Mesdames
et Messieurs,
Les
chiens aboient, les caravanes passent, le premier sentiment que
l'on éprouve, quand on se trouve en face de vous
comme je le suis en cet instant , c'est un sentiment de
profonde gratitude.
Votre
obstination, votre fidélité, votre persévérance,
votre assiduité aux congrés et aux manifestations
qui se succèdent, et qui se succéderont, vous ont
fait assumer dans l'histoire des hommes un rôle sans proportion
avec votre nombre et laissez-moi le dire comme je le pense
sans proportion avec ce que j'appellerai notre modestie
à tous.
Il
n'y a pas d'option personnelle en matière de respect de
la vie et il n'y a pas d'option philosophique. Le respect de la
vie de l'homme relève d'un impératif de structure,
qui comme tel sl'impose objectivement à tous.
D'éminents
philosophes viennent de nous rappeler et de nous enseigner des
choses, que nos sociétés et ceux qui les gouvernent
n'auraient jamais dû perdre de vue. Laissez-moi faire office
de "voiture-balai" et ramasser quelques effets terre-à-terre,
c'est-à-dire si vous le permettez, quelques aspects cliniques
de la question. Vous allez voir en quoi comme vient de
le dire le Professeur Bruaire un médecin peut savoir,
au regard de la science, ce qui le distingue d'un vétérinaire.
Je crois qu'aujourd'hui j'ai fait un adepte de plus à la
cause pscyhanalytique. Je vois que nous partageons beaucoup de
représentations et c'est de bon augure pour un rétablissement
culturel de nos générations.
Le
14 novembre 1983, c'est-à-dire il y a quelques jours, la
télévision française procède à
la rediffusion d'un film bien connu, où 3 acteurs en jettent
du train un 4e. Le jour même ou du lendemain, trois crétins
trouvent moyen d'en faire autant vis-à-vis d'un quatrième
voyageur innocent...(1)
Je
n'en ferai pas une théorie mais il est bien évident
que l'image du crime et à plus forte raison le crime lui-même,
engendrent le crime. Surtout, si au lieu d'être désavoués,
ils sont encouragés.
La
législation contemporaine - en voie de devenir universelle,
si nous n'y prenons activement garde du meurtre des hommes
intra-utérins n'est pas faite pour promouvoir le progrès
des civilisations.
Le
progrès du genre humain, Mesdames et Messieurs, s'est toujours
opéré dans l'application d'un savoir, et jamais
dans le triomphe de l'ignorance.
Que
ce que je vais dire ne vous monte pas à la tête,
mais il faut vous persuader que votre combat est celui de l'intelligence
et de l'instruction contre la sottise et
l'ignorance.
Nous
ne vivons pas dans un siècle de lumière ; il
faut le regretter. Mais ce serait une erreur de le croire. Nous
vivons dans un siècle de transition, où des pouvoirs
politiques généralement mal affermis et surtout
dans nos pays d'appellation démocratique sont encore
contraints de s'appuyer sur les aspects les plus fantasques et
les moins fiables des velléités des populations.
Qu'ils cultivent, d'ailleurs, pour leurs visées de stratégie
électorale.
Il
n'y a pas de motivation plus générale, de l'aberration
intellectuelle et morale pourtant en passe de devenir ubiquitaire
de la loi contre laquelle vous avez été contraints
de vous dresser et de faire front.
Vous
remarquerez facilement, Mesdames et Messieurs, la fréquence
anormale avec laquelle dans nos sociétés on s'adonne
à la tâche de gérer la mort. Ce qui est tout
simplement le signe d'une carence de la pensée. Ça
ne date pas d'hier. L'imbécile qui criait "Vive la
mort" - "Viva la muerte" a prospéré.
Si
nos concitoyens pensaient, ils auraient honte de s'instituer si
souvent en gestionnaires de la mort. Imaginez seulement d'ici,
le charme que ça peut avoir pour quelqu'un, de gérer
un avortoir. Remarquez pourtant encore, combien est significative,
cette dissimulation de tout ce qui désigne administrativement
la mort et spécialement la mort violente volontaire
administrée par le moyen pudique des abréviations.
Pour dire avortement, on dit I.V.G., pour dire tentative de suicide,
dans les services on dit T.S., pour dire bombe atomique vouée
à détruire l'Europe, on dit SS 20. Chacun de vous
trouvera encore d'autres exemples.
Comment
nier dès lors que quelque chose de l'ordre de la religion
a à voir avec ce fondamental affrontement de la vie et
de la mort ?
Dans
notre métier de psychanalystes, il n'y a pas un film, une
exposition, un événement public important qui ne
reçoive dans les vingt quatre heures, de la part des patients,
son commentaire.
Et bien, qu'est-ce qu'ils ont dit dans cette histoire de l'arabe
jeté du train, métaphore et je dirais même
métonymie on ne peut plus appropriée de l'enfant
indésirable jeté du train de la vie ?
Ils
ont tous dit que la véritable horreur, l'horreur la plus
intime, celle qui a la plus grande portée et la plus grande
signification, ça a été de constater que
les assistants n'étaient pas intervenus.
C'est
celui-là le poème fort que les philosophes auront
indéfiniment à faire valoir.
