Devant
des situations de détresse ou des mentalités qui
conduisent à l'avortement, beaucoup ne trouvent comme remèdes
que de faciliter l'avortement en le légalisant...
Il
nous paraît plus efficace de « rendre l'avortemcnt
inutile »en créant par une véritable
politique familiale et un changement de mentalité, des
conditions et un climat plus favorables à l'accueil de
l'enfant.
D'après
une enquête récente de la SOFRES, parue dans Le
Pèlerin, les causes les plus fréquentes de l'avortement
sont l'insuffisance des ressources des foyers, les difficultés
de logement, l'insécurité de l'emploi, la santé
de la mère, le coût de l'éducation, d'impossibilité
de concilier travail et éducation...
Ne
croyez-vous que, s'il y avait une véritable politique familiale
d'ensemble, la plupart de ces problèmes .pourraient âtre
résolus ?
Or,
s'il y a une politique de l'agriculture, de l'énergie,
des transports... il n'y a pas, a proprement parler, de politique
de la famille. Comment s'en étonner quand les mesures qui
concernent la famille relèvent d'une dizaine de ministères,
et ce n'est pas le comité de la famille qui peut remédier
à cette situation en raison de son caractère consultatif.
Sans
doute au lendemain de la Libération, le législateur
avait prévu tout un ensemble de prestations qui devaient
aider la famille, et spécialement la mère au moment
de l'attente de son enfant (allocation prénatale), lors
de sa maternité (allocation de maternité), pour
faire face à ses charges nouvelles (allocations familiales)
et pour lui permettre de rester à son foyer pour élever
ses jeunes enfants (allocation de la mère au foyer).
Ce
système, complété par la suite par l'allocation-logement,
les allocations pour les orphelins et les enfants inadaptés,
serait encore valable s'il ne s'était constamment dégradé
et si les prestations avaient suivi les salaires, comme le prévoyait
la loi. En fait, les prestations familiales se sont peu à
peu effritées : elles sont de 45 % inférieures
à ce quelles devraient être.
Comment
pourrait-il en être autrement, puisque les Pouvoirs publics,
après avoir opéré plusieurs prélèvements
sur les ressources affectées aux prestations familiales,
au profit de l'assurance maladie, ont abaissé progressivement
le taux des cotisations de 16 à 10,5 % en attendant
de la ramener comme cela est prévu au VIe Plan, à
9 % en 1975.
L'effort de redistribution des ressources au profit des familles
qui était de 3,78 du P.I.B. en 1959 a été
ramené à 3 % . Il ne sera que de 2,4 à
la fin du VIe Plan.
Les
gouvernements, ayant ainsi décidé de réduire
la masse des ressources affectées aux familles, ont été
contraints, pour satisfaire certains besoins nouveaux sans augmenter
la masse des dépenses, de laisser péricliter certaines
prestations ou même de les supprimer.
Au
principe de la solidarité nationale dont l'application
aurait conduit à faire progresser la masse des prestations
familiales comme les autres revenus, on a pratiquement substitué
peu à peu le principe de la solidarité entre les
familles chargées d'enfants en introduisant, pour l'attribution
de certaines prestations un critère de revenu extrêmement
bas qui a permis de limiter à un nombre très restreint
de bénéficiaires certaines prestations comme l'allocation
supplémentaire de salaire unique, l'allocation d'orphelin,
l'allocation aux handicapés, l'allocation de garde...
Si
le nombre des prestations nouvellement créées est
important, les conditions dans lesquelles elles sont octroyées
rendent fort aléatoires leur efficacité : croit-on
avoir assuré, par exemple, le libre choix de la mère
de famille entre un travail à l'extérieur et sa
présence au foyer en accordant à celles dont le
revenu familial est inférieur au S.M.I.C. une allocation
supplémentaire de 97 F par mois, alors que l'allocation
principale est bloquée au niveau de 1969 et ne représentera
bientôt plus que le prix d'un bifteck ?
A
qui fera-t-on croire qu'il n'est pas possible de faire mieux,
lorsque l'on sait qu'il existe plus de 9 milliards d'excédents
cumulés dans les Caisses d'Allocations familiales ?
Il
n'est pas possible de laisser dégrader plus longtemps les
prestations familiales et la fonction sociale de la mère.
Il faut rénover la politique familiale.
C'est pourquoi Laissez-les Vivre demande notamment :
1° Que les excédents des Caisses d'Allocations familiales
soient affectées au rattrapage du retard pris par ces prestations.
2° Que la masse des prestations familiales soit indexée
sur les salaires, et non sur l'indice officiel des prix, de façon
à faire bénéficier les familles des fruits
de la croissance.
