L'étude
du respect de la vie aux États-Unis et de ses différentes
étapes depuis 30 ans est intéressante en raison
de l'influence exercée en Europe par tout ce qui se passe
outre-Atlantique ; or c'est précisément le
premier pays où l'on constate un renversement de tendance
: après avoir adopté une legislation extrêmement
permissive, on assiste depuis quelques mois à un coup d'arrêt
dans cette voie du laxisme et à un retour vers des réglementations
plus restrictives.
Il
est donc utile pour nous d'examiner comment cela a pu se faire.
Je
rappellerai rapidement l' historique du problème, j'en
indiquerai la situation actuelle et essaierai de déterminer
les actions qui ont pu contribuer à ce changement intervenu
aux États-Unis.
L'historique
Phase ascendante
Jusqu'en
1967, l'avortement était illégal aux États-Unis,
sauf pour sauver la vie de la femme (c'était aussi le cas
chez nous).
1967
est l'année clef pour l'avortement, l'année où
tout commence à bouger.
En
Grande-Bretagne, c'est l'année de la promulgation de l'Acte
sur l'Avortement.
Aux
États-Unis, c'est cette année-là qu'une première-loi
est adoptée au Colorado qui élargit considérablement
et pratiquement sans limites le domaine de l'avortement légal
: en effet, elIe l'autorise, comme on l'a fait en Grande-Bretagne
et comme le fera la loi française en 1975, en cas de danger
"physique ou émotionnel" couru par la femrne
(la loi française parlera de "situation de détresse").
Ceci est tellement flou et subjectif que cela aboutit à
autoriser l'avortement dans
tous les cas même pour une question de pure convenance.
En 1971, la réforme a gagné 19 autres États,
dont celui de New-York et la Californie.
Pour
bien comprendre la suite, il faut rappeler que, les États-Unis
étant une Fédération, chaque État
a sa propre législation. Cependant la Constitution fédérale
s'impose à tous, si bien qu'un ressortissant d'un État
peut toujours s'adresser à la Cour Suprême s'il estime
qu'une loi adoptée par son État n'est pas conforme
a la constitution. C'est ainsi qu'en 1973 une jeune femme porta
plainte contre l'État du Texas qui lui interdisait d'avorter,
et la Cour Suprême lui donna raison estimant que la Constitution
américaine reconnaissait à tout Americain un "droit
de vie
privée" qui forcément devait inclure pour une
femme le droit d'interrompre une grossesse.
La
jeune femme avait déclaré qu'elle avait été
violee, ce qui avait ému l'opinion ; en 1987, elle a avoué
que c'était faux : son amant l'avait simplement abandonnée
alors qu'elIe était enceinte.
Quoi
qu'il en soit, cette décision devint la pierre angulaire
de la législation sur l'avortement aux États-Unis.
Cet arrêt, rendu par 7 voix contre 2 (la Cour Suprême
est composée de 9 membres), faisait de l'avortement un
droit constitutionnel qui s'imposait à tous les États
et rendait donc illégales toutes les dispositions qu'ils
pourraient prendre pour limiter ce droit. De fait, après
1973, dans une série d'arrêts, la Cour confirma cette
interprétation de la Constitution en condamnant différentes
tentatives pour restreindre on encadrer le droi t d 'avorter :
exigence d'une autorisation de l' époux, des parents pour
les filles mineures, et même simple obligation de prévenir
les parents de filles mineures, ou exigence d'un consentement
éclaire de la part de la femme demandant un avortement.
Toutes ces demandes ont été déclarées
contraires à la Constitution.
C'est
ainsi qu'on est arrivé à 1 600 000 avortements
annuels, presque une sur trois grossesses se terminant par un
avortement ! 91 % de ces avortements sont pratiques pendant le
1er trimestre, mais 8 % le sont au cours du second et 1 %
au cours du 3ème trimestre (souvent par césarienne).
