La
tache qui m'est impartie est particulièrement délicate,
puisqu'elle consiste à essayer d'exposer un mécanisme,
qui dans son principe est simple, mais dans son application complexe.
Donc, nous avons vu les principaux traits du "baby crack"
: dès la fin des années 60, en Europe occidentale,
la fécondite plonge, et à partir du milieu des années
70, les générations ne sont plus remplacees en France,
alors qu'elle ne l'étaient plus, depuis plusieurs annees
au Danemark, en R.F.A., au Benelux, etc... Mais, ce qui est particulierement
frappant, c'est qu'avec une dizaine d'années de retard,
l'Europe du Sud est frappée par le même phénomène,
et celui-ci est encore plus rapide et encore plus profond. Le
refus de la vie atteint, à present, des niveaux inouis
dans les populations italiennes d'Emilie - Romagne, de Ligurie,
de Venetie où l'indioe de fécondité atteint
des niveaux qui n'ont jamais été observés
durablement dans le passé, sauf peut-être à
Vienne en 1933. C'est des niveaux inferieurs à 1 enfant
par femme. C'est-à-dire que les femmes refusent mariage
et maternité.
L'Europe
des Douze.aujourd'hui présente 3 800 000 naissances.
Dans son ensemble 10 femmes, compte tenu de la fécondité
actuelle, mettraient 16 enfants au monde, au cours de toute leur
vie féconde, en moyenne. L'Europe des Douze, c'est aujourd'hui
l'Europe des 1 200 000 naissances qui lui manquent chaque
année pour renouveler ses générations. C'est
aussi l'Europe des 1 200 000 avortements communautaires.
Le
déficit total accumulé depuis le milieu des années
70 pour remplacer les générations approche d'ores
et déjà les 12 millions d'enfants. Ces 12 millions
d' enfants
entaillent de manière implaccable la base de la pyramide
de la population de l'Europe. Mais, parallèlement à
ce "baby-crack", il apparaît un phénomène
dont les démographes ne prennent toute la mesu-e que depuis
quelques années.
En
effet, par exemple en France, ce phénomène est le
suivant :l'espérance de vie s'est accrue beaucoup plus
rapidement que dans le passé, et c'est surtout la croissance
de cette espérance de vie, il faut s'en rejouir, qui est
surtout bénéfique au 3e âge... En effet, les
progrès de la lutte contre la mortalité au cours
des 25 premières années ont permis de préserver
7 % du groupe d'âge 60-64 ans, 15 % du groupe d'âge
70-74 ans, 3 % du groupe d'âge 80-85 ans et près
de 60 % des 90 ans et plus. Donc, vous voyez que les progrès
d'esperance de vie sont rapides, et concernent essentiellement
désormais depuis 20 ans, les personnes du 3e âge.
Il faut s'en réjouir, bien-sûr. Mais, c'est un fait.
Alors, ceci a des conséquences très importantes,
dont on n'a pas encore mesuré toute la portée.
Compte
tenu des structures actuelles de la mortalité,et des structures
sociales, 90 nouveaux-nés sur 100, qui voient le jour dans
nos pays d'Europe, semblent à présent assurés.
de survivre jusqu'à leur 60ème anniversaire, âge
auquel il s'attendent à jouir, pendant plus de 21 ans de
leur retraite.
Ainsi,
les nations les plus avancées, et celles de la Communauté
en particulier, dans ces nations, le XXe siècle se termine
par l'émergence d'une nouvelle.forme de société,
encore inconnue dans l' Histoire des hommes, où pour la
première fois cohabitent, trois, quatre, voire cinq generations,
alors que dans le même temps, l'implosion démographique
entaille la base des pyramides. Autrement dit, le XXIe siècle
s'annonce pour nos sociétés comme celui de l'inversion
des pyramides demographiques.
Alors,
venons en à la question centrale, essayons de schématiser
les mécanismes lourds. Par où commencer ? Il faut
commencer par une question simple à laquelle il faut repondre
clairement, elle part d'abord d'un constat : le volume des richesses
produites chaque année en France a plus que quintuplé
depuis la guerre. Le produit moyen a environ presque quadruplé
pour chaque Français. Ceci est à peu près
général pour la plupart des pays d'Europe. Alors,
pourquoi les femmes en âge d'être mères des
années 70 et 80 qui, materiellement sont deux a trois fois
plus riches en moyenne que leurs mères au même âge,
pourquoi ont-elles refusé, et refusent-elles de plus en
plus,mariage et maternité ? Mariage et maternité
que leurs mères acceptaient volontiers 25 ans plus tôt
dans des conditions materielles pourtant bien plus difficiles ?
C'est cette question capitale que démographes, économistes
et sociologues doivent s'efforcer d'élucider.
Pourquoi
les femmes occidentales refusent-elles la maternité et
le mariage ? Les explications que l'on invoque habituellement
sont de nature sociologique, elles évoquent le travail
des femmes, les idées d'indépendance et les nouvelles
valeurs. Mais, on n'a pas pris garde au fait que, dans les pays
qui ont depassé le seuil de la pauvreté absolue,
c'est-à-dire le simple niveau de survie biologique, les
comportements sociaux démographiques tels que la fondation,
l'agrandissement des familles sont sensibles non pas au revenu
absolu, mais aux revenus relatifs, revenus qui seuls conditionnent
les modes de vie sociaux et garantissent les rangs sociaux.