3° Que la mère de famille restant chez elle pour y
élever ses enfants bénéficie d'un salaire
maternel, égal aux ¾ du S:M.I.C. et indexé
sur celui-ci, sans condition de ressources, ce salaire maternel
offrant taus les droits sociaux attachés au statut social
des salariés : assurance-maladie et retraite, mais
étant en contrepartie imposable à l'impôt
sur le revenu. Les mères, ayant élevé 5 enfants
devraient avoir droit à la retraite complète, dès
l'ouverture des droits, sans considération de la durée
de leurs activités maternelles.Pour
les mères qui auraient dû interrompre leur travail
pour une maternité, et qui désireraient le reprendre
après, le congé de maternité serait porté
à 6 mois avec garantie de reprise de l'emploi et une allocation
pour frais de garde égale au ¼ du S.M.I.C. interviendrait,
sans critère de ressources, mais imposable à l'impôt
sur le revenu.
4° La justice fiscale pour les familles : Les familles, en
raison du nombre de personnes qu'elles ont à charge, supportent
la plus grande part des impôts indirects qui représentent
les 2/3 des recettes fiscales. Elles reversent ainsi à
l'État des sommes plus importantes que celles qu'elles
ont reçu au titre des prestations familiales. Il faut donc
réduire la T.V.A. sur les articles de première nécessité
et sur les logements sociaux.
II faut une meilleure répartition de l'impôt sur
le revenu en améliorant le quotient familial, chaque enfant
comptant, au moins à partir de 14 ans, pour une part
entière au lieu d'une demi-part. Il y a lieu, aussi, d'appliquer
le quotient familial aux impôts immobiliers.
5° La priorité doit être accordée au logement,
non seulement des familles nombreuses, mais aussi des jeunes ménages,
car le manque de logement suffisant et indépendant contraint
les familles à réduire leur descendance ; il
faut non seulement procurer le logement, mais permettre à
la famille de le payer par l'amélioration de l'allocation
logement et son assouplissement. Que l'arrivée du 3e ou
4e enfant ne soit plus une des causes de suppression de l'allocation
tant qu'un logement répondant aux conditions de peuplement
n'a pas été fourni...
L'ensemble
de ces mesures contribuerait à redonner aux familles confiance
dans la vie en leur assurant les conditions matérielles
indispensables à l'exercice de leurs responsabilités.
Mais
il est évident qu'une politique familiale devrait nécessairement
comporter une dimension morale qui permette aux mères,
et aux foyers, de laminer les pressions matérialistes et
égoïstes de la civilisation du confort, pour assumer
les responsabilités et les charges de la venue au monde
et de l'éducation de l'enfant.
Ce
n'est pas en légalisant l'avortement que l'on diminuera
ce fléau et que l'on recréera le climat de confiance
dans la vie et d'accueil de l'enfant indispensable.
Il
faut donner à la mère l'assurance que son enfant
sera bien accueilli par la société et que celle-ci
l'aidera, quoiqu'il arrive, à assumer ses responsabilités,
à élever son enfant et à lui donner le maximum
de chances dans la vie, même si elle met au monde un enfant
handicapé, même si elle ne peut le garder et est
obligée de le confier à des parents adoptifs.
Sans
doute le gouvernement opposera aux mesures que nous préconisons
les charges financières qu'elles entraîneraient.
Mais
pourquoi la France de 1973 n'accepterait-elle pas des charges
analogues à celles qu'elle a supportées après
la Libération, dans une période où le niveau
de vie des Français était moins élevé
et où la production nationale ne progressait pas aussi
rapidement que depuis quelques années.
II
suffirait de consacrer une partie de l'amélioration de
la production à l'augmentation des prestations .familiales
et au logement pour que les familles chargées d'enfants
puissent rattraper le niveau de vie du reste de la population.
Depuis
1965, la masse salariale a augmenté de plus de 133 milliards
alors que les allocations familiales ne recevaient que 9 milliards
supplémentaires.
Au
cours des deux dernières années, le produit national
brut a pro-gressé de 90 milliards par an.
Ne
peut-on dégager de cette somme ce qui est nécessaire
pour assu-rer le rattrapage des allocations familiales et le salaire
matériel ?
Une
telle mesure contribuerait à créer un climat favorable
à l'accueil de l'enfant non seulement par l'aide matérielle
qu'elle apporterait aux familles, mais aussi par le choc psychologique
qu'elle entraînerait.
Louis
REVERDY
© Laissez-les-Vivre
SOS Futures Mères, juin 1973
|