Car l'avortement peut être pratique tres tardivement ; c'est
ce qui a permis à des opposants à l'avortement de
trouver et de photographier dans les poubelles de Washington des
centaines de ftus démembrés ou broyés,
beaucoup de 5 mois, et plus, tout en dénonçant ce
terrifiant marché de l'I.V.G. qui représente un
chiffre d'affaires de plus d'un milliard de dollars par an.
En
France, des avortements, tardifs sont possibles, mais seulement
quand ils sont "eugéniques", appelés "thérapeutiques".
Il
est vrai que la contraception est moins developpée qu'en
France aux U.S.A., elle n' y est pas remboursée. Comme
vous, le savez, entre temps, chez nous on avait voté la
loi Veil, d'abord pour une periode d'essai, puis recnduite en
1979 et aggravée en 1982 avec la décision de rembourser
les frais d'avortement. Et nous sommes toujours dans la phase
ascendante, avec la menace d'une nouvelle escalade puisqu'une
nouvelle proposition de loi vient d'être déposée
qui supprime la pénalisation en cas d'avortements tardifs.
Nous allons sans doute connaître Un nouvel assaut du "féminisme"
pur et dur qui craint justement une contagion et un retour à
la morale protectrice de la vie à l'occasion en particulier
des discussions sur le statut de l'embryon né de P.M.A.
Le verrou que l'on voudrait faire sauter est celui du delà
de 10 semaines, évidemment beaucoup plus court qu'aux Etats-Unis,
sauf, comme
je viens de le dire, en Cas d'avortement dit "thérapeutique"
qui peut être pratiqué sans limitation.
Coup
d'arrêt
En juillet 1989, donc il y a très peu de temps, un nouvel
arrêt de la Cour Suprême a marqué une marche
arrière. Déjà en 1983, un membre de la Cour,
Mme 0' Connor, première femme à siéger, dans
cette Cour, nommée en 1981, avait manifesté sa réprobation
à l'occasion d'un arrêt, puis en 1986, plusieurs
membres avec elle accusant la Cour de refuser tous les obstacles
à l'avortement sur demande : ils avaient demandé
un réexamen de la decision de 1973. C'est qu'entre-temps
les USA s'étaient donné un president défenseur
de la vie, Ronald Reagan, qui avait profité des
vacances survenues parmi les membres de la Cour pour nommer 3
juges conserv-teurs qui, ajoutés aux 2 qui avaient voté
contre en 1973, ont fait basculer la majorité. Ainsi, le
3 juillet 1989, la Cour Suprême a, pour la 1ère fois
depius 16 ans, rendu un arrêt reconnaissant aux États
le droit de restreindre le droit l'avortement. C'est l'État
du Missouri qui était alors attaqué parce qu'il
refusait de faire pratiquer des avortements dans les hopitaux
publics, et la Cour lui a donné raison en
déclarant que "la vie débute à la conception".
L'argument
sur lequel reposait l'arrêt de 1973, d'un droit de vie privée
se disant garanti par la Constitution, avait dejà été
controversé par des juristes américains éminents
qui disaient n'avoir rien trouvé de tel dans la Constitution.
Il a alors été abandonné. Cette decision
a pour conséquence de débloquer la situation et
de permettre qu'elle évolué dans un sens plus respectueux
de la vie. Cette évolution sera variable selon les États
et selon la tendance de l'opinion dans les différents États,
mais il est sur qu'un certain nombre d'entre eux n' attendaient
que ce feu vert pour modifier leur législation. La Pennsylvanie
est le premier a l'avoir fait ; on dit qu'elle a adopté
la legislation la plus duire de la nation, tous les amendements
proposés par les pro-avortement ont été repoussés.
