C'est
une très grande question. Nous l'examinerons sous ses divers
aspects : l'esprit de justice, ses mécanismes, son intérêt
pour la situation de la femme, ses aspects spéciaux, son
intérêt pour la Nation.
C'est
une grande affaire où l'esprit de justice a une très
grande place.
La
mère de famille est victime d'une grande injustice. Cette
idée de retraite pour la mère de famille vient avant
tout pour réparer celle-ci.
En
effet, un enfant devenu adulte paiera 40 ou 45 annuités
de retraite. Une mère de famille de 4 enfants par exemple,
qui, par sa décision propre, aura eu ces 4 enfants et les
aura élevés, donnera ainsi à la société
40 (ou 45) x 4 annuités de retraite, soit 160 à
180 annuités. Ces annuités sortiront de sa décision
et de son travail de mère de famille. Qu'est-ce que la
société lui donne en échange actuellement ?
Si elle est salariée, elle aura sa retraite de salariée
et à ce titre de salariée, mais en échange
des 160 ou 180 annuités de retraite qu'elle donne à
la société, celle-ci ne lui donne que quelque chose
de tout à fait dérisoire : une bonification de 2
années de cotisation par enfant, quand elle en donne 40
ou 45 par enfant à la société. Toutefois,
elle doit toujours attendre 65 ans pour liquider ses droits à
un taux convenable. Si elle n'est pas salariée, la mère
de famille titulaire de la majoration de l'allocation de "salaire
unique" ou de la majoration de l'allocation de mère
au foyer, est affiliée obligatoirement et gratuitement
à l'assurance vieillesse (loi du 3 janvier 1972) avec faculté
de s'assurer volontairement lorsqu'elle ne bénéficie
plus de la majoration.
Les
conditions pour bénéficier de la "majoration"
sont les suivantes :
1)
avoir la charge d'au moins 4 enfants ou avoir un enfant de moins
de 3 ans, ou assumer la charge d'un enfant handicapé âgé
de 20 ans ou plus, non admis en internat ou handicapé adulte
(loi du 30 juin 1975) ;
2) avoir eu l'année précédant la demande,
des ressources imposables inférieures à un certain
pla-fond, avec une majoration de 25 % par enfant à charge
(exemple : 20 160 F en 1975 avec un enfant à charge).
Toutes
les mères de famille qui ne remplissent pas les conditions
précédentes et qui se consacrent à l'éducation
d'au moins un enfant à charge de moins de 20 ans peuvent
avoir une retraite à condition de payer une cotisation
dont le taux est celui du régime général
de la Sécurité Sociale (10,75 % au 1er janvier 1976).
Elles peuvent rester affiliées à l'assurance volontaire
payante lorsque le dernier enfant à charge atteint 20 ans.
(Les cotisations d'assurance volontaire vieillesse des mères
de famille sont déductibles du revenu imposable du ménage.)
Autrement
dit, en dehors des cas avec niveau de vie particulièrement
bas, avec au moins 4 enfants ou au moins un enfant de moins de
3 ans, conditions qui donnent d'ailleurs une retraite très
modeste, dans tous les autres cas, la mère de famille est
obligée de payer pour avoir sa retraite, quel que soit
le nombre de ses enfants, et quel que soit le nombre des annuités
qu'elle donne ainsi à la société. Donc, en
dehors des exceptions ci-dessus, pour son travail spécifique
de mère de famille non salariée, et pour ce qu'elle
donne ainsi à la société et qu'on vient de
voir, elle ne reçoit rigoureusement rien en échange.
Dans
les échanges humains, il y a un principe la réciprocité.
Et ce qui caractérise l'échange valable est précisément
cette réciprocité humaine. Celui qui donne quelque
chose reçoit une compensation en échange et qui
doit être équitable. Nous constatons dans ce domaine
que la société se comporte sans aucun esprit de
réciprocité. Elle reçoit le cadeau considérable
que représentent dans l'exemple choisi 160 ou 180 annuités
de retraite et elle ne donne le plus souvent rien à la
personne qui le lui fournit (ou pratiquement rien si elle est
en plus salariée). On apprécie l'énormité
de l'injustice commise.
Caractères
particuliers
La
notion de retraite de la mère de famille est distincte
de la notion de retraite attachée à un salaire,
puisque la femme qui donne à la société 40,
80, 120, 160 annuités de retraite ou plus doit recevoir
pour cela une équivalence. Cette équivalence doit
correspondre à ce qu'elle donne et doit être calculée
en fonction du nombre des annuités payées par ses
enfants.
