L'amour,
source de vie.
L'amour
est nécessaire à la vie : on ne peut pas vivre sans
amour, et l'on peut presque ne vivre que d'amour, si l'on en croit
l'expression courante « Vivre d'amour et d'eau fraîche ».
Et c'est vrai que l'amour peut faire accepter bien des privations,
alors que le manque d'amour n'est jamais compensé par des
biens materiels, quels qu'ils soient.
On
peut distinguer plusieurs sortes d'amour : conjugal, maternel,
paternel, filial, fraternel. Ils comblent des besoins différents
et concourent tous à faire vivre la personne humaine. L'amour
conjugal donne la vie, d'une manière charnelle à
l'enfant, mais cette vie a besoin, pour se developper harmonieusement
de l'amour maternel, puis de l'amour paternel pour parfaire son
equilibre. L'enfant a besoin d'aimer ses parents et préfère
parfois se culpabiliser plutôt que d'admettre que ses parents
ne sont pas dignes de son amour filial. On trouve ce comportement
chez les enfants maltraîtés, en particulier.
Ceux
qui ont manqué ou manquent de cette nourriture affective
fondamentale en sont marqués pour la vie et éprouvent
une difficulté d'être, particulerement les adolescents
qui se tournent vers la drogue ou en arrivent au suicide. « Personne
ne m'aime » est souvent l'explication qu'ils donnent
à leur conduite. Un colloque réuni à Bordeaux
vient de tirer la sonnette d'alarme en annonçant une inquiétante
progression du nombre des suicides (13 000 décès
par an
en France, plus que par les accidents de la route et 140 000
tentatives, dont 1/10e chez les jeunes). La cause reconnue par
les medecins serait : le relachement des relations affectives.
Tout
être humain a besoin d'aimer et d' être aimé,
pas seulement les jeunes. C'est aussi le drâme des personnes
âgées, mais également de toute solitude Cependant,
l'amour dont je dois vous parler, c'est plus précisement
celui qui unit l'homme et la femme et qui est porteur de vie dans
toutes ses dimensions. Il arrive de plus en plus souvent que la
procréation soit deconnectée de l'amour : amour
sans procréation, procréation sans amour. Est-ce
compatible avec un authentique humanisme ? Et d'abord qu' est-ce
que l'amour conjugal ?
C'est
la communion de deux êtres : corps et âme, chair et
esprit, union totale ouverte au don de la vie. Trois éléments
sont nécessaires pour qu'il y ait un amour vrai. C'est
un sentiment, le sentiment amoureux, qui engage les personnes
dans leur totalité, spirituellement et charnellement, et
l'ouverture à la fécondité en est une dimension
essentielle. D'autre part, l'acte concret, exprimant le don de
chacun à l'autre, spirituellement et physiquement, est
le seul lieu humainement possible pour l'éclosion d'une
nouvelle personne. Amour sentiment, sexualité et ouverture
à la vie, ce sont les trois éléments de l'amour.
Or,
actuellement, on tend de plus en plus à dissocier ces différentes
composantes. Nous vivons une véritable crise de l'amour,
une civilisation de l'amour éclaté. Pourtant, sans
cette unité, l'amour n'est plus vraiment un amour humain
et ne peut plus assurer le plein épanouissement des personnes.
Les ruptures qu'on lui fait subir ont de graves répercussions
sur la personne, et, en particulier sur celle de la femme. Et
c'est surtout d'elle que je vais parler, tout d'abord parce que
le don de la vie est avant tout sa vocation, elle le vit dans
son corps en même temps que dans son cur et dans sa
tête, et puis les femmes n'ont pas si souvent la parole...,
du moins celles qui defendent le respect de la vie. Et, la plupart
du temps, on parle du couple, oubliant que l'homme et la femme
ne "vivent pas de la même façon ces différentes
situations.
J'ai
été souvent frappée par l'ignorance de la
psychologie féminine chez des hommes qui pourtant devraient
être familiarisés avec elle. Il y a quelques années,
une enquête sur la fécondité de la femme a
été menée par des medecins gynécologues
de Grenoble. Ils voulaient interroger les femmes sur les événements
de leur vie gynecologique : grossesses, accouchements, fausses-couches,
avortements. Ils avaient décidé de limiter leurs
questions à quelques années en arrière de
peur qu'en remontant plus loin leur mémoire soit defaillante
et quelle n'a pas été leur surprise en s'apercevant
qu'elles se souvenaient de tout, jusqu'au moindre détail,
depuis le début de leur vie de femme. Ils avaient sous-estimé
l'importance pour toute femme de tout ce qui touche au don de
la vie. Car l'enfant est un mystère profond de la vie et
la femme est profondément impliquée dans ce mystère
par sa maternité.
