Laissez-les
Vivre a lancé l'idée-force de "salaire
maternel" parmi les motions adoptées à son
Congrès de Strasbourg en mai 1973, idée qui a fait
son chemin et rencontre maintenant l'adhésion du public
dans les milieux les plus différents. Avec raison, car
c'est justice que le travail fourni par la mère au foyer
qui élève ses enfants soit reconnu comme un service
éminemment social et qu'il soit rémunéré
en conséquence, avec tous les avantages et les droits propres
attachés à un salaire l'assurance maladie, l'assurance
accident, l'assurance vieillesse.
Faut-il
justifier la présence de la mère à son foyer
Article
6 de la Déclaration internationale des Droits de l'Enfant,
adoptée en 1956 déclare : « l'enfant
pour l'épanouissement et la conscience de sa personnalité
a besoin d'amour et de compréhension. II doit, autant que
possible, grandir sous la sauvegarde et la responsabilité
de ses parents et, en tout état de cause, dans une atmosphère
d'affection et de sécurité morale. L'enfant en bas
âge ne doit pas, sauf circonstances exceptionnelles, être
séparé de sa mère. »
"Charte
de la Mère" 1947,
du M.M.M. (Mouvement Mondial des Mères) organisation féminine
internationale, non gouvernementale, sans option confessionnelle
ni politique, représentative de plus de 100 nations : « c'est
normalement dans la famille, et d'abord par leur mère,
que les enfants reçoivent l'éducation de la liberté,
et font l'apprentissage des responsabilités en vue de leur
vie professionnelle, familiale et sociale. Les organismes privés
et publics doivent prolonger, compléter, et non remplacer
l'éducation donnée par la mère. »
Circulaire
du 22 novembre 1973, du Ministre de la Santé aux préfets
: « la séparation d'un enfant de son milieu
familial, même la plus réussie, représente
toujours pour lui une épreuve... Il faut donc la réserver
aux cas les plus graves. Elle peut être justifiée
par une carence ou un désordre familial, jamais par un
motif purement économique. »
Un
très récent sondage d'opinion effectué par
la S.O.F.R.E.S. à la demande du secrétariat d'État
à la Condition féminine a permis à un important
journal du soir de titrer : « II faut s'arrêter
de travailler le temps d'élever ses enfants, estiment 84 %
des salariés. »
D'autres
grands quotidiens produisent des enquêtes aux résultats
similaires.
Ces
diverses prises de position sont l'expression du sentiment universel
de responsabilité qui naît au cur de toute
femme quand elle devient mère, et qui grandit en même
temps que l'enfant. Le tout-petit démuni d'autonomie a
besoin de sa mère pour venir au monde et s'épanouir
dans la sécurité. La présence d'une mère
vigilante n'est pas moins nécessaire à l'enfant
qui fréquente l'école : qui ne connaît la
question universelle de l'écolier qui rentre de classe
à 16 h 30 : « Maman est là ? »
Que dire des dangers de l'adolescence et de ses crises qu'on ne
peut surmonter que si une mère attentive est à la
maison pour écouter, accueillir, contrôler les horaires,
les fréquentations, conseiller discrètement et fermement ?
L'absence
de la mère, c'est pour l'enfant le dénuement affectif,
trop souvent le vagabondage et le retard scolaire, l'instabilité,
les névroses, la délinquance avec son cortège
de malheurs, et de charges sociales énormes.
Les
études médicales, les psychologues, les rapports
d'experts sont unanimes à prouver ce qui est un fait d'observation
universelle.
La
mère est la protectrice naturelle de son enfant.
Tout
enfant a droit à sa mère.
Toute
mère a le droit de remplir sa mission.
Mais
en a-t-elle les moyens ? Non
La
vie moderne est très chère : le prix des logements,
transports, vêtements, études, loisirs est très
élevé ; il est fait pour deux salaires. La
femme contribue par son revenu professionnel propre au niveau
de vie familial. La plupart du temps, elle double le salaire de
son mari.
Si
le sien est bas, proche du S.M.I.C., sa suppression confine la
famille à une quasi-misère. A qui fera-t-on croire
que les 144 F mensuels alloués chichement au titre
de l'allocation de Salaire unique majorée aux seuls ménages
ayant des revenus très bas 13 850 F par an pour
1 ménage avec 1 enfant, c'est-à-dire 1 160 F par
mois ! pèsent lourd dans la balance du choix ?
