Directeur
de recherches à l'Université Lyon II
Président de l'Union Départementale des Associations
Familiales du Rhône
Vice-Président Délégué de la Fédération
des Familles de France
Les
idées développées dans cet exposé
engagent la responsabilité de leur auteur, mais en aucune
manière celle des organismes ou il exerce des responsabilités.
Les
questions économiques sont secondaires par rapport aux
questions philosophiques et morales. Plus exactement, elles leur
sont subordonnées, car la vocation de l'économie
est d'être au service de l'homme, au service des uvres
de l'esprit.
J'ai
donc conscience de venir parler ici d'un sujet qui a moins d'importance,
intrinsèquement, que vos réflexions sur le respect
de la vie, sur le rôle irremplaçable de l'amour au
sein de la famille, sur la nécessaire solidité de
la cellule familiale, sur l'éducation de nos enfants, sur
la liberté de choix dont les familles doivent pouvoir disposer,
notamment en matière d'éducation scolaire, etc...
Néanmoins,
l'économie est une dimension de l'homme, une dimension
qui prend beaucoup de son temps, et notre accomplissement, en
tant qu'homme, notre amour et notre dévouement se réalisent
pour une part non négligeable à travers des actions
qui ont un caractère fortement économique. Quand
une mère de famille prépare le déjeuner ou
emmène ses enfants dans les magasins leur acheter des habits,
il n'y a aucune séparation entre son amour maternel et
sa fonction économique : l'un s'incarne dans l'autre.
Il
en va de même de la réflexion économique.
Pour moi, faire progresser l'analyse du rôle économique
de la famille, de ses responsabilités et de ses droits
dans ce domaine, c'est une manière de servir l'idéal
familial auquel je suis attaché de toute mon âme.
Pour un homme, faire les efforts que requiert sa profession, son
gagne-pain, c'est une manière de se mettre au service de
sa femme et de ses enfants, et partant de les aimer. L'effort
que je vais vous demander en matière de réflexion
économique est analogue à ce labeur quotidien. Il
est moins gratifiant de travailler dur toute la journée
que d'embrasser les enfants et de jouer avec eux en rentrant à
la maison, mais c'est aussi un acte d'amour. Pareillement, il
est moins exaltant de chercher à comprendre les services
économiques que rendent les familles à la société,
et les droits qui en résultent, que d'écouter un
orateur nous conforter de nos positions en faveur du respect de
la vie dès son origine, mais ce n'est pas une moindre preuve
de dévouement réel à la cause de l'humanisme
que nous défendons tous.
J'en
donnerais une preuve, parmi d'autres : si la population française,
si ses dirigeants avaient plus clairement conscience des services
rendus à la nation par ceux et celles qui mettent des enfants
au monde et les élèvent de leur mieux, l'accueil
de l'enfant dans la société française serait
meilleur, et l'on trouverait plus fréquemment, aux problèmes
de celles pour qui la grossesse ne se présente pas comme
l'accomplissement merveilleux d'une attente ardente, des solutions
autres que la mise à mort du ftus.
C'est
dans cette perspective que j'entends vous entretenir maintenant
des services que rendent à la société ceux
et celles qui engendrent des enfants et les éduquent de
leur mieux, ainsi que des droits qui forment la contrepartie légitime
de cet apport irremplaçable.
SANS
ENFANTS, PAS DE RETRAITES
Il
y a quelques années, une compagnie d'assurances avait entrepris
une campagne publicitaire sur le thème : vous qui êtes
en période d'activité, ne comptez pas trop sur les
bébés qui naissent aujourd'hui pour vous assurer
une retraite confortable. ils ne sont pas assez nombreux pour
cela. Venez plutôt souscrire nos contrats d'assurance-vie
! Cette campagne fut interrompue parce qu'une caisse de retraite
complémentaire l'attaqua devant les tribunaux et obtint
gain de cause. En un sens, c'est dommage, car cette publicité,
en dépit de ses objectifs mercantiles, attirait l'attention
du public sur un vrai problème: le lien direct entre la
naissance et l'éducation des enfants, et le financement
des futures retraites.