Pourtant les avortements ne sont interdits qu'après la
24ème semaine, ce qui montre le degré de permissivité
où en étaient arrivés les Etats-Unis. Il
est vrai qu'elle comporte d'autres restrictions : le mari doit
âtre prévenu de l'avortement de sa femme (en France
il n'y a pas d'obligation de ce genre), les avortements sont interdits
à cause du sexe du ftus, la détermination
du sexe étant possible avant l'avortement lorsqu'il est
tardif. Et la femme doit attendre 24 heures après sa demande
(en France, c'est en principe une semaine). Bien sûr, l'avortement
est possible sans limite en cas de danger grave pour la mère.
Enfin, cette loi réglemente, et ceci est très important,
l'utilisation médicale des tissus ftaux car le "big
busines", c'est justement la commercialisation du tissu ftal
"out" de
recherche d'une extraordinaire valeur dont le "potentiel
est immense", selon un professeur de médecine à
l'Université de Toronto.
Dernièrement,
en septembre 1969, au Tennessee, un juge a décidé
de donner la garde d'embryons congelés à une femme
en instance de divorce qui souhaitait qu'on les lui réimplante,
alors que son mari les réclamait pour éviter d'assumer
une éventuelle paternité après.son divorce.
Dans son verdict, le juge déclarait que "la vie commence
dès la conception". Ces prises de position sont très
importantes même si pour le moment elles n'aboutissent qu'à
de petites réformes. Cette affirmation
répétée que l'embryon est un être humain
fera son chemin dans l'opinion. C'est le Président BUSH
qui a maintenant succédé au Président REAGAN,
mais
lui-même a déclaré qu'il préferait
l'adoption à l'I.V.G., et son ministre de la Justice. M.
Richard THORNBURG, est un pro-life endurci. Voilà
pour la situation politique. Mais, les politiques doivent être
soutenus par l'opinion.
L'opinion
américaine est partagée en "pro-life"
et "pro-choice", mouvement extrêmement actifs
qui se livrent à un combat incessant. La question de l'avortement
passionne et divise l'opinion plus qu'aucune autre depuis l'abolition
de l'esclavage en 1863. C'est vraiment le débat le plus
important de l'Amérique contemporaine. Cet affrontement
met en cause des conceptions diverses : philosophiques, morales,
politiques et religieuses. Des manifestations se succèdent
pour influencer les magistrats. les responsables politiques, tantôt
ce sont les "pour le droit à l'avortement", tantôt,
ce sont les "anti". Souvent la police arrête les
activistes "pro-life", notamment ceux qui font du "sit-in"
(c'est-à-dire manifestent. sans violence en restant assis
ensemble sur la chaussée) ou qui forment des attroupements
dissuasifs devant les cliniques d'avortement. De 1975 à
1987, 3 200 personnes avaient ainsi été arrêtées.
A partir de 1987, ont commencé des opérations "rescue"
(rescue veut dire sauvetage), organisées par un jeune évangeliste,
mais suivies par des personnes de différentes confessions,
auxquelles se joignent des pasteurs, mais aussi des prêtres
et des religieux catholiques et même des eveques
dont 40 ont déjà fait de la prison pour cette cause
et des rabbins. Ces opérations ont donne lieu à
des arrestations encore bien plus nombreuses 14 000 en 1988.
Des membres de ces mouvements ont pris des contacts en Europe
pour étendre leurs opérations dans nos pays. Nous
venons d'apprendre que l'une des plus actives militantes Joan
ANDREWS est à nouveau
en prison aux USA, avec 77autres personnes.
En
dehors de ces groupements particulièrement actifs, de très
nombreuses organisations existent aux États Unis, qui mènent
un combat intense, pour la vie, bien-sûr, mais aussi pour
la protection des enfants et des familles contre les entreprises
de perversion menées dans les écoles par les médias,
contre la pornographie envahissante et contre la politique inspirée
par les mouvements prétendument "féministes".
