement de la contraception, la libération
de l'avortement d'autre part.
II
se réfère à une étude fort ancienne
(1966) de laquelle il résultait que l'utilisation par toutes
les femmes d'un contraceptif efficace à 100 % n'aurait
fait baisser la fécondité que de 10 à 20
% alors que celle-ci a baissé en 10 ans de 35 %.
Sans
nier l'existence d'autres causes (généralisation
du travail féminin, urbanisation), etc., qui ont conduit
à diminuer la fécondité, il nous apparaît
peu probant aujourd'hui de nous déterminer vis-à-vis
d'une enquête aussi ancienne.
Or,
le rapport comporte une information de choix (page 35) suite à
une enquête effectuée en 1973. A la question posée
alors à des femmes venant d'accoucher : Étiez-vous
"plutôt contente" ou "plutôt contrariée"
lorsque vous avez su que vous étiez enceinte, 58 femmes
seulement sur 100 avaient répondu "PLUTOT CONTENTE".
Cela voulait dire explicitement qu'en 1973, 58 naissances sur
100 étaient positivement souhaitées, et autrement
dit que 42 % des naissances concernaient des enfants acceptés
mais qualifiés généralement aujourd'hui par
la presse de "NON DÉSIRÉS". Et en 1973,
à la veille de la grande récession démographique
en France, une baisse potentielle de 42 % s'inscrivait probable,
dés lors que les dispositifs permettant d'éviter
systématiquement ces naissances seraient mis en uvre.
Cela
veut dire que vers 1980-1985, en l'absence d'un accroissement
du désir d'enfants (or ce désir baisse) nous pourrions
n'avoir un chiffre de naissances égal qu'à 58 %
du chiffre de 1973 soit 0,58 x 855 000 = 496 000 enfants.
Ceci
nous explique sans doute la baisse rapide actuelle, accentuée
au 4o trimestre 1975 (166 000 naissances seulement) par l'incidence
de la loi du 17 janvier 1975.
2.3.
Écart fécondité idéale, fécondité
réelle
Le
rapport reste muet quant à l'écart constaté
entre "l'indice conjoncturel" (1,9 enfant/famille en
1975) et le nombre estimé idéal (2,5/famille).
II
faut dire que désormais la diffusion de la contraception
et autres pratiques font que le nombre d'enfants nés ne
sera jamais plus supérieur au nombre décidé
par le couple. II en résulte que du seul fait de la stérilité
physiologique et des vicissitudes de la vie (célibat, chômage
etc.) la moyenne effective sera toujours inférieure de
25 à 30 % au chiffre idéal souhaité alors
que voici 10 ans, l'imperfection des méthodes contraceptives
et l'interdiction de l'avortement permettaient une presque compensation
des effets monorateurs et majorateurs par rapport au chiffre souhaité
peu différent du chiffre réel.
3)
Conclusion
La
situation en France apparaît plus grave que ne le laisse
percevoir le rapport, étant donné le risque "potentiel"
de voir le chiffre annuel des naissances réduit à
500 000 d'ici quelques années.
S'il
convient certes de prendre des mesures en faveur des femmes qui
travaillent, en vue de rendre compatible activité à
l'extérieur et maternité, il convient d'abord, essentiellement,
de permettre aux femmes d'exercer un libre choix entre le travail
à l'extérieur et le fait de rester au foyer en se
consacrant entièrement à leurs enfants ; et
ce choix ne doit plus être dicté par des considérations
exclusivement financières. II convient donc de relever
fortement le salaire unique dénommé salaire maternel
ou parental. II convient aussi de favoriser la venue du 3ème
enfant si l'on veut que la France vive demain et qu'elle puisse
payer ses retraités de l'an 2000, adultes d'aujourd'hui.
II faut donc arrêter la dégradation du niveau de
vie des familles ayant 3 enfants et plus.
Relever fortement les prestations familiales, cela suppose un
prélèvement important chez certaines catégories
sociales, donc une négociation à l'échelon
national, un "Grenelle" des familles, plus une aide
au logement des familles de 3 enfants et plus.
Le
prix à payer est lourd certes, mais combien plus graves
ne serait-il pas le naufrage de la France à l'horizon 2000-20201 !
Le
gouvernement ne doit pas invoquer l'argument que nos partenaires
européens n'ont pas une législation favorable à
la famille pour éluder le problème. La France doit
être en matière familiale et démographique
le phare qui éclairera l'Europe à l'heure où
les démographes européens s'inquiètent à
juste titre de l'avenir démographique de l'Europe à
Strasbourg.
Guillaume
Paulmier
© Laissez-les-Vivre
SOS Futures Mères, novembre 1976
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