Je
vais étudier successivement les différents dissociations
intervenues entre les éléments constitutifs de l'amour,
et tout d'abord l'amour sans ouverture à la vie, l'amour
sans fruit, l'amour stérile. Stérilité provisoire,
mais qui parfois se prolonge au-delà des désirs
de la femme et qui maintenant devient parfois définitive,
par recours à la stérilisation.
Dans
ce schéma, il y a bien amour : amour sentiment et sexualité,
mais le don de la vie est exclu. Cependant, ce refus de la fécondité
altère l'attitude de la personne face à son conjoint.
Le mari
notamment, n'accepte plus sa fem-me dans sa totalité, dans
l'acceptation de son rythme spécifique. Or, on ne peut
nier que l'union sexuelle, qui couronne l'amour de l'homme et
de la femme, est structurellement orientée vers la génération
d'une nouvelle vie. Ceci est particulièrement ressenti
par la femme chez qui le don de la vie fait partie de la sexualité,
une sexualité très complexe, beaucoup plus que celle
de l'homme. Lui se trouve toujours à l'exterieur du processus
de la grossesse. La maternité, elle, est un processus bio-physiologique,
mais aussi psychique, qui se rattache donc en même temps
au sentiment d'amour et à la sexualité. Elle implique
toute sa personne.
Une
femme qui aime ne" peut très longtemps refuser que
son amour porte du fruit. Elle désire un enfant de l'homme
qu'el'le aime ,un enfant qui la comblera et lui donnera la plénitude
du bonheur. Cet enfant sera la prolongation de son amour. Pour
les hommes, le désir d'enfant est beaucoup plus dicté
par la raison. La femme, elle, peut souhaiter d'être mère
contre toute raison. C'est ce qui la rend souvent difficile à
comprendre. Son attitude vis-à-vis de la maternité
peut être très ambigue et son refus de l'enfant est
rarement total. Ceci peut expliquer l'oubli de la pilule, cause
en réalité par un désir non conscient d'être
mère, ou le fait que la femme ne la tolère plus.
La frustration est autant psychique que physique. L'amour peut
éveiller chez une femme qui s'en croyait très éloignée
un désir d'enfant. Le réalisateur de television,
Stellio Lorenzi, trouvait émouvant qu'une femme
puisse dire : « je voudrais un enfant de toi »
à l'homme qu'elle aime.
On
peut comprendre alors le drame d'une femme amoureuse, lorsque
le père de l'enfant qu'elle a conçu, l'homme qu'elle
aime, rejette cet entant et lui demande de le supprimer (parfois,
c'est le chantage : lui ou moi). Comment lui demander de cboisir,
alors que le paradis pour,elle, c'est de conserver les deux !
Tout son bonheur s'écroule en un instant. C'est le "paradis
perdu", comme l'écrivain Hemingway l'a admirablement
décrit il y a bien longtemps dans une de ses nouvelles
qui porte ce nom. Et ce paradis, la femme qui en est chassée
ne le retrouvera peut-etre jamais : elle risque, déçue,
de ne plus croire à l'amour et de se lancer dans des aventures
sans lendemain pour oublier ou se venger.
Ces conséquences d'ordre psychique de l'avortement, on
comnenca à les reconnaître. On parle du syndrome
post-avortement, et ce n'est pas un changement de méthode,
l'utilisation du RU 486 ou d'une autre technique, n'empêchera
qu'elles surviennent. Le lien entre l'amour et la procréation
fait que, si une grossesse survient dans une liaison sans véritable
amour, il est beaucoup plus difficile pour la future maman de
l'accepter. Avant d'être aimé pour lui, l'enfant
l'est souvent à cause de l'homme aimé qui l'a engendré.
C'est pourquoi il est insensé et même criminel, d'inciter
les jeunes filles à vivre des liaisons sans lendemain,
simples expériences sexuelles. Elles devraient toujours
se demander avant de céder, si elles seraient prêtes
à assumer un enfant du garçon auquel elles cèdent.
Autre
dissociation : la sexualité sans sentiment amoureux. On
dit qu'on "fait l'amour", mais ce n'en est qu'une caricature.
Si la sexualité est une composante de l'amour, l'amour
ne se confond pas avec elle. Il s'agit ici d'aventures sans lendemain.