On
peut résumer ce lien en une phrase, un slogan dont j'ai
d'ailleurs fait le titre d'un article qui va paraître incessamment
dans Informations Sociales, la revue de la CNAF
: pas d'enfants, pas de retraites. Ou bien, plus positivement
: c'est la mise au monde et l'éducation des jeunes générations
qui assure aux personnes ayant aujourd'hui la quarantaine ou la
cinquantaine, qu'elles pourront partir à la retraite d'ici
une vingtaine d'année ou peut-être moins, et plus
précisément partir à la retraite avec l'assurance
de toucher régulièrement pendant les nombreuses
années qui leur resteront alors à vivre, du moins
en moyenne, l'assurance de toucher régulièrement
une pension suffisante pour conserver un niveau de vie équivalent,
ou presque équivalent, à celui dont elles bénéficient
aujourd'hui.
La
pension de retraite est garantie à tous, de façon
presque indépendante de la situation de famille, dés
lors qu'il y a eu activité professionnelle. Autrement dit,
les personnes qui n'ont pas d'enfant, ou qui ont un fils ou une
fille unique, comptent sur les enfants des autres pour subvenir
à leurs besoins passé 60 ou 65 ans. Il y a là
une version modifiée de la fable de La Fontaine,
La Cigale et la Fourmi : la cigale ayant chanté
tout l'été, ne se trouva pas dépourvue quand
la bise fut venue, car la fourmi lui donna accès aux provisions
qu'elle avait engrangées. En d'autres termes, les foyers
qui ont donné la vie avec générosité
sont les fourmis qui partagent : lorsque vient le moment de quitter
la vie professionnelle et de vivre du labeur des plus jeunes,
elles laissent les cigales profiter autant qu'elles des cotisations
que versent les gènèrations actives.
LES
DROITS DES FAMILLES DÉCOULENT
DES SERVICES QU'ELLES RENDENT
Mais
quand on partage les bénéfices, il convient de partager
aussi les investissements. Quand on partage le fruit du travail
des générations plus jeunes, il convient de partager
aussi les frais inhérents à l'entretien et à
l'éducation des enfants.
Les
droits économiques des familles résultent entièrement
de ce prinicipe de simple équité
puisque chaque famille ne se réserve pas le fruit du travail
de ses membres les plus jeunes, puisqu'elle laisse la société,
par l'intermédiaire des caisses de retraite, s'emparer
d'une large fraction de cette production, il serait totalement
injuste qu'elle ne bénéficie pas en contrepartie
d'un apport au moment où la formation des jeunes est coûteuse.
Tel
est le principe de la compensation des charges familiales. Il
ne s'agit pas d'aider les familles, parce que celles-ci seraient
en quelque sorte des cas sociaux incapables de subvenir à
leurs besoins. L'expression "aide à la famille",
si souvent utilisée, et de la façon la plus officielle,
est une contre-vérité, un exécrable déguisement
de la réalité. Ce ne sont pas les besoins des familles
qui légitiment les prestations familiales et d'autres apports
de la collectivité dont nous parlerons dans un instant
: ce qui justifie que les familles reçoivent de certains
organismes de l'argent ou des services gratuits, tels que la scolarisation
gratuite ou quasi-gratuite de leurs enfants, c'est que cet apport
va être rendu et il est remboursé avec un taux d'intérêt
considérable, croyez-moi, au moment où les enfants
qui en ont bénéficié, devenus grands, vont
se mettre à financer, par leurs cotisations, les caisses
de retraite.
LES
PRESTATIONS FAMILIALES :
UN PRÊT REMBOURSÉ AU TAUX FORT
Prenons
une comparaison : vous voulez acheter une maison ou un appartement,
mais vous n'avez pas l'argent voulu, alors vous empruntez, est-ce
que la Banque ou la Caisse d'Epargne vous fait un cadeau ?
Non, cet organisme fait son métier, qui est de mettre à
votre disposition de l'argent au moment ou il est utile pour réaliser
vos projets, et de vous faire rembourser ensuite le prêt,
progressivement, et en prélevant au passage des intérêts
suffisants pour couvrir ses frais de fonctionnement et dédommager
ses propres créanciers. Il n'y a pas là-dedans de
la philantropie, les banques ne sont pas des Surs Thérésa
ou des St-Vincent de Paul. Ce sont des organismes qui permettent
de réaliser certains échanges entre des gens qui
ont une utilisation immédiate de certaines sommes, et d'autres
personnes qui, au contraire, sont disposées, à attendre
plus tard, à condition de percevoir des intérêts.
