Je
voudrais d'abord remercier les organisateurs de ce congrès
de m'avoir fait l'honneur de m'y convier. C'est un honneur, dont
je savais combien il était redoutable, étant donné
le sujet que je dois traiter. Il me paraît encore plus redoutable
depuis que j'ai entendu la démonstration ô combien
brillante que vient de vous faire M. le Conseiller CLAVEL, en
ouvrant, c'est vrai, des voies juridiques nouvelles à ceux
qui défendent les valeurs qui sont les vôtres.
Le
respect de la vie et la coherence du Droit, Mesdames et Messieurs,
c'est un sujet bien difficile, surtout lorsqu'il a pour limite
ce XXIe siècle qui nous attend, qui est la pourtant à
nos portes, mais dont chacun sent qu'il sera très difficile,
pour le respect de la vie. Le XXe siècle, celui qui s'achève
a vu une révolution considérable des murs.
On vous parlait hier des révolutions qui se font discrètement,
qui ne sont pas spectaculaires, et qui pourtant sont infiniment
plus importantes que d'autres, comme celle dont nous avons célébré
l'anniversaire l'année dernière, avec un enthousiasme
d'ailleurs tout relatif. Qui ne voit en effet qu'une invention
comme celle de la pilule, constitue une révolution autrement
importante pour l'ensemble de l'humanité, que la suppression
une nuit d'août 1789 de privilèges qu'eut suffit
de laisser se perpetuer pour qu'ils tombassent dans l'eau morte
des oublis. Qui ne voit aussi, dans un domaine peut-être
moins crucial, mais tout aussi important,que la télévision
est une révolution importante dans les murs de nos
contemporains.
Que
l'on veuille bien se rappeler aussi, car le XXe siecle n'a pas
eu que des aspects negatifs, la révolution considérable
qui s'est produite en ce qui concerne l'enfant. Ceux qui ont le
souvenir de ce qui se passait au debut du siècle se rappellent
que le seul enfant honorable était l'enfant légitime,
et que c'est vrai qu'il n'y avait pas à cette epoque d'analyses
sanguines qui peuvent porter le désarroi dans les familles,
et que la règle juridique selon laquelle le père
d'un enfant légitime était le mari de la femme ne
pouvait que rarement être transgressé.
Ces
notions ont été remises en cause. Elles ont causé
bien des soucis. Je pense pourtant qu'il ne faut pas nier les
progrès qui, depuis cette epoque, ont été
faits en faveur de l'enfant tout court, et bien entendu de l'enfant
naturel ; et comment ne pas saluer, à ce point de mon propos,
les actions considerables que le service SOS FUTURES MÈRES
fait, pour que des enfants qui étaient voués, sinon
à la disparition, du moins à la misère, puissent
aujourd'hui goûter, non seulement àla vie, mais au
bonheur d'être vivants. Et c'est aujourd'hui ce qui paraît
dangereux pour le respect de la vie, c'est une autre révolution
insidieuse qui tient aux progrès considérables des
sciences médicales, de la biogenétique et de la
cryogénie. Ce sont des sciences médicales nouvelles
qui vous le savez, permettent bien-sûr d'engendrer, d'améliorer
la vie mais aussi de la saccager et même de la détruire.
Et,
ne voila-t-il pas que, au seuil de ce nouveau siècle, se
profile à l'horizon un nouveau Dr Faust qui serait l'homme
du XXe Siècle et ne risqueraît-il pas de se croire
susceptible d' influer sur ce qui était jadis le domaine
exclusif de Dieu, c'est-à-dire la création.
Alors,
en présence de ces menaces, le Droit peut-il apporter un
rempart à celles-ci ? Tout à l'heure, M. le Conseiller
CLAVEL vous montrait que le Droit bien compris, bien appliqué,
des lois que l'on ne laisse pas tomber dans l'oubli peuvent effectivement
constituer un rempart et une citadelle à ces valeurs que
nous defendons.
A
cet egard, je voudrais cependant confier à votre congrès
ma méfiance à l'egard de ce qu'on a appelle les
comités d'éthique qui se sont multipliés,
puisqu'il y a un comité d'éthique national et des
comités d'éthique locaux qui ne peuvent pas faire
la loi et qui se trouvent pris dans le souci de satisfaire des
interêts contraires. A cet egard, et ce sera ma seule lecture,
je voudrais vous citer des propos du comité national d'éthique
qui disent tout à la fois une verité et le contraire
de celle-ci. Voici quelque chose de positif : « L'embryon
est une personne potentielle, cette qualification constituant
le fondement du respect qui lui est dû »,
nous sommes tous d'accord sur ce premier principe, puis vient
quelque chose qui le contredit totalement. « Il
est néanmoins nécessaire de concrétiser cette
exigence de dignité indéterminée en ses conséquences
pratiques au regard des contingences liées à l'etat
actuel des connaissances, aux finalités des recherches,
aux moyens par lesquels elles pourraient se developper ».