Un enfant pauvre a-t-il moins droit qu'un autre aux soins de sa
mère ?
Si
le salaire de la mère est élevé et qu'elle
doit le sacrifier (et elle ne le peut même pas toujours
car n'ayant pas droit à une H.L.M., cette famille doit
se loger en secteur libre : par ex. : 1 000 à 1 200 F par
mois un deux pièces neuf dans le 12^ arrondissement :
c'est le travail des femmes qui paye la construction !) ce ménage
ne peut tenir son rang, il est défavorisé par les
charges familiales qu'il a le courage d'assumer, par rapport aux
autres ménages du même milieu, alors que ce sont
ses enfants à lui qui paieront les retraites.
Quant
à celle qui regarde son avenir à travers la législation
actuelle, elle sait que lâcher son travail c'est, en cas
de veuvage ou d'abandon, perdre au bout d'un an toute couverture
sociale même si elle a 2, 3, 6, 8 enfants petits
c'est renoncer à sa retraite propre pour devoir
se contenter de la moitié de celle de son mari sans aucun
cumul, c'est perdre toute retraite si elle est divorcée...
La
mère de famille sera-t-elle en 1978 date pour laquelle
la Sécurité sociale a été promise
à tous les Français la seule à ne
pas jouir de par son travail spécifique, éminemment
social puisque la société est bâtie sur la
famille, à ne pas jouir de droits personnels à l'assurance
maladie, à l'assurance accident, à l'assurance vieillesse ?
Alors que c'est elle qui assume dans le foyer les tâches
les plus lourdes : le rapport Jean Jarric évalue à
46 milliards d'heures par an pour toute la France l'ensemble des
travaux domestiques, et seulement à 42 milliards d'heures
l'ensemble des travaux effectués par la population dite
"active" !
Ces
réalités économiques sont très contraignantes
et influencent considérablement l'image qu'un ménage
se fait de sa famille et du nombre de ses enfants, avec tous les
dangers que ces calculs peuvent comporter actuellement pour les
enfants.
Quand
la mère dépend financièrement d'un entourage
hostile à sa grossesse, elle peut céder à
la panique, au vieux chantage « l'enfant ou moi
» et faire disparaître l'enfant.
Qu'est-ce
qui est prévu pour les cas sociaux où les éléments
économiques sont prépondérants, les jeunes
mères sans toit, sans travail, sans famille ?
Simone
Veil interrogée par A.F.P. répond : « un
décret autorisera les femmes sans ressources à demander
une prise en charge au titre de l'Aide Sociale. »
Les
deniers publics interviennent... pour la mort, solution la moins
onéreuse; deniers qui sont pris sur l'Aide Médicale
Gratuite dont le budget n'est pas extensible, donc volés
aux malades.
Quelle
solution ?
C'est
pour toutes ces raisons que Laissez-les Vivre demande
un salaire maternel pour toutes les mères au foyer :
salaire ouvrant droit à la Sécurité
sociale et à la retraite ;
salaire égal au S.M.I.C., car il doit être
assez substantiel pour remplir véritablement son rôle
économique ;
salaire maternel maintenu à vie pour les mères
de cinq enfants et plus : ce sont en effet les familles les plus
nombreuses qui seules renouvellent les générations.
Les
études de population montrent que si toutes les familles
limitaient leur ambition à trois enfants,, le nombre d'enfants
par famille tomberait à 1,95 à cause, des divers
facteurs de correction : décès, célibats,
stérilités; on a en général moins
d'enfants que souhaité. Les familles nombreuses doivent
donc être encouragées et leurs mères honorées
en conséquence. La médaille de la famille française
accompagnée du S.M.I.C., ne sera plus un objet dérisoire.
D'ailleurs, les candidates ne se pressent pas en foule :
le sondage déjà cité de la S.O.F.R.E.S. nous
apprend que seulement 3 % des femmes interrogées envisagent
d'avoir quatre enfants et 1 % cinq enfants et plus... pour 63
% dont deux enfants est le nombre idéal. En 1967, les familles
de cinq enfants et plus représentaient 9 % des foyers et
élevaient 25 % de la population ! La comparaison de ces
chiffres donne le vertige de l'abîme dans lequel nous glissons
déjà, alors que désormais, en plus, il faudra
compter avec les stérilités secondaires à
l'avortement.