Et
bien, la sécurité sociale, au sens large du terme,
incluant les caisses de retraite complémentaires, assume
un rôle un peu analogue à celui des caisses d'épargne
ou du crédit foncier. En versant de l'argent aux familles
ayant des enfants à charge, elle finance un investissement,
le plus bel investissement qui soit : l'investissement humain,
l'investissement dans les personnes humaines. Et il ne s'agit
pas d'un investissement à fonds perdu : ces enfants, nos
enfants, sont d'ores et déjà ses débiteurs,
ils sont destinés à payer des cotisations aux caisses
de retraite, et vous pouvez être surs qu'ils n'y couperont
pas !
Poussons
le parallélisme encore un peu plus loin. L'argent que l'organisme
de crédit prête au ménage qui fait construire,
ce n'est pas son argent, ses fonds propres, c'est de l'argent
emprunté à une multiplicité d'épargnants,
qui comptent un jour ou l'autre en obtenir le remboursement. Pareillement,
ce que les caisses d'allocations fa'miliales versent aux familles,
ce n'est pas leur argent à elles, ce n'est pas l'argent
de l'État, c'est l'argent des cotisants. Il s'agit là,
sans doute d'une épargne forcée, et non pas d'une
épargne volontaire l'analogie avec les institutions financières
n'est pas totale ! Mais, cette épargne sera bel et bien
remboursée un jour : les pensions de retraite constituent
un tel remboursement.
UNE
IDÉE REÇUE À BALAYER
Une
objection, cependant doit se présenter à nombre
d'entre vous quand un retraité touche sa pension, il a
le sentiment de la mériter en raison de ses cotisations
antérieures aux caisses de retraite, et non pas aux caisses
d'allocation familiales. C'est vrai. Ce sentiment est très
répandu. Mais entre un sentiment et la réalité,
entre ce que les gens croient (ou ce qu'on leur fait croire) et
la vérité, il y a souvent un monde ! N'est-on pas
parvenu à persuader nombre de femmes qu'une grossesse non
désirée est un incident qu'elles peuvent supprimer
sans le moindre problème moral, que le fruit de leurs entrailles,
s'il a fait son apparition à un moment qui ne leur convient
pas, est un intrus qu'on a le droit de mettre à la porte
comme un visiteur importun ou un colporteur sans gêne.
De
fait, on a réussi a persuader la majorité des braves
gens que ce sont leurs cotisations aux caisses de retraite qui
leur valent des droits à la retraite. La législation
s'y est même employée, comme elle s'est employée
à déculpabiliser l'avortement. Mais, quand on regarde
attentivement, ce mirage s'évanouit, ces faux-semblants
cessent de faire illusion.
En
effet, pour acquérir des droits, des droits qui concernent
l'avenir, il faut contribuer à préparer l'avenir.
Si vous souscrivez des obligations ou des titres participatifs,
disons de St-Gobain, vous pouvez vous attendre il être remboursé
seulement parce que St-Gobain utilise cet argent pour moderniser
ses usines ou pour développer sa recherche, c'est-à-dire
pour préparer ses activités futures. Or, quand nous
versons de l'argent aux caisses de retraite (ou quand notre employeur
le fait pour nous), cet argent ne sert pas à préparer
l'avenir. Il est utilisé pour verser des pensions aux retraités,
ce qui est très bien, mais cela constitue une consommation
et non pas un investissement.
Au
contraire, Quand notre argent passe aux caises d'allocations familiales
ou à l'éducation nationale, il sert à nourrir,
à vêtir, à instruire des enfants, et c'est
cela préparer l'avenir. Ces enfants, un jour, seront capables
de produire et par conséquent de nous rembourser nos avances.
Tandis que le Monsieur de 65 ans qui touche sa pension grâce
à nos cotisations, comment diable pourrait-il bien faire,
dans 20 ans, pour nous rendre la pareille ?