Cette
retraite pourrait commencer à être perçue
dès que le 1er enfant entre dans la population active et
commence donc à payer des cotisations de retraite. Elle
serait augmentée au fur et à mesure de l'insertion
des enfants dans la population active.
Une
notion essentielle, qui découle de ce qui vient d'être
dit, est que la femme qui élève ses enfants doit
avoir une retraite à ce titre, indépendamment d'un
salaire éventuel. Cette retraite n'est pas liée
au salaire mais est liée à ce que les enfants donneront
en annuités de retraite ultérieurement.
Cette
notion peut être étendue au père. Le père,
le grand oublié de l'époque actuelle, a aussi un
rôle dans l'existence et la formation de ses enfants. Ce
rôle peut être considéré comme presque
égal à celui de la mère si tous deux ont
une activité professionnelle complète. Si le père
seul a une activité professionnelle complète, on
pourra considérer que la part formatrice des enfants revient
principalement à la mère mais pas cependant complètement.
La proportion serait à étudier et pourrait être
dans ce cas par exemple ¼ pour le père, ¾
pour la mère. C'est un chiffre à calculer.
En
cas de père ou de mère célibataire, cette
retraite revient intégralement au parent unique.
II
devrait donc y avoir dans la retraite deux parts l'une liée
à l'activité professionnelle, l'autre liée
à l'existence et à la formation des enfants.
Ce
type de retraite est une réforme de justice sociale fondamentale.
Elle n'a à notre connaissance jamais été
formulée sous cette forme et avec ces mécanismes.
Elle complète la notion de cotisation retraite-équivalence-enfant
qui est tout à fait distincte et est une autre notion de
justice fondamentale (a été exposée précédemment).
L'ensemble aboutit à une refonte complète du système
des retraites qui est actuellement un sommet d'injustice.
Voici
la justification sur le plan de la justice et les mécanismes
de base de la retraite de la mère de famille, et plus généralement
de la part de retraite liée aux enfants.
Intérêt
pour le statut social de la femme
Elle
donne aux parents et surtout à la mère une sécurité
supplémentaire pour le futur. On ne verra plus des femmes
qui ont consacré leur vie à fonder une famille,
vivre dans le dénuement le plus complet dans leurs vieux
jours.
Cette
retraite change le statut social de la femme et de la mère
de famille. Elle est en effet une sécurité importante
pour la femme, qu'elle ait ou non une profession. C'est une sécurité
pour celles qui précisément n'ont pas de profession
salariée, et comme nous le comprendrons plus loin, même
pour celles qui sont salariées. C'est une sécurité
et un gage d'indépendance sociale pour la femme mère
de famille. C'est une sécurité complémentaire
pour celles qui ont aussi une profession salariée, sécurité
qui constitue une garantie contre les aléas de cette dernière.
Cette
retraite augmente la liberté de choix de la femme devant
l'activité salariée. Beaucoup de femmes souhaitent
en effet être salariées pour avoir une retraite sans
apprécier nécessairement les besognes salariales.
Avec cette réforme, elles auraient une retraite sans être
salariées, en fonction de leurs enfants, et simplement
parce qu'elles réalisent l'avenir du pays et qu'elles lui
apportent tout ce que nous avons vu plus haut, cette retraite
(véritable et ne répondant pas à des conditions
très restrictives) apparaissant comme une réparation
à une injustice considérable.
Ses
aspects spéciaux
Cette
retraite a plusieurs aspects spéciaux. D'abord elle est
fondée sur des mécanismes solides puisqu'elle repose
sur la population active future (précisément celle
créée par les pères et mères d'aujourd'hui),
qui par sa production cautionnera la valeur de la monnaie et donc
donnera une valeur à ces retraites. II convient de remarquer
qu'elle donnera une valeur non seulement aux retraites de la mère
de famille, mais aussi à toutes les retraites, y compris
les retraites salariales masculines et féminines.
Cette
retraite n'est pas fondée sur une réalité
fuyante et inconsistante comme la monnaie d'une société
sans enfant, c'est-à-dire d'une société sans
population active demain, monnaie vouée non pas à
la dépréciation, ce qui est peu dire, mais à
l'anéantissement total. II faut bien souligner que les
retraites fondées sur les sociétés sans enfants,
c'est-à-dire sans futur, ne reposent sur rien et ne sont
qu'une plaisanterie dérisoire et constituent de la part
de ceux qui les proposent une véritable escroquerie intellectuelle
et morale. Ces dernières ne reposent en effet que sur une
monnaie qui n'est plus caution-née par aucune production,
donc sans valeur et vouée à l'inflation exponentielle.
