II
aurait été simple d'énumérer les complications entraînées chez
la mère par un avortement. Nous pourrions envisager chaque complication
suivant sa localisation anatomique :
son
évolution aiguë ou suraiguë ;
sa gravité immédiate ou secondaire ;
ses sequelles.
Cet
aspect de la question, trop schématique, rebuterait rapidement
un public non spécialisé.
Par ailleurs l'évolution de la science médicale :
l'utilisation
des antibiotiques,
les
techniques assez élaborées d'avortement,
ont
semblé améliorer le pronostic de ces interventions. Comme tout,
cette question évolue rapidement. II faut donc nous fonder sur
des statistiques. et des documents récents, des expériences personnelles,
des faits actuels. contrôlés.
Un
seul point essentiel : rester objectif et exposer la vérité.
A
la lumière des publications françaises et étrangères récentes,
nous envisagerons :
1°
La gravité actuelle de l'avortement provoqué ;
2° Les complications de l'avortement thérapeutique ;
3° Les problèmes psychosomatiques soulevés dans le couple par
un avortement même en apparence accepté au moment de la décision.
Les
avortements provoqués se produisent dans des conditions souvent
dramatiques et des complications redoutables peuvent survenir.
Un certain nombre de morts subites peuvent s'observer mais il
faut d'emblée préciser que les chiffres de mortalité dûs aux avortements
criminels sont en France de 110 (cent dix) à 160 (cent soixante)
par an et n'atteignent pas tout de même les chiffres très exagérés
qui ont été avancés par certains, encore une fois nous voulons
rester objectifs. Pour en terminer avec le chapitre des morts
subites dans l'avortement, nous rappellerons qu'elles surviennent
en période digestive vers 5 heures de l'après-midi ou 9 heures
du soir. Dans leur déterminisme joue l'enjeu et la peur. Ce sont
les complications locales qu'il faut. maintenant étudier.
Rétention
placentaire et apport septique sont les causes des deux complications
les plus courantes : l'hémorragie et l'infection utéro-ovulaire.
Les hémorragies sont tantôt courtes et très abondantes, tantôt
modérées mais prolongées. Elles peuvent entraîner un état de choc
rapide ou au contraire des anémies prolongées abaissant le nombre
des globules rouges au-dessous de 3 millions. L'évacuation
de la cavité utérine se fait par curage au doigt, par curetage
ou aspiration et nous verrons que ces différentes manuvres
ne sont pas sans danger sur l'avenir de la cavité utérine.
Au
cours du curetage on observe parfois l'existence d'une perforation
due à la brutalité de la technique, et qui peut provoquer des
lésions des viscères. abdominaux, des lésions de l'intestin, qui
peuvent passer inaperçues ou peuvent se traduire au contraire
par un tableau alarmant et se compliquer d'infections du péritoine.
Au cours des examens on peut constater la présence d'une lésion
assez courante due à des comprimés de permanganate de potasse
que la femme s'est introduit dans le fond de la cavité vaginale.
Les hémorragies sont souvent importantes, difficiles à juguler
et l'avortement en plus ne se produit pas automatiquement.
Au
cours de ces deux dernières complications, l'avenir de la jeune
femme est intéressé car la perforation utérine fragilise l'utérus
au cours d'une éventuelle grossesse et les lésions entraînent
des brides d'adhérences avec des douleurs ultérieures au cours
des rapports, des sténoses du col utérin ; enfin le curetage
trop appuyé laissera des cicatrices gênant les fonctions gynécologiques.
On a beaucoup parlé en un temps de l'infarctus utérin provoqué
par les injections d'eau de savon, ce sont des complications redoutables
entraînant des chocs graves et souvent la mort. Les complications
infectieuses sont représentées à tous les niveaux de l'appareil
génital.
II
est des accidents toxiques dûs aux produits qui ont été utilisés :
l'apiol entraînant à la dose abortive des lésions d'hépatonéphrite,
la quinine, le mercure, le plomb ont été utilisés plus autrefois
que maintenant; enfin on observe des accidents aigus neurologiques,
soit immédiatement soit quelques minutes après l'intervention,
qui relèvent d'embolies gazeuses ou liquidiennes. II existe des
formes foudroyantes, des formes moyennes laissant des séquelles
graves lorsque l'embolie se fixe dans le cerveau, des paralysies
plus ou moins étendues persistent.