Quant
à moi, le seul témoignage que je puisse vous apporter
c'est que le mouvement scietifique est de votre côté
; et que vous êtes du côté de la science. La
science moderne, en ses niveaux d'énonciation actuels,
dit qu'il faut - au sens propre du terme être
'fou" c'est-à-dire psychotique , avec
toutes les conséquences corollaires qu'il vous est quotidiennement
donné de constater , pour penser un seul instant
qu'un homme n'est pas un homme parce qu'il est intra-utérin.
Hommes,
ils le sont encore plus que nous, quand chacun sait aujourd'hui
que l'homme se définit scientifiquement d'être un
signifiant, c'est-à-dire une espérance.
Quand
toute la science, aujourd'hui, converge à se représenter
l'homme comme "échappant lui-même à la
science" ("il n'y a pas et il ne saurait en aucun
cas y avoir de science de l'homme ; parce que l'homme de
la science n'existe pas, mais seulement son sujet") ;
parce que l'homme est le produit d'un mystérieux
(mystérieux pour tous les hommes) ... d'un mystérieux
investissement par le signifiant, de cette lignée jusqu'alors
continue des êtres vivants.
Signifiant.
qui introduit le langage, en même temps qu'il introduit
entre l'homme et toute la lignée jusqu'alors continue de
tous les autres êtres dits vivants, cette coupure, cette
rupture sans transition, qu'aucune flagornerie, aucune fantasmagorie,
aucune démagogie, aucune idéologie et je dirai même
aucune écologie ne pourront jamais combler.
C'est
vous qui êtes du côté de la science, et jamais
vos adversaires.
La
psychanalyse, scientifiquement conçue comme on le fait
à l'école de la Cause Freudienne, qui, coïncidence
piquante, tenait ses assises il y a juste un mois, dans ce même
Palais des Congrès, sur le thème de l'Éthique
et je dois dire dans une salle sensibliement plus grande
que celle-ci, la salle bleue, à laquelle il avait encore
fallu ajouter une autre salle, connectée par télévision
et probablement la doctrine scientifique actuelle la plus
fermement hostile au concept et à la pratique de l'avortement
humain.
Nous
faisons exactement au registre subjectif et mental, ce que Lejeune
fait au registre génétique et corporel.
C'est-a-dire
que nos recherches et notre action sont symétriques et
convergent scientifiquement dans la démonstration de l'absurde
aberration de l'avortement.
Les
psychanalystes sont contre i'avortement pour mille raisons théoriques
et pour mille raisons pratiques.
Je
n'ai pas ici à faire larmoyant, mais la psychanalyse est
bien placée pour savoir quel désastre psychologique
elle est obligée de connoter et pendant combien de temps,
quand une femme fait mention de quelque avortement.
N'en
déplaise aux obstétriciens ici présents
et par exemple à mon très grand ami Pierre Vignes ,
les femmes ne comptent pas leurs enfants en fonction de leurs
parturitions, de leurs accouchements, mais en fonction de leurs
conceptions. En tous cas sur le divan du psychanalyste.
Et
même une femme aussi peu douée intellectuellement
que qui je pense et que vous pensez, aurait pu savoir ça
et en prendre acte. Vous mesurez quelle régression culturelle
et politique de l'Europe cela peut signifier, que nos représentants
respectifs se soient accordés à la prendre comme
présidente.
Mais
désastre aussi des fratries. quand l'un des frèrel
est assaissiné par les géniteurs, tous les autres
frères se sentant consciemment ou non, humiliés
et traumatisés.
C'est
un désastre pour un homme, d'avoir à se dire qu'il
tient la vie non plus de l'immense et irrépressible
puissance créatrice de l'Univers, mais de l'arbitrage
c'est-à-dire du caprice de son petit papa
et de sa petite maman.
Ce
ne sont pas les hommes nés dans ces conditions-là,
qui sauront, demain être à la hauteur de la force
de vie toujours plus nécessaire, par les temps qui courent,
pour être capables de porter dignement le nom d'homme.
A
cette conception de l'homme, comme sujet de la parole créatrice
du monde et non comme fils à papa ou fiston à
sa mémère , personne ne peut désormais
échapper et vous n'y échapperez pas vous-mêmes.
Mais
cette exaltation moderne et constante, dans la philosophie
sérieuse de la parole créatrice - "de
la fonction et du champ de la parole et du langage", comme
on dit maintenant implique et suppose le respect préalable,
inconditionnel, des corps vivants qui sont capables de la recevoir,
de la donner et de la transmettre.
Vous
savez la chanson :
Un
oranger
sur le sol irlandais
on ne le verra jamais.
Escompter
voir émerger une civilisation de l'avortement autant escompter
voir sortir des orangers, des citrons ou des pommes, d'un citronnier,
d'un oranger ou d'un pommier dont on aurait au préalable
soigneusement scié le tronc à la racine.
Cette
insistance scientifique est bien ce qui met le plus violemment
en péril l'action et les posi tions des avorteurs ;
et qui finira nécessairement par en venir à bout.
On
n'a jamai pu faire indéfiniment obstacle au développement
et à la propagation d'une notion scientifique.
(1)
Allusion à un fait réel : trois parachutistes
revenant de permission, avaient jeté, par la fenêtre
du train, un voyageur nord africain (N.D.L.R.).
© Laissez-les-Vivre
SOS Futures Mères, novembre 1983
|