Pour
que ce salaire joue aussi son rôle de choix au service de
l'enfant, il faut évidemment qu'il soit attribué
seulement aux mères qui n'ont pas d'autres revenus professionnels
propres, sinon ce serait simplement augmenter les allocations
familiales sans incidence sur la présence de la mère
au foyer et donc, encore défavoriser celle qui se consacre
à ses enfants.
II
faut enfin qu'il soit attribué à toute mère
au foyer, sans discrimination d'après les revenus propres
du mari. Outre que la détermination d'un plafond et son
contrôle seraient difficiles et onéreux, ce serait
institutionnaliser une injustice flagrante : comme si on ne payait
pas une ouvrière d'usine sous prétexte que son mari
a déjà son salaire à lui. Ce serait régresser
de 40 ans dans le combat familial en substituant la notion "d'assistance
aux familles nécessiteuses" à celle de "compensation
des charges familiales". Ce serait aussi faire dépendre
la femme de l'homme sans tenir compte des responsabilités
qui lui sont propres et qui donnent droit justement à ce
salaire maternel : élément concret de reconnaissance
de sa nature propre féminine et de sa vocation à
l'intérieur du couple et de la société. S'il
est vexant pour une femme d'être réduite à
"sans profession" comme seule référence,
ce salaire maternel qui sera également objet de
déclaration de revenus lui donnera droit au titre
de Mère au Foyer... et peut-être alors signera-t-elle
de bon coeur la déclaration de son mari.
Où
trouver les ressources ? Elles existent
Les
Caisses d'Allocations familiales ont actuellement un excédent
accumulé de 13 milliards de francs lourds auxquels vont
s'ajouter à la fin de l'année 1 milliard et 700
millions de francs lourds. Et ceci malgré la lente mais
sûre diminution des points de cotisation patronale sur les
salaires qui de 16,75 % depuis 1945 jusqu'aux ordonnances de 1958,
sont descendus à 9,5 % en 1975 : on pourrait les relever
de nouveau.
D'autre
part, on ferait des économies substantielles sur les divers
équipements sociaux : crèches, maternelles, garderies,
études surveillées, colonies de vacances aérium,
etc.
Certain
secrétariat d'État réclame à corps
et à cris la création de crèches :
coût de l'investissement d'un berceau : 20 000 F ;
coût de fonctionnement pour le budget public 1 300 F par
mois et par enfant.
Un
autre secrétariat d'État réclame crédit
et personnel pour "materniser" les "maternelles".
Ailleurs,
on réclame non seulement des crédits pour les crèches,
mais aussi des... clients :
Le
rapport n° 1260 du 22 octobre 1974 fait à la commission
des Affaires familiales et sociales sur la proposition de loi
de Mme Gisèle Moreau « tendant à instituer,
dans le secteur privé, une contribution patronale obligatoire
à titre de participation au financement de la construction
et au fonctionnement des crèches » énumère
le personnel d'une crèche :
une puéricultrice diplômée d'État,
directrice ;
une jardinière d'enfants ;
six à huit auxiliaires puériculture pour
50 enfants ;
une cuisinière ;
une lingère ;
un ou deux agents de service...
Puis
le rapport s'appuyant sur l'étude sur les crèches
publiée en 1970 par le "centre d'études et
de recherches marxistes", avance : « Le psychologue,
de concert avec les médecins, devrait avoir un rôle
considérable d'éducation envers les berceuses et
les puéricultrices. Nombreux sont les psychologues qui
sortent des universités après des études
hautement qualifiées. La plupart d'entre eux sont sans
travail et ils sont tout naturellement à leur place dans
les crèches. Cela revient à dire qu'il faut créer
ces postes et y consacrer les crédits nécessaires. »
Eh
bien, nous les mères de famille, nous appelons cela un
glissement de vocabulaire pour entraîner un transfert de
fonds, ces fonds qui nous reviennent de droit. Nous prétendons
être les meilleures psychologues de nos enfants. Qu'on nous
propose de choisir entre placer nos enfants à la crèche
pour les livrer à cet embrigadement précoce, ou
de recevoir les 1 300 F pour les élever auprès de
nous en accomplissant tous les métiers énumérés
: la réponse ne fera aucun doute.