Balayons
donc une fois pour toutes l'illusion que les caisses de retraite
forment un système autonome, balayons l'illusion que les
retraites peuvent se préparer en versant des cotisations
aux caisses de retraite par répartition. Les caisses de
retraite dépendent des enfants, et par conséquent
des familles ce qui les Iie iIndéfectiblement aux caisses
d'allocations familiales et à l'éducation nationale.
Les retraites se préparent en donnant le jour à
des enfants, en les éduquant jour après jour, pendant
une vingtaine d'années, jusqu'à ce qu'ils soient
capables, par leurs compétences professionnelles et aussi
par leurs qualités morales et leur santé, aussi
bien psychique que physique, d'occuper des emplois productifs.
Masquer cette vérité conduilt à produire
ce que J. RUEFF appelait des "faux droits", et
ce grand économiste a montré avec beaucoup de clarté
qu'une civilisation qui produit trop de faux droits s'empoisonne
elle-même, et finit pour en mourir. Et cette mort est là,
à notre porte, elle a le visage de ce que M.CHAUNU
appelait la peste blanche, c'est-a-dire le refus de l'enfant.
Mes amis DUMONT et LEGRAND ont dû vous parler,
hier, du péril mortel que représente pour l'Occident
le fait de ne plus suffisamment vouloir la vie. Et bien, les faux
droits et les mensonges que je dénonce aujourd'hui devant
vous, avec l'espoir que votre militantisme vous amènera
à les démasquer à votre tour et à
faire la vérité autour de vous, ces impostures,
dis-je, constituent de véritables mouches tsé-tsé
de la peste blanche, des vecteurs très efficaces de diffusion
de cet horrible bacille.
DES
ORDRES DE GRANDEUR
Je
voudrais maintenant donner quelques chiffres qui montrent l'ampleur
de l'effort réalisé par les familles au service
de la collectivité.
Je
vous communiquerais tout d'abord, en l'actualisant, un calcul
fait en 1975 par Alfred SAUVY. Il s'agit de ce qu'un enfant
coûte en moyenne à sa famille, de sa naissance à
18 ans, abstraction faite des frais de scolarité pris en
charge par les administrations. Au total, on obtient 430 000 F
de 1983. Ce chiffre n'a rien d'étonnant, construire un
homme, si je puis m'exprimer ainsi, cela peut bien coûter
aussi cher que construire une maison Phénix ! Mais faisons
le total, pour l'ensemble des familles françaises: cette
année, elles auront dépensé pour entretenir
leurs enfants mineurs environ 360 milliards, soit 24 000
francs par enfant en moyenne. Ce chiffre est un ordre de grandeur
très fiable, puisqu'une étude toute récente
de l'INSEE aboutit a 10 % près au même résultat.
Face
à ces 360 milliards qui ne tiennent absolument pas compte
du travail effectué par les mères de famille au
service de leur progéniture, l'apport de l'État
et des caisses d'allocation familiale se situe aux alentours de
120 milliards : le tiers. Vous voyez qu'il y a une marge considérable
entre les frais que les familles engagent pour leurs enfants,
assurant ainsi l'avenir du pays et notamment celui des caisses
de retraite, et les compensations qu'elles reçoivent en
retour.
On
peut cependant aboutir à une proportion supérieure
au tiers si l'on tient compte de facteurs tels que la gratuité
de l'enseignement, c'est-a-dire plus exactement du report des
coûts de l'enseignement sur l'ensemble des contribuables.
Je vais donc vous indiquer quelques ordres de grandeur que j'ai
récemment calculés, et qui montrent l'exploitation
dont sont victimes les familles, en particulier les familles nombreuses.
ÉVALUATION
DE L'APPORT NET D'UNE FAMILLE NOMBREUSE
Prenons
une famille comptant 5 enfants, et calculons d'une part ce que
cette famille apporte aux régimes de retraite, d'autre
part ce qu'elle reçoit de la société.
Devenus
grands, les enfants de cette famille verseront au minimum 1 800
000 F aux caisses de retraite (il s'agit de francs 1980 - nous
raisonnons ici en francs constants de 1980).
La
famille, elle, touchera au mieux 400 000 F de prestations familiales
; la gratuite de la couverture maladie peut être estimée
à 160 000 F et celle de la scolarité, en comptant
très largement à 700 000 F.