Quant
aux séquelles dont nous avons déjà parlé, c'est-à-dire les conséquences
à distance, nous signalerons les douleurs de types variés dues
à des adhérences, à des mauvaises positions de l'utérus consécutives
aux infections du petit bassin, l'augmentation des règles et parfois
leur disparition définitive avec stérilité, ou temporaire mais
prolongée, par un curetage trop appuyé. C'est évidemment la stérilité
par synéchies utérines, par obturation tubaire qui reste une des
complications les plus redoutables à distance et qui sera le plus
durement ressentie par la jeune femme.
Tel
est l'essentiel des complications classiques dues à l'avortement
criminel. L'âge le plus fréquent se situe de 26 à 30 ans ;
enfin la date maximum et la plus fréquente varie entre le 3e et
le 4e mois de grossesse, rarement plus tard. II nous a paru
utile devant ces problèmes de revoir la question à la lumière
de statistiques récentes de façon à ne pas répéter des données
plus ou moins classiques mais à voir où en est le problème actuel.
Le
premier point est d'évaluer le nombre des avortements en France :
les rapports présentés par l'Institut national d'Études Démographiques
affirment que le nombre des avortements est probablement de un
pour deux naissances et en tous cas plus proche de cette évaluation
que celle communément avancée. II y aurait tous les ans en France
entre 200 (deux cents) et 300 000 (trois cent mille) avortements
provoqués (Planques- Moron). La mortalité par avortement criminel
ne cesse de décroître en nombre absolu. On avait noté 1 316
(mille trois cent seize) décès entre 1939 et 1959 ; de 1939
à 1959 sont représentés les complications infectieuses, morts
subites, tétanos. L'apparition des antibiotiques et l'amélioration
des techniques permettant d'expliquer la raison de la régression
des décès.
Nous
vous apportons deux statistiques, celle de Toulouse et notre pratique
hospitalière de l'Hôpital Bichat.
La
statistique de Toulouse porte sur 426 (quatre cent vingt six)
observations faites de 1966 à 1970, 371 (trois cent soixante et
onze) cas sans complications et 55 (cinquante-cinq) avortements
compliqués c'est-à-dire ayant nécessité une autre intervention
que le simple curetage, l'admission dans des 4 services spécialisés
avec avortement aboutissant à la mort. II faut noter que sur les
55 (cinquante-cinq) avortements provoqués 41 (quarante et un)
viennent de services spécialisés.
Les
avortements compliqués résultent tous d'une atteinte directe de
l'uf par des moyens mécaniques et l'on peut distinguer deux
groupes de complications : les unes hémorragiques et traumatiques
et les autres infectieuses. La perforation utérine impose la laparotomie,
le choc hémorragique avec retentissement rénal grâce à une réanimation
cardio-vasculaire attentive et un bilan biologique est redevenu
normal à la sortie des services de néphrologie. Deux accidents
de fibrinolyse ont entraîné deux morts. Quant aux lésions dues
au Permanganate de potassium on retrouve 5 (cinq) femmes deux
ont réussi leur avortement, une n'était pas enceinte, les deux
autres ont vu leur grossesse continuer.
Les
infections à perfringens dont nous avons parlé au début :
on en retrouve 20 (vingt) dans les statistiques de Monbosies.
3 (trois) sont mortes, 17 (dix-sept) ont guéri de leur septicémie,
l'une a présenté des séquelles rénales. On a noté enfin diverses
septicémies, 10 (dix) au total dues à des germes variés dont 9
(neuf) ont guéri ; l'une d'entre elles est morte dans un
syndrome hémolytique ictéro-azotémique.
Les
récents progrès dûs à l'utilisation du rein artificiel ont pu
faire monter les pourcentages des guérisons de 51 % (cinquante
et un pour cent) à 80 % (quatre-vingts pour cent) selon les
statistiques des nephrologues. II n'en reste pas moins que l'anurie
post-abortum d'origine septicémique reste une complication redoutable.
Dans les avortements un seul cas de tétanos a été mortel ;
dans l'ensemble le tétanos est beaucoup plus rare car la sérothérapie
se fait systématiquement.
Nous
signalerons enfin les manifestations thrombo-emboliques ;
dans l'ensemble la statistique de Toulouse oppose 385 (trois cent
quatre-vingt-cinq) observations d'avortements provoqués hospitalisés
dans le service de gynécologie et d'obstétrique ayant donné lieu
à 14 (quatorze) complications seulement et n'ayant entraîné qu'un
décès.
Étant
donné l'impossibilité de comparaison statistique de ces chiffres
nous ne pouvons indiquer le pourcentage exact de complications
graves ou de décès dans les avortements provoqués, nous pouvons
simplement dire que 55 (cinquante-cinq) complications ont entraîné
16,96 % (seize, quatre-vingtseize pour cent) de mortalité.