Économies
sur les charges maladies de la, Sécurité sociale,
la mère pouvant plus facilement soigner ses malades à
domicile, enfants ou personnes âgées.
Économies
sur le trop fameux absentéisme féminin qui a pour
cause, chacun le sait bien, autant le souci des enfants laissés
sans soins et sans surveillance, que le désintéressement
pour des tâches qui répondent trop rarement aux goûts
et au rythme féminins.
Économies
enfin sur les indemnités de chômage et donc assainissement
du marché du travail, si indispensable aujourd'hui.
Cette
solution du salaire maternel a été préconisée
et défendue depuis 40 ans par les meilleurs experts démographes.
Elle était entrée dans la réalité
en 1945 sous le nom de Salaire Unique mais on sait comme elle
a été grignotée depuis jusqu'à être
maintenue à 97,50 F et limitée à des cas
tout à fait exceptionnels.
Parce
que nous n'avons plus de ministère de la Famille,
pour gérer les ressources destinées aux familles
afin qu'elles n'aillent pas grossir notamment les caisses maladies
de la Sécurité sociale qui rembourseront les avortements
sous le couvert de frais d'hospitalisation, et qui donneront des
subventions au Planning familial avorteur.
Quelques
positions officielles sur le salaire maternel
Simone
Veil, dans le Journal du Dimanche s'élève
contre la rémunération du travail au foyer :
« les Femmes ne doivent pas avoir une mentalité
d'assistées, et puisque c'est un travail qu'on accomplit
pour soi et pour ceux qu'on aime, il serait illogique de le payer... »
Françoise
Giroud, dans France-Soir, du 6 février 1975, déclare
: « le salaire de la femme au foyer, c'est son mari
qui le verse. II la paie pour faire la cuisine, le ménage,
élever ses enfants, repasser ses chemises. »
Evelyne
Sullerot, même référence : « Je
me suis battue contre l'allocation de salaire unique parce que
c'est une pénalisation de la femme qui travaille. En sortant
de sa maison elle commence par perdre de l'argent. »Et
plus loin : « la seule manière dont une femme
peut rendre service à sa famille, c'est de rapporter de
l'argent. »
Un
syndicat parmi les plus puissants dénonce le salaire maternel
: « parce qu'il perpétue la fonction séculaire
des femmes et la division sexuelle du travail entre l'homme à
l'usine et la femme au foyer. »
Dans
cette conception du monde, l'enfant n'a pas sa place, il est condamné
et sa mère disqualifiée puisque la femme doit être
réduite au modèle masculin sans sa spécificité
propre qui est escamotée.
Nous
n'obligeons personne à rester au foyer pour élever
ses enfants. Mais qu'on n'oblige aucune mère à aller
au bureau ou à l'usine au lieu de s'occuper de ses enfants.
L'adversaire
cerne nos enfants de tous côtés. II est temps de
reprendre la barre, parce que la loi Veil, injuste et criminelle,
en condamnant nos enfants, précipite la France dans une
catastrophe sans précédent.
Dans
ce combat implacable, nous, militants Laissez-les Vivre,
manquerons-nous d'audace et d'ardeur pour qu'il débouche
sur la vie ?
Notre
mot d'ordre sera :
- « abrogation de la loi Veil, cette insulte à
la maternité ;
- institution du salaire maternel pour la sécurité
des enfants ».
Nos
démarches, nos contacts, personnels, collectifs, aboutiront
s'ils sont motivés et déterminés. II nous
faut convaincre, entrainer, faire aboutir notre objectif.
Une
proposition de loi n° 661 a été déposé
dans ce sens dès le 13 déc. 1974, sous la signature
de 112 députés, « améliorant
les prestations familiales, créant le salaire maternel »,
par Pierre Bas, MM. Kaspereit, Krieg, Foyer. Restera-t-elle engloutie
à jamais ?
Craignons
d'avoir un jour à encourir les reproches des rescapés
de cette génération : « Nous étions
menacés. Nos frères et soeurs ont péri parce
que vous n'avez pas donné à nos mères les
moyens de les sauver. Vous aviez à la bouche les mots de
justice et fraternité, expansion, profit, consommation.
Mais vous n'avez pas voulu partager vos privilèges. Malheur
à vous !»
Alix
Gobry
© Laissez-les-Vivre
SOS Futures Mères, juillet 1975
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