L'homme s'en accomode souvent assez bien, la femme non. Elle n'est
pas faite pour l'aventure. Il lui est difficile de faire le don
de son corps sans engager son cur. Je me souvient d'une
conversation avec un homme, assez coureur de jupons, qui se plaignait
de ce que les femmes ne pouvaient s'empêcher de toujours
y mettre du sentiment ! Un homme se satisfait du moment présent,
pour la femme le grand problème est celui des "après",
disait l'auteur d'une étude sur le problème de l'aventure
amoureuse.
J'ai
pu dernièrement constater, lors d'une des émissions
scandaleuses de la télévision, que les jeunes filles
adolescentes, malgré la propagande à laquelle elles
sont soumises, n'avaient guère changé, qu'elles
rêvaient toujours au Prince Charmant plutôt qu'à
des plaisirs physiques, pour lesquels elles ne se sentent pas
mûres. Elles rêvent à l'homme dont l'amour
remplira leur vie, toute leur vie. Même Françoise
Sagan, dont on ne peut pas dire qu'elle symbolise la morale
traditionnelle, a reconnu, au cours d'une interview que « l'idéal
serait que le premier amour d'une femme soit le seul amour de
sa vie », mais elle ajoutait aussitôt : « malheureusement
c'est impossible ». Impossible, sûrement
pas, mais certes pas toujours possible, surtout avec le modèle
de compertement sexuel préconisé aujourd'hui.
Enfin,
la troisième dissociaion à laquelle on est arrivé,
c'est la séparation de la fécondité et de
la sexualité. L'enfant sans relations sexuelles. Nous avons
vu que la sexualité est une composante importante de l'amour
: elle est le lieu de communication physique et spirituelle du
couple qui s'aime, élément essentiel de l'amour
auquel l'Église même attache un grand prix, puisqu'elle
estime nulle une union non consommée. On peut remédier
aux stérilités qui ne font que se multiplier et
aussi parce que ces techniques passionnent les chercheurs, on
s'ingénie à présent à faire naître
des êtres humains sans union sexuelle. C'est ce que l'on
appelle les procréations médicalement assistées,
et plus particulièrement la FIVETE, la conception de la
vie étant réalisée dans une éprouvette.
L'enfant devient l'objet d'un projet parental, que des techniciens
vont s'efforcer de réaliser, en se servant du corps des
epoux qui deviennent des instruments... L'enfant, lorsqu'il est
obtenu, est alors le produit d'une technique, un objet de fabrication,
et non plus le fruit de l'amour du couple, dans son intimité.
Ces
manipulations blessent la dignité de la personne humaine.
Elles ressemblent plus à des actes vétérinaires.
J'ai lu récemment que l'on venait de réaliser un
"poulain-éprouvette", en utilisant des techniques
proches de celles utilisées pour l'homme. Ainsi, c'est
l'homme qui maintenant sert de cobaye pour la race chevaline !
Ces manipulations blessent la dignité de la personne, mais
elles sont particulièrement éprouvantes pour la
femme. La différence physiologique des sexes fait qu'une
seule opération, tout extérieure, suffit pour se
procurer les gamètes mâles.Il est en tout autrement
pour les gamètes femelles, qui ne peuvent être obtenus
que par une série d'opérations subies par la femme,
chacune comportant des risques et pour lesquelles cette femme
doit être à la disposition des techniciens pendant
des mois, voire des années.Son corps est d'ailleurs devenu
un véritable champ d'expérience ; une vingtaine
de procédés différents ont été
expérimentés pour obtenir une fécondation
artificielle. Jacques Testart parle de "capharnaüm
technologique". On compte, paraît-il, 5 lieux possibles
où déposer les spermatozoïdes, 2 où
placer les ovules, 3 où transferer les deux types de gamètes
et 2 pour déposer les embryons. Toutes ces expériences
portent atteinte à la dignite de la femme.
Certes,
la détresse des femmes stériles est telle, que l'espoir
d'être mère fait supporter à beaucoup toutes
ces épreuves. Mais, il arrive qu'elles aient du mal à
tolérer toutes ces manipulations entièrement déconnectées
de leur sentiment amoureux. L'une d'elles avouait avoir l'impression
de tromper son mari avec les médecins ! Une autre reconnaissait
: « c'est vraiment quelque chose de très
difficile à vivre. On recommence sans cesse, espérant
toujours que
la prochaine tentative sera la bonne. Cela devient de l'acharnement,
une véritable obsession ! Tout cela est supporté
dans l'espoir de la réussite, et au bout de toutes ces
épreuves, le plus souvent, c'est le vide, "un gouffre
qui s'ouvre" », disait-elle. Elle ajoutait
: « Par moments, on se dit : s'ils n'avaient pas
trouvé cette technique de fécondation in vitro,
je n'en serais pas là aujourd'hui ! »
Elles
avouent ressentir une certaine angoisse, qui peut s'expliquer
par le fait qu'elles se savent, même inconsciemment chargées,
en tant que femmes, d'une grave mission, celle de protéger
la vie. Comme Jean-Paul II l'a magnifiquement rappelé
dans sa lettre apostolique sur la Dignité de la Femme et
sa vocation : « Dieu lui confie l'homme, l'être
humain, d'une manière spécifique ».