On
savait que la famille avait un rôle capital dans l'avenir
du pays, lui permettant non seulement de survivre mais lui donnant
sa dimension de demain. On s'aperçoit que la famille a
un rôle décisif dans la conservation de la valeur
de la monnaie demain, monnaie qui servira à payer les salaires
et les retraites. Elle en est véritablement la caution
indispensable et sans laquelle les autres mécanismes sont
sans signification et sans portée.
Ainsi
la retraite de la mère de famille et plus largement la
part familiale de la retraite, par l'encouragement qu'elle donne
à la famille, est un mécanisme essentiel dans le
maintien de la valeur des retraites.
Cette
forme nouvelle de retraite, non seulement se cautionne elle-même,
mais cautionne la valeur des autres retraites, à savoir
toutes les retraites salariales qui, comme on vient de le dire,
sans la famille, perdraient toute valeur et la perdront effectivement
si le redressement de la démographie française ne
survient pas.
Il
s'agit là de la mise à jour d'une notion fondamentale
et complètement ignorée aujourd'hui et qui met en
évidence un des rôles essentiels de la famille, aussi
essentiel qu'il est ignoré.
On
va nous dire : mais comment allez-vous financer cette retraite ?
(ou la part familiale de la retraite). Elle est financée
par les cotisations des enfants dès qu'ils entrent dans
le marché du travail. On remarquera que c'est la seule
retraite qui ait un financement certain. Les autres retraites
toutes les autres retraites qui en l'absence d'enfants,
ne sont financées par aucun cotisant ont un financement
qui n'est plus assuré. En l'absence d'enfants, c'est-à-dire
en l'absence de population active demain, il n'y a plus de production,
plus de caution de la valeur de la monnaie, plus de cotisation
payée par la population active, et l'argent mis de côté
perd toute valeur (disparition du cautionnement de la valeur de
la monnaie par la production qui n'existe plus).
Intérêt
pour la Nation
Cette
mesure apporterait un changement appréciable dans l'esprit
public en ce qui concerne la famille, changement qui pourrait
être une importante étape dans le redressement de
la France, de son esprit et de sa démographie.
Cette
mesure peut avoir un rôle salutaire dans l'effroyable crise
démographique actuelle qui peut nous détruire si
elle n'est pas rapidement corrigée. Elle peut avoir un
effet stimulant sur la famille et la natalité.
Elle
a encore un autre intérêt : elle peut contribuer
à la résorption de l'énorme chômage
actuel par plusieurs mécanismes complémentaires :
1°
en relançant l'investissement démographique, qui,
comme tout investissement augmente la consommation et les propositions
de travail, donc crée des emplois ;
2° en diminuant la demande féminine sur le marché
du travail, beaucoup de femmes préférant dans ces
nouvelles conditions se consacrer à leur foyer, à
la gestion des affaires de la maison et à la famille plutôt
que d'aller travailler au dehors (le choix restant bien entendu
libre dans ce domaine), cette retraite, telle qu'elle est conçue
étant liée à l'existence des enfants et à
leur nombre que la femme travaille ou non en dehors. Beaucoup
de femmes souhaitent en effet être salariées pour
avoir une retraite.
Donc
cette mesure par tous ses mécanismes peut redresser la
situation démographique et assainir le marché.du
travail.
En
résumé, la retraite de la mère de famille
est une réforme de justice sociale par laquelle la société
donne quelque chose en échange de ce qu'elle reçoit.
C'est la disparition d'un don à sens unique et c'est la
disparition d'une immense injustice.
Elle
améliore considérablement le statut social de la
femme en lui donnant une indépendance financière
et une sécurité pour l'avenir qu'elle n'avait pas
jusque-là.
Elle
contribue à assurer l'avenir de la Nation, non pas seulement
son existence physique mais aussi son existence économique
et la valeur de la monnaie.
C'est
la seule retraite dont le financement soit assuré. La natalité
est le seul mécanisme irremplaçable de garantie
de la valeur de la monnaie, donc de la valeur des salaires, et
de toutes les retraites. Notre société, qui a tout
oublié, qui ne comprend plus grand chose aux réalités
humaines, se prépare en assassinant industriellement ses
enfants (c'est la plus grande "réforme" giscardienne)
des retraites en monnaie de singe.
Une
retraite qui contribue à assurer la valeur des retraites
demain et qui est en soi un mécanisme de valorisation des
retraites est un fait remarquable et inédit et c'est le
seul qui ait cette propriété.
Il
nous paraissait important de mettre en lumière et en valeur
cette réforme qui à la fois supprime une injustice
profonde et qui a en outre pour les femmes et pour la Nation un
intérêt de premier plan.
E.C.
Tremblay
© Laissez-les-Vivre
SOS Futures Mères, novembre 1976
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