L'auteur
conclut : l'avortement en 1969 : une éventualité pathologique
immédiatement redoutable.
AVORTEMENT
THÉRAPEUTIQUE
L'avortement
thérapeutique est le nom que l'on donne à l'avortement décidé
pour sauver la vie de la mère menacée par la grossesse actuelle.
Ces indications sont reconnues par la loi française, il est question
de les étendre :
1
° Non seulement quand la vie de la mère est en jeu mais de même
si sa santé est gravement compromise.
2°
Enfin sont apparues les indications foetales depuis que la science
a laissé espérer un diagnostic intra-utérin d'une maladie ftale
due par exemple aux aberrations chromosomiques.
Notre
propos n'est pas de discuter de l'extension de la loi, des risques
de voir l'avortement se libéraliser et son chiffre décupler.
On
pourrait penser que l'avortement pratiqué dans un but thérapeutique
en milieu médical - hospitalier ne comporte pas
de risque : il n'en est rien.
Nous
nous référerons à une statistique danoise parue en novembre 1970
portant sur les complications des avortements thérapeutiques :
le texte est paru dans la Revue américaine internationale de Gynécologie
et d'Obstétrique. De 1933 à 1966 les avortements thérapeutiques
passent au Danemark de 500 (cinq cents) à 5 000 (cinq mille) par
an (chiffre atteint dès 1951). L'étude sur le Danemark fait état
de 27 435 (vingt-sept mille quatre cent trente-cinq) déclarations
officielles d'avortements de 1961 à 1966.
Les
techniques vont de l'injection intra-ovulaire à l'hystérectomie
par voie abdominale.
Je
voudrais vous apporter quelques chiffres qui permettront d'éclairer
notre propos. Ces chiffres viennent du Syndicat national des Gynécologues
et Obstétriciens de France, ce sont les suivants : ayant
actuellement en France 0,5 % (zéro cinq pour cent) naissance
d'avortement thérapeutique soit 400 (quatre cents) par an, on
admet que si la loi Peyret passe le pourcentage passera de 0,5 %
(zéro cinq pour cent) à 2,5 % (deux, cinq pour cent) soit
environ 2 000 (deux mille) par an ; mais si on fait
cette libéralisation progressive mais beaucoup plus importante,
les chiffres seront beaucoup plus élevés et nous avons comme référence
les pays scandinaves avec des avortements atteignant 30
naissances, l'Amérique 25 . Ces chiffres méritaient
d'être signalés avant de continuer notre exposé.
En
fait, dans une autre statistique le taux de complication augmente
de 2,9 à 4,7 % (deux, neuf, à quatre, sept pour cent) mais
la mortalité diminue de 7 (sept) à 3 (trois) pour 10 000
(dix mille). Certaines complications ont été observées : hémorragie
par perforation 88, (quatre-vingt-huit fois) ce qui représente
1,8 % (un, huit pour cent). Après dilatation aux bougies
de Hégar, des complications sont survenues et ont entraîné des
interventions abdominales dans la proportion de 0,7 % (zéro,
sept pour cent). On a enfin observé des infections ovulaires après
ponction de l'uf ou injection intra ovulaire. Par conséquent,
il existe de 3 (trois) à 10 % (dix pour cent) de complications
avec les diverses méthodes employées et le taux des complications
augmente avec le terme plus ou moins avancé de la grossesse.
Le
résumé français de cet article conclut dans les termes suivants :
il semble que l'on puisse recommander de prendre ces risques en
considération lorsqu'on envisage un avortement thérapeutique.
PROBLÈME
PSYCHOLOGIQUE
Il
nous faut aborder maintenant le problème des incidences psychologiques
des avortements.
Ces
conséquences sont le plus souvent à type de culpabilité, elles
sont prolongées, elles sont très souvent maintenues secrètes,
elles sont capables de perturber de façon grave la vie de la femme
et la vie du couple. Elles sont d'autant plus difficiles à apprécier
que les manifestations conscientes de cette inquiétude et de ces
remords ne sont pas les seules et que l'on peut avoir des perturbations
inconscientes à l'origine de véritables névroses. Les femmes qui
se sont fait avorter souffrent d'un sentiment de culpabilité ;
la raison en paraît double, elles se sentent coupables d'avoir
violé la loi collective, elles se sentent coupables d'avoir violé
la loi individuelle.
© Laissez-les-Vivre
SOS Futures Mères, novembre 1971
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