En acceptant d'abandonner aux mains des chercheurs les germes
de vie dont elles sont depositaires, les femmes ne trahissent-elles
pas cette mission ? Ont-elles le droit, pour satisfaire un désir
bien-sûr légitime de maternité, demettre en
péril le genre humain lui-même ? Ce danger n'est
pas à écarter, maIgré tous les garde-fous
que la loi pourra essayer d'instituer.
Ne
serait-il pas plus sage de prévenir au lieu d'essayer de
guérir ? (Il faut rl'ailleurs noter qu'on ne guéritpas
la stérilité, qui demeure, même après
la naissance d'un enfant). Car, au fond, on a favorisé
des comportements sexuels qui compromettent justement la fecondité
des jeunes femmes. Quand on connaît la détresse engendrée
par la stérilité, on peut estimer criminel de ne
pas les informer des risques qu'elles courent en vivant selon
les nouvelles normes imposées. La liberation sexuelle incite
les jeunes filles à vivre d'une maniere dangereuse pour
leur avenir de femme. Nous l'avons vu, leur epanouissement ne
peut resulter que de l'harmonie de leur personnalité qui
est complexe. Engagement de toute la personne, corps et âme,
dans un amour réciproque, ouvert à la vie. Cette
harmonie n'est pas atteinte dès l'âge de la puberté.
Ce n'est que progressivement que la syhthèse se fera entre
tous ces éléments. Il fait laisser se construire
la personne.
Jusqu'à
12 ou 14 ans, c'est surtout l'amour des enfants qui s'exprime
chez lia jeune fille. Elle rêve d'enfants, mais pas d'enfants
qu'elle engendrerait elle-même, plutôt d'enfants tombés
du ciel, comme un cadeau de Noël, qu'elle pourrait choyer,
protéger. Elle se sent généralement attirée
par les bébés ou les très jeunes enfants.
Puis, vers 15-16 ans, son cur se met à
battre et elle rêve alors au prince charmant qu'elle aimerait
d'un amour platonique. Recevoir des lettres d'amour la comble
plus que des tentatives de rapprochements physiques. C'est l'âge
romantique, de à quoi rêvent les jeunes filles
de Musset. Période dont on essaie de priver nos jeunes
actuellement. On leur vole leur adolescence. Certes, l'attitude
de l'adolescente peut tromper et donner l'impression, par sa coquetterie,
de rechercher des expériences plus réalistes.
En réalite, elle cherche à vérifier son pouvoir,
tout neuf, sur les garçons. On est souvent, mal dans sa
peau à cet âge-là, on est rarement satisfait
de son physique, on veut se rassurer. Mais il ne s'agit que d'un
test que les garçons, mal avertis de la psychologie féminine,
interprêtent selon leurs réactions a eux.
Ce
n'est que plus tard que les sens s'éveillent à leur
tour, accompagnant les émois du cur, pour intégrer
enfin le désir d'enfant, qui devient alors vraiment un
desir de maternité. Il faut un long temps de maturation
pour que toutes ces dimensions de l'amour se fondent dans le respect
du rythme de chacune d'elles. Si ce rythme est bousculé,
la personnalité de la jeune femme risque de ne jamais être
bien structurée. Il faut laisser le temps pour que tout
se mette en place, c'est le sens du Conte de la Belle au Bois
dormant, qui exprimait une vérité que l'on ne veut
plus voir.
Une sexualité trop précoce peut bloquer cette structuration
et laisser la personne immature.
La banalisation de l'amour, des essais malheureux qui entraînent
déceptions et désillusions, compromettent les chances
de connaître un jour l'Amour avec un grand A dont tout le
monde rêve, dans toute sa plénitude, le seul qui
puisse répondre à la soif d'absolu qui est en toute
personne humaine.
Françoise
Rollin
© Laissez-les-Vivre
SOS Futures Mères, mars 1990
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