Au
total, donc, et en calculant largement, c'est 1 260 000
F que la société aura dépensé pour
l'entretien et l'éducation de ces 5 enfants qui, en revanche,
leur rapporteront au moins 1 800 000 F. Vous voyez
que la société fait la un très joli placement
!
En
d'autres termes, une famille nombreuse de 5 enfants est bienfaitrice
de la nation, et surtout des personnes sans enfants ou n'ayant
qu'un enfant unique à hauteur de 54 0000 F de 1980,
ou si vous pré-férez de 730 000 de nos francs
1983.
En
quelque sorte, chaque famille nombreuse construit l'équivalent
d'une maison et en fait cadeau à la France.
Pour
la remercier, les dirigeants de notre pays, de quelque formation
politique qu'ils relèvent d'ailleurs, se gargarisent en
parlant de l'effort social de la nation en faveur des familles,
de l'aide à la famille. Comme les personnages de Molière,
le caractère grostesque de ces propos nous amène
a en rire, alors même que la dimension tragique de ce contre-sens,
de ce mensonge porteur de la peste blanche, pourrait a bon droit
nous tirer des larmes.
LES
FAMILLES SONT EXPLOITÉES
COMME L'ÉTAIENT JADIS LES OUVRIERS
Si
nous voulions rétablir a peu près l'équilibre,
l'équité, nous pourrions mutiplier la masse des
prestations familiales par un cfficient compris entre 2,5
et 3. Telle est l'ampleur de la spoliation dont sont victimes
les familles. Et telle est par conséquent l'ampleur de
ce que ceux qui militent pour la justice et contre le virus de
la peste blanche sont fondés à réclamer pour
les familles françaises, qui sont pourtant parmi les moins
injustement traitées au sein des pays développés.
Il
ne s'agit pas de demander une aumône ; il s'agit d'obtenir
une juste contrepartie pour des services que les familles rendent
a la nation, sans même le savoir, et que la nation ne reconnaît
pas a sa juste valeur. Il s'agit de faire en sorte que l'échange
qui existe entre personnes ayant plus ou moins d'enfants soit
conforme à l'équité, à ce que l'on
appelle parfois la justice commutative. Quand les ouvriers, au
XIXe siècle réclamaient de meilleurs salaires, c'est-à-dire
une part plus importante du revenu national, ils ne voulaient
pas qu'on leur fasse la charité, mais qu'on leur accorde
une part de la production qui soit en rapport avec leur participation
à l'activité productive. Fort heureusement, les
salariés ont obtenu gain de cause É et peut-être
même un peu plus, mais ceci est une autre histoire .
Les familles doivent exercer une pression analogue, pour obtenir
que le paternalisme de l'État, qui ressemble tellement
aux bonnes uvres de certains milieux patronaux du XIXe siècle,
cède le pas à l'organisation d'échanges équitables.
Les
familles n'ont pas d'autres droits économiques que ceux
qui forment la contrepartie des devoirs qu'elles assument et des
services qu'elles rendent. Militer pour que ces droits soient
pleinement reconnus, c'est donc combattre pour plus de justice,
et en même temps, c'est combattre en faveur de la vie, car
il est clair, il est certain, même si les responsables cherchent
toutes sortes de mauvaises raisons pour ne pas le voir, il est
clair que le renouvellement des générations ne s'effec-tuera
normalement en Occident, que le jour où ceux qui mettent
des enfants au monde ou envisagent de le faire, sentiront concrètement
que, ce faisant, ils obtiennent la considération et le
respect qui leur est dû, et non pas la condescendance de
gens qui les traitent en assistés.
Dérrière
les questions d'argent. il y a donc une question de dignité,
qui est essentielle. Si nous voulons que la famille soit respectée
et honorée, nous devons obtenir que ses droits économiques
le soient, car l'exploitation et le mépris vont de pair,
et c'est bien souvent en mettant fin a l'exploitation que l'on
parvient à transformer le mépris en consi-dération.
Je voudrais, en conclusion, vous dire très brièvement
dans quelle direction nous devrions, me semble-il, axer nos efforts.