Ainsi,
le vieillissement démographique, qui n'est autre que l'accroissement
de la part de la population qui a excédé l'âge
de la reproduction induit dans nos sociétés modernes
un phénomène cumulatif d'ordre politique, social
et démographique. Et si l'on admet très bien que
la croissance de cette part de la population procède de
la chute de la fécondité, relayée aujourd'hui
par la croissance de l'espérance de vie au-delà
de 60 ans, on n'admet pas que ce phenome ne boucle sur lui-même,
c'est-à-dire le fait qu'une part de plus en plus importante
de la population soit hors des âges de fécondité
est en soi aussi un facteur de vieillissement. Pourquoi ?
Pour deux raisons. D'une part, parce que ce phénomène
exerce un effet de levier sur la fécondité pour
tous les prélèvements de nature financière
et sociale qu'il induit nécessairement sur la part de la
population en âge de procréation et, d'autre part,
parce que l'aisance financière de cette partie de la population
(dont il faut se rejouir) accroît leur espérance
de vie, et donc aussi accroît leurs charges futures. En
effet, on ignore trop que depuis 20 ans, depuis le milieu des
années 60, précisément, nos sociétés
sont le théâtre d'une croissance extraordinaire du
niveau de vie du 3e âge, par rapport à celui des
actifs et pas simplement en termes de simple pouvoir d'achat.
Le revenu des inactifs de 60 ans et plus, la croissance par rapport
au revenu moyen des actifs. Dans une courbe, c'est le PIB par
habitant, dans l'autre courbe, c'est le salaire net moyen, dans
la 3e, c'est le revenu global par actif.
Cette
croissance extraordinaire montre que ce niveau de vie du 3e âge
a presque doublé entre la fin des années 60 et les
années 80, c'est-à-dire précisément
pendant cette periode du "baby-crack". Or, le niveau
de vie et de consommation des personnes économiquement
inactives du 3e âge est alimenté par trois flux.
Le flux des revenus des capitaux mobiliers et immobiliers, car
il n'y a pas uniquement les transferts sociaux, mais aussi toute
la question de la propriété selon l'âge et
de l'accumulation. Deuxièmement, les pensions, retraites
et transferts provenant du système de protection sociale,
et troisieme flux, le flux des consommations médicales
et hospitalières gratuites, mais à la charge de
la société, qui sont induites par tout le système
de solidarité. Ces flux, qu'on le veuille ou non, sont
prelevés sur l'ensemble des richesses produites chaque
année, grâce au travail des actifs, appliqué
à l'appareil de production économique.
Autrement dit, le vieillissement de la population réoriente
toute la société peu à peu et insensiblement,
au profit de la part qui commence à devenir très
importante en nombre et également socialement, et en tant
que puissance politique, puisque le vote 3e âge, je le rapelle,
à l'echelon des scrutins nationaux correspond maintenant
à plus de 35 % des suffrages exprimés. Donc, ceci
induit une dynamique irrésistible. Alors bien-sûr,
si le 3e âge est l'âge du pouvoir, c'est aussi l'âge
des inégalités. C'est l'âge où toutes
les inégalités ont fini par se cumuler. C'est l'âge
où les inégalités de santé, d'espérance
de vie, de patrimoine, et d'accumulations financières se
sont accumulées. Aussi est-ce l'âge où les
situations d'opulence sont bien plus souvent qu'aux autres âges
camouflées médiatiquement par tant d'exemples biens
réels de détresse plus poignantes. Néanmoins,
le phénomène que j'indique influe sur l'ensemble
du fonctionnement de la société par sa valeur moyenne.
Alors,
le mariage, où la naissance de l'enfant supplémentaire
sont d'autant plus fréquemment retardés, voire refusés,
qu'ils sont plus susceptibles de porter gravement atteinte à
la position du couple dans la famille ou de la famille dans la
vie sociale, c'est-à-dire de réduire leurs revenus
relatifs.
Face
à la croissance accelérée des prélèvements
de tous ordres, par la pression accrue des besoins des personnes
du 3e âge, les adultes ont réduit, ont du réduire
corélativement leur fécondité, pour préserver
leur façon de vivre et leur place dans la société.
Et
l'on pourrait indiquer qu'il y a une relation très étroite
entre croissance du budget social et croissance des prélèvements
3e âge et chômage. Ceci est vrai et visible sur 40
ans de statistiques, en France, mais également dans les
pays étrangers. Il faudrait détailler entre les
effets des prélèvements par répartition et
les effets par capitalisation, mais d'une manière générale,
le phénomène lourd est celui que j'indique.
Il
faudrait également indiquer, je ne peux pas le dire en
dix minutes, peut-âtre le déebat permettra de le
préciser, il faudrait montrer quels sont les développements
de toute cette situation au cours des 20 ou 30 prochaines années,
en particulier en mettant en parallèle l'evolution européenne
et
l'évolution méditerrannéenne. Le debat nous
le permettra sans doute.
Je
voudrais terminer pour indiquer que ce piège démographique
qui conduit les peuples européens en prolétarisant
peu à peu, du moins en amenant les familles nombreuses
à déchoir de leur rang social, sous les priorités
politique et sociales du vieillissement demographique, ce piège
démographique amène nos peuples à se dévorer
eux-mêmes, tel Catoblépas (1) de la légende
antique.
Face
au développement de ce processus, gouvernements et responsables
politiques semblent frappés d'une sorte d'autisme politique.
Ils ne sont pas aveugles, mais ils semblent ne rien voir. Ils
ne sont pas sourds, mais ils semblent ne rien entendre. Ils ne
sont pas muets, mais ils ne soufflent mot.
(1)
Animal fabuleux qui mangeait ses enfants.
Philippe
Bourcier de Carbon
© Laissez-les-Vivre
SOS Futures Mères, mars 1990
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