« Les
exigences éthiques ne peuvent pas toujours être formulées
en termes d'absolu, l'élaboration des règles et
leur mise en uvre, impliquent des compromis que le principe
éthique du moindre mal peut rendre tolérables ».
Je dis, moi, que ces propos la sont,eux intolerables. On ne peut
pas dans un chapeau écrire que l'embryon est une personnalité
respectable et digne, et dire immédiatement le contraire,
en disant qu'il faudra en tout état de cause se contenter
du moindre mal. Alors, je pense qu'il faut, à l'egard de
ces comités, être très vigilant. Quelles que
soient l'excellence, l'importance et même le bon vouloir
des gens qui les composent, il faut savoir que ce genre de comités
ne fera que des recommandations qui tiendront compte de la diversité
des gens qui les composent et qui finalement aboutiront à
une motion que l'on peut appeler une motion chevre-choux. Et,
je crois qu'en présence, je n'hésite pas à
dire, de telles balivernes, il faut que le juriste affirme la
nécessité de normes coercitives, de normes qui ne
pourront pas être violées.
Je
voudrais aussi, à cet egard, vous mettre en garde contre
les propos que l' on entend un peu partout et qui parlent du vide
juridique. Je crains beaucoup plus le trop-plein juridique. Je
crois que ceux qui ont l'habitude des choses droit, ne peuvent
que déplorer la véritable incontinence législative
qui fait que, maintenant, personne ne se reconnaît plus
dans rien et que l'on trouve, comme M. le Conseiller CLAVEL vous
l'a tout à l'heure démontré, des lois qui
disent le contraire les unes des autres, de sorte qu'il faut se
référer à une excellence des lois, la loi
internationale étant supérieure a la loi nationale.
Un exemple que je cite souvent qui est, disons le, à la
gloire de la magistrature française. Depuis toujours, la
circulation automobile et les accidents qu'elle cause ont été
réglementés par la jurisprudence française,
à partir de trois lignes du Code Napoléon, et cette
organisation qui est une création purement jurisprudentielle
montre qu'à partir de lois bien faites, on peut aussi faire
des jugements bien faits. Il n'est donc pas indispensable de légifeérer
partout et tout le temps. Alors que nous nous trouvons dans une
matière qui est celle de la vie, en présence de
principes nouveaux perpétuellement en mouvement, où
la vérité de demain, sera l'erreur d'aujourd'hui,
parce que la science médicale aura fait des progrès
que l'on n'aura pas prévus, et que le législateur
n'a
qu'une chose à faire, c'est définir la réalite
de certaines normes et de certaines valeurs, l'obligation pour
la Justice de les défendre, et de laisser à la Justice
le soin de faire en sorte qu'elles soient bien defendues sans
qu'il intervienne en toute occasion.
Je
voudrais vous donner deux exemples dans le domaine qui est le
mien et qui démontre que, finalement, il n'y a pas tellement
besoin de créer des textes nouveaux, mais d'affirmer que
ceux que nous avons seront appliqués. Le Tribunal de Créteil,
il n'y a pas si longtemps, a eu à se prononcer sur la demande
qui était faite par une veuve, dont la banque de sperme
avait conservé le sperme de son mari. Elle a demandé
à ce que ces spermes lui soient donnés. Le Ministère
de la Santé s'y est opposé, et le Tribunal de Créteil
a passé outre, en estimant qu'il fallait donner satisfaction
à cette veuve. La solution est discutable, je n'en disconviens
pas. Je pense cependant qu'il y a la un exemple à suivre,
c'est-à-dire création de normes juridiques certaines
et application normale et sans équivoque par ceux qui auront
la charge de les appliquer.
L'autre
exemple tient à une situation qui a été soumise
à la Cour d'Appel de Toulouse, je ne sais pas, M. le Conseiller,
si c'est la vôtre, votre accent me donnerait à le
penser, la Cour d'Appel de Toulouse a été saisie
d'un procès. Là encore, la banque de sperme, et,
après avoir fait une opération qui s'appelle d'un
nom que je trouve assez extraordinaire, la fivette, on
a demandé à une mère porteuse de recevoir
les sperms d'un tiers. Et puis, l'enfant est né, très
bel enfant et quelques mois après le père a introduit
une action en deésaveu de paternité. Voyez comme,
quelquefois, il faut tenir compte du caractère non definitif
des volontés les mieux assurées. La Cour d'Appel
de Toulouse n'a pu considérer qu'une chose, c'est qu'il
etait évident que le pere légal n'était pas
le père biologique, elle a admis l'action en désaveu
de paternité, mais aussi, et c'est ce qui est important,
elle a consideré qu'une telle attitude était consécutive
d'une faute et elle a indiqué que, tout au long de la minorité,
le pere en question devrait servir une pension à l'enfant.
uvre
juridique audacieuse, mais dont personne, je pense ici, ne contredira
le caractère parfaitement juste et parfaitement pratique.