COURAGE
ET LUCIDITÉ
Tout
d'abord, il est évident qu'on ne peut pas se contenter
d'augmenter massivement les prestations familiales, sans rien
modifier à la sécurité sociale. Cela reviendrait
à augmenter massivement les cotisations ou les impôts,
et cela n'est pas envisageable. Il faut avoir le courage de le
dire : traiter correctement les familles suppose que l'on jette
moins d'argent par les fenêtres dans d'autres secteurs.
A
ce propos, comment ne pas s'inquiter du choix désastreux
qui a été fait a propos de la retraite à
60 ans ? Ce choix, je le comparerais à celui que font
quelques entreprises : céder aux revendications salariales,
donner à leurs employés la totalité de l'argent
qui rentre dans les caisses, si bien qu'il n'en reste plus pour
investir, il ne reste pas même de quoi assurer le renouvellement
normal du matériel. Le directeur d'une telle entreprise
sera sans doute très applaudi, dans un premier temps, par
ses employés, surtout si toute la formation économique
dont ils disposent pour analyser la situation consiste dans les
discours inlassablement rabachés de certains syndicats
! Mais au bout de quelques années, ce sera la faillite.
En ce qui concerne la sécurité sociale, les temps
de réponse sont plus longs, c'est seulement dans une génération
: 20 à 30 ans, que l'on s'apercevra de l'ampleur du désastre.
Les hommes politiques qui ont pris la décision démagogique
de sacrifier les familles pour favoriser les départs précoces
à la retraite ne seront plus là, mais nous subirons
bel et bien les conséquences de leurs actes.
Les
remboursements de frais médicaux par l'assurance maladie
doivent, eux aussi être freinés au profit de la politique
familiale. Beaucoup ont fait des gorges chaudes, parce que M.
Bérégovoy a établi un forfait hospitalier
de 20 F par jour. Où allons-nous avec des réactions
d'un conservatisme pareil ? Est-ce qu'une cantine scolaire
non subven-tionnée pourrait tourner avec moins de 10 F
par repas ? Une société de petits vieux frileusement
recroquevillés sur leurs avantages acquis, voilà
l'image de la France qui ressort de ces réactions.
Pour
moi, je préférerais une France qui acceptât
de se faire soigner un rhume ou une rougeole sans remplir de feuilles
de maladie, et qui ne sacrifierait pas ses familles. Il faut savoir
dégager les vraies priorités.
Un
mot enfin sur le chômage. Le budget des ASSEDIC est
sur le point de rejoindre celui de caisses d'allocations familiales.
En 1973, si quelqu'un avait proposé un programme de développement
des prestations familiales coûtant 80 milliards par an à
l'horizon 1983, tout gouvernement sérieux aurait dit :
vous voulez ruiner la France ! Or, ces 80 milliards ont été
trouvés pour le chômage. Plus question, cette fois,
d'impossibilité. On a même été jusqu'à
emprunter pour financer les ASSEDIC, c'est-à-dire
pour payer des dépenses de consommation, alors que jamais
un gouvernement n'aurait eu l'idée d'emprunter pour financer
les caisses d'allocations familiales, qui elles financent l'investissement
le plus nécessaire à l'avenir du pays.
Voici donc un 1er point; pour donner aux familles ce à
quoi elles ont droit en bonne justice, il faut avoir le courage
de manier la hache. Rien ne peut se faire sans ce courage là.
SORTIR
DE LA ROUTINE
Mais,
le courage ne suffit pas, il faut aussi des idées, de l'imagination.
Et de ce point de vue, je ferais, pour me limiter, deux propositions
:
d'abord, pourquoi ne pes donner aux familles le choix entre des
prestations familiales ou un complément de droits à
la retraite ? Des familles aisées se passeraient des prestations,
ayant de quoi vivre confortablement sans elles ; en échange
de cet effort réalisé au niveau de l'éducation
des jeunes générations, le père et la mère
de famille recevraient des points de retraite. La justice y trouverait
son compte, et cela ferait autant de sommes en moins à
prélever et à redistribuer. Dans la même optique,
pourquoi faire payer des cotisations "famille" aux pères
et mères de familles nombreuses. Laissons-les recevoir
de leur employeur l'argent correspondant : ce sera toujours autant
de moins à leur verser sous forme de prestations.