Car on retrouve la-bas tous les mêmes problèmes que
ceux auxquels on est confronté en France. La légalisation
de l'avortement n'est qu'un élément d'un ensemble
de reformes, de toute une politique concernant la condition féminine
qui se révèle désastreuse pour la famille,
les enfants et la femme elle-même.Les jeunes commencent
à comprendre aussi : c'est pourquoi les femmes en particulier,
se sont mobilisées en grand nombre. Au debut des années
80, on a vu émerger aux États-Unis une nouvelle
morale sexuelle Appelee "new chastity", chez des jeunes
et notamment des jeunes filles, éecurés par
le sexe, qui avait tué l'amour, et par la pornographie,
qui arrivait à tuer la sexualité. Ces jeunes aspirent
à un retour au romantisme, à la tendresse et souhaitent
constituer des couples plus solides et durables.
C'est
pourquoi les femmes, en particulier, se sont mobilisées
en grand nombre pour s'opposer à tout ce qui menaçait
leurs facultés propres et il serait bon, qu'en Europe,
nous prenions exemple sur elles. J'ai pu étudier notamment
l'action menée par Mme Phyllis SCHLAFLY, une mère
de 6 enfants, qui a mené un combat très dur
contre un projet connu sous le nom de ERA (Equal Rights Amendment)
qui voulait, sous prétexte d'une égalité
complete entre les sexes, supprimer toutes les protections accordées
aux femmes en raison de leur rôle maternel. Et, malgré
les soutiens énormes dont benéficiaient ses adversaires,
elle a gagné et empêché le projet de passer,
avec l'aide de milliers de femmes qui l'avaient rejointe pour
cette bataille.
Il
faut bien comprendre que, si les décisions dépendent
en dernier ressort des hommes politiques, ces derniers sont amenés
à prendre en considération l'opinion
publique et celle des différents corps de la Nation.
En
ce qui concerne les grandes associations médicales américaines,
elles sont pour le maintien de la liberté d'accès
à l'avortement, le corps médical également
dans son ensemble mais il faut remarquer que les hopitaux
aux USA participent peu aux avortements, contrairement à
ce qui existe en France, alors que les cliniques privées
ont proliféré pour répondre à la demande,
et l'on a vu que c'était un marché très lucratif.
Par
contre, les forces religieuses, longtemps hésitantes, se
rallient petit à petit aux défenseurs de la vie.
Un programme pour le respect de la vie a été élaboré
en 1988 par la Conférence Nationale des évêques
catholiques des Etats-Unis réunie à Washington.
Nous avons vu que même des évêques ont été
emprisonnés pour avoir
manifesté pour cette cause.
Des
associations d'un genre assez particulier existent aussi aux États-Unis
: elles réunissent des femmes ayant vécu un ou des
avortements (Women Exploited by Abortion). Elles ont pour but
d'informer les candidates à l'avortement du traumatisme
que cela constitue afin de les détourner de ce piège
dans lequel elles sont elles-mêmes tombées. De nombreux
groupements se créent également pour venir en aide
à celles qui ont cédé à la tentation
de facilité que représente l'avortement libre et
souffrent depuis de dépressions plus ou moins graves. Parmi
ces groupements s'est engagée une psychologue américaine,
le Dr Susan Stanford, qui a connu cette situation et, une
fois guérie, s'est mise au service des femmes qui souffrent
des suites d'un avortement ; elle raconte son histoire dans son
livre "Une femme blessée".
Pour
conclure, je dirai que cette activité intense des défenseurs
de la vie aux États-Unis devrait nous servir d'eemple à
nous, en Europe, où nous avons peut-être trop tendance
à baisser ]es bras devant l 'ampleur de la tâche
à accomplir et à considérer la situation
comme désespérée. Rien n'est perdu. C'est
quand on toucher le fond que l'on peut le mieux remonter à
la surface. L'exemple des USA est là pour nous encourager
à poursuivre sans relâche nos actions.
Françoise
Rollin
© Laissez-les-Vivre
SOS Futures Mères, mars 1990
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