C'etait l'application, il faut le rappeler, d'une vieille règle
de Droit que nous tenons du droit romain et qu'il faut toujours
avoir en tête lorsque l'on parle de ces problèmes
habetur infans conceptus pronato. L'enfant conçu
est tenu pour vivant. Et ceci, nous l'avons oublié. On
l'a notamment oublié, c'est vrai, dans les problèmes
de l'avortement, c'est vrai, car qu'est-ce que l'avortement ;
sinon un meurtre toléré par la Loi ?
Alors
que, les principes du Droit qui ont fait l'honneur de cette nation,
on peut le dire, car le Droit français a rayonné
un peu partout dans le monde, veulent que l'on tienne pour vivant
un enfant des qu'il est conçu. Et ceci, voyez-vous,'va
aider aussi, et j'en reviens au propos qui était le mien
tout à l'heure, de ne pas tout réglementer. Nous
avons vu aujourd'hui, dans cette période que nous vivons
le litige difficile d'une mère porteuse, qui ne voulait
pas donner l'enfant à celle qui le lui avait, j'emploie
le terme à dessein, commandé. Des litiges entre
ces mères. Et bien, je dis que le problème est mal
posé. Il ne s'agit pas de savoir quels sont les droits
des mères. Il s'agit de savoir quels sont les droits de
l'enfant. Et,c'est à partir de ce principe que l'on a,
semble-t-il, oublié que pourront être résolus
des problèmes aussi délicats que ceux auxquels faisait
allusion M. le President CHAUCHARD, la conservation des
embryons artificiels appelés d'un nom ô combien évocateur,
surnuméraires. Je crois que c'est un problème celui-là
extrêmement difficile.
Là peut-être, en effet, le législateur se
doit d'intervenir, après avoir pris conseil, non pas seulement
de ces comités d'ethique, dont je vous disais tout à
l'heure l'opinion que j'en ai, mais en ayant consulté tout
le monde et vous, et ce ne sera pas facile.
Mais,
voyez-vous, je voudrais qu'il y ait un principe dont on ne se
départisse jamais : la vie n'est pas un objet de droit,
on ne peut pas vendre un homme, on ne peut pas vendre un enfant,
on ne peut pas le louer, on ne peut pas le donner en gage. La
vie est quelque chose qui s'impose au Droit. On peut acheter des
marchandises, on n'acheète pas une personne vivante. Il
y a là quelque chose qu'il faut que nous nous rappelions
toujours, nous en particulier les juristes, c'est que la personne
humaine et la vie humaine, si modeste soit-elle, c'est-à-dire
aux premiers sursauts de la vie dans le ventre de la mère,
à partir de ce moment là, est née et ce n'est
pas un objet de droit, mais un sujet de droit. Un sujet de droit
qui aura des devoirs, bien-sûr, lorsqu'il sera arrivé
à la majorité ou à la pleine conscience de
ses devoirs, mais envers lesquels nous avons aussi des obligations.
Et, voyez-vous, je pense que c'est un principe que nous ne devons
jamais perdre de vue, et ce sera, je pense ma conclusion. Je voudrais
vous dire deux choses en matière de conclusion. Il ne faut
pas tout de même non plus se défier des progrès
de la science. Je me rappelle qu'il y a quelque 25 années,
le Père THEILLARD DE CHARDIN disait qu'avec la Science,
et notamment avec la biologie, on arriverait à la decouverte
du Divin.
Je
ne sais si ce propos optimiste verra aboutir sa conclusion, mais
je pense que nous ne devons pas faire fi de ces progrès
que, en effet, le Divin nous a permis de réaliser. C'est
mon premier point.
Et,
mon deuxierne point, c'est qu'il faut tenir pour un principe absolu
que la vie est quelque chose de respectable, que l'homme n'a pas
le droit de changer, et sauf certains cas extrêmes, le droit
de supprimer, et je voudrais peut-être vous dire, parlant
à nouveau de cette revolution de 1789, dont on a tant parlé,
il y avait dans les formes des choses qui étaient bonnes.
Je voudrais que l'on se rappelle et que l'on mette au fronton
de nos palais de justice et de nos facultés de droit ce
propos que la vie est un droit inviolable et sacré, et
que nul n'a le droit d'en priver un autre. Voilà ce que,
je crois, on pourrait conclure.
Me
Yves Paris
© Laissez-les-Vivre
SOS Futures Mères, mars 1990
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