2ème
proposition : celle d'un statut de la mère de famille,
y compris l'alIocation de libre choix, il est essentiel que les
mères de famille reçoivent es-qualité des
droits à la retraite, et pas sous forme d'une bonification
de 2 ans pour celles qui ont un emploi, mais sous forme de points
attribués à toutes, de façon égalitaire.
Il est essentiel que ces mères, quand elles veulent s'occuper
elles-mêmes de leurs enfants, et notamment de leurs bébés,
qu'elles voudraient pour la plupart garder chez elles, plutôt
que de les confier à une crêche ou à une nourrice
il est essentiel, dis-je, qu'on ne les en dissuade pas
pour des raisons pécuniaires. S'occuper d'un petit bonhomme,
lui apprendre à marcher, à devenir propre, à
parler, lui donner toute l'affection dont il a un besoin absolu,
est-ce que cela serait moins utile que mettre des petits pois
en boîte ou d'adresser à des milliers de gens des
réclames qu'ils mettent directement à la corbeille
à papier ? Alors, si ce n'est pas moins utile, pourquoi
refuser à la mère les moyens pécuniaires
de s'adonner à la plus noble des occupations ?
Je
terminerais en reliant ce refus à celui que vous combattlez
de toutes vos forces, le refus de la vie. Pourquoi des femmes
en viennent-elles a considérer le ftus comme un gêneur
qu'il faut faire disparaître ? Parce que l'enfant est
souvent vécu lui-même comme un gêneur, un boulet
que l'on traîne en plus d'une activité professionnelle
absorbante, dont on se débarrasse dans une crèche
ou entre les mains d'une nourrice. Une société qui
soustrait les enfants à l'affection de leurs mères
durant les 2 premières années de l'existence, pour
de mesquines questions d'argent, est tout naturellement une société
prête à soustraire le ftus à la protection
du ventre maternel. Une enquête que j'ai dirigée
récemment dans les maternités lyonnaises, montre
que 90 % des jeunes mères voudraient se consacrer pendant
2 ans entièrement à leur bébé. La
plupart ne le peuvent pas, pour des raisons pécuniaires.
Une société qui tolère cela, qui préfêre
envoyer des dizaines de milliers d'hommes de 50 ans à la
pré-retraite, que de financer l'allocation de libre choix,
une telle société n'a ni le respect de la famille
ni celui de l'amour maternel. Quoi d'étonnant à
ce qu'elle n'ait pas davantage le respect de la vie ?
Alors,
je vous en conjure, continuez à lutter de toutes vos forces
pour convertir cette société, pour la faire enfin
se diriger vers l'avenir, qui appartient à la vie, a ceux
qui l'aiment et qui savent en construire les conditions, y compris
les conditions économiques de son épanouissement.
Théodore
SCHULTZ (Prix Nobel d'Économie) , Il n'est richesse
que d'hommes (Ed Bonnel. 1983). « Nous nous
inquiétons beaucoup des dlsponibiliés alimentaires,
énergétiques en espace et en autres données
liées aux caractéristiques physiques de la terre.
Mais cette inquiétude n'est pas nouvelle. Elle a été
exprimée avec force au debut du XIXe siecle par David
Ricardo et Thomas A. Malthus. Dans la mesure où les
sombres prédictions actuelles se fondent encore pour
l'essentiel sur l'idée d'un déclin des ressources
physiques de la Terre, je les rejette en bloc, quant à
moi, car toute prévision plausible doit faire entrer
enligne de compte la faculté qu'a l'homme de surmonter
les modifications de son environnement physique et les estimations
pessimistes n'en tiennent pas compte, la clé de la
productivité economique à venir et de sa contribution
au bien-être humain se trouve dans l'accroissement des
aptitudes acquises de la population du monde entier et dans
le progrès des connaissances utiles.
Mon argumentation repose sur un point essentiel : ce sont
les investissements en qualité de la population et
en savoir qui déterminent pour une bonne part les perspectives
futures de l'humanité. La prise en compte de ces investissements
ne peut qu'entraîner une réfutation des prédictions
d'epuisement des ressources naturelles... » |
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SOS Futures Mères, novembre 1983
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