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HISTORIQUE DE LAISSEZ-LES-VIVRE – SOS FUTURES MÈRES



Les médecins dénaturés
IMPRIMERCommunication du Pr Jérôme Lejeune au Congrès de Versailles

1. L'avortement dans l'État de New York

Avant de discuter d'éventuelles modifications de la législation en France, il serait utile, en effet, de voir les résultats des changements survenus dans l'État de New York. Dans cette région, l'avortement est libre, par simple accord de gré à gré entre la mère et l'avorteur pourvu que ce dernier soit muni du diplôme de Docteur en Médecine. Jean Pakter et Frieda Nelson du New York city departmenl of Health ont publié les premières statistiques pour les six premiers mois de 1971. Cette publication de la "Planned Parenthood Federation of America" a été analysée dans "Scientific American", numéro d'octobre 1971, p. 42, et les chiffres suivants sont tirés de cette analyse. Depuis la promulgation de la loi donnant la liberté d'avorter avant la 24e semaine (c'est-à-dire jusqu'à la fin du sixième mois de la grossesse), 164 300 avortements ont été enregistrés en une année.

Ce chiffre de 164 300 doit être comparé aux quelque 130 000 naissances enregistrées pour cette même période.

L'effet sur la natalité, contrairement à ce qu'avaient prétendu certains augures de la presse parisienne du soir a été net. Au cours du premier trimestre 1970, étaient nés, dans l'État de New York, 64 667 enfants. Au cours du premier trimestre 1971, sont nés 60 695 enfants. Soit une baisse de 6 % en six mois.

II est vrai que les augures d'une certaine presse se soit contentés de publier les chiffres des naissances au cours des trois premiers mois suivant la mise en application de la loi, en négligeant simplement le fait que neuf mois s'écoulent habituellement entre la conception et la naissance. Ainsi les enfants supprimés au troisième mois ou un peu plus, ne peuvent manquer dans les statistiques qu'au moins six mois après l'avortement. A ma connaissance, ces mêmes augures n'ont pas, depuis, corrigé cet oubli.

Le nombre des naissances hors mariage (les auteurs parlent de naissances illégitimes, mais il n'est jamais illégitime de naître, tout enfant a le droit de naître et toute naissance est légitime) est passé de 10 180 pour le premier trimestre 1970 à 9 805 pour le premier trimestre de 1971. Soit 375 cas de moins ou encore une diminution de 3,6 %. Autrement dit, la baisse de la natalité générale a été près de deux fois plus forte que celle de la natalité hors mariiage. Cette tendance, stastiquement significative est elle aussi en contradiction flagrante avec les prédictions des augures de l'avortement.

Ces statistiques laissent aussi apparaître une réduction notable de la mortalité maternelle par avortement, de 18 cas en 1970 à 7 cas en 1971. Ces derniers chiffres sont peut être corrects bien qu'il soit difficile de croire que les officines spécialisées déclarent aussi scrupuleusement que les autres les avortements ayant entraîné des complications mortelles.

L'ensemble de ces données montre que les prévisions des promoteurs de l'avortement sur la natalité générale, d'une part, et sur les naissances hors mariage, de l'autre, étaient fausses et que les avertissements de notre association étaient fondés. Il est à noter que la loi américaine autorise l'élimination des fœtus,jusqu'à la 24e semaine.

La législation anglaise, elle, autorise l'avortement jusqu'à la 28e semaine. Si je ne me trompe, la loi française parle d'infanticide à partir de la 25e semaine. Vous voyez que la confusion entre avortement et infanticide, souvent reprochée à notre association et à moi-même personnellement, est bien du fait des lois anglo-saxonnes et non du nôtre.

Et ce charnier de 164 300 morts, charnier dont on ne parle guère parce que les cadavres sont petits, produit un trouble profond dans ce pays. Cet ébranlement des esprits, ce vacillement du jugement est presque physiquement sensible et je voudrais vous en rapporter quelques exemples.

2. Washington : un projet de Knabentod

Cela se passait il y a quinze jours au "Kennedy Center" à Washington. La Fondation Kennedy avait présenté un film pour montrer au public la gravité des problèmes de la génétique moderne, et pour faire sentir combien il était abominable de rejeter les enfants parce qu'ils étaient malades. Ce film avait été tourné d'après une histoire réelle survenue à l'hôpital John's Hopkins de Baltimore quelques mois auparavant. L'histoire est la suivante :

Peu après la naissance un enfant atteint de trisomie 21 est reconnu porteur d'une atrésie du duodénum ; c'est-à-dire qu'un resserrement dans le tube digestif ne permettait pas à l'enfant de s'alimenter. Cette anomalie condamnait donc l'enfant à mort, à moins d'une intervention chirurgicale relativement simple. Les parents refusèrent l'intervention. Le chirurgien s'est adressé alors au juge local de Baltimore, du district de l'hôpital, en lui posant la question :

– si le vous demande, officiellement, de m'autoriser à passer outre au refus parental, est-ce que vous, Cour de Justice, me soutiendrez ?

L'opinion du luge, qui a été rendue publique, fut la suivante :

– les parents ont le droit de s'opposer à l'intervention.

Le fait que les parents s'y opposent prouve, d'ailleurs, que l'enfant serait ultérieurement à la charge de la société. Dans ces conditions, la Cour de Justice ne s'élèverait pas contre leur droit de refus.

Après cette réponse, le chef du service de Pédiatrie décida de ne point faire opérer l'enfant qui fut mis dans une chambre écartée avec l'écriteau "Nothing by mouth" (Rien par la bouche) et il mit quinze jours à mourir de faim dans l'un des plus grands hôpitaux du pays le plus riche du monde.

Après cette histoire racontée brièvement par l'image, les protagonistes qui figuraient dans le film montèrent sur scène accompagnée de quelques autres personnes et discutèrent de ce cas atroce. Les parents n'étaient pas là. De cette discussion sur une scène de théâtre entre le médecin, un pasteur, un moraliste, une conseillère conjugale, etc., il ressortit que la moitié d'entre eux au moins était d'avis qu'une telle situation était sans issue.

Ils proposèreit même de créer un conseil composé de personnes particulièrement compétentes, auxquelles on soumettrait toutes les données de l'affaire, et ces personnes jugeraient si l'on devait oui ou non sauver l'enfant. Autrement dit, on a entendu en public, proposer de constituer dans l'État de Washington, l'équivalent de Knabentod qui a été utilisé en Allemagne – dans l'Allemagne nazie – pour tuer à peu près 60 000 malades après jugement.

C'est là un tournant très important dans l'histoire de la médecine. II est difficile de croire que cela s'est passé. Mais c'était il y a quinze jours, et je l'ai vu.

Par contre, il y avait sur le podium une femme et elle a parlé. C'était la mère d'un trisomique 21 ; elle est médecin et elle sait de quoi elle parle et elle n'a pas fardé la vérité. Elle a dit combien c'était dur, douloureux, dramatique d'avoir un enfant arriéré, mais elle a dit que malgré tout et dans tous les cas, il fallait absolument tout faire pour les sauver. C'est, d'ailleurs, la seule qui ait été applaudie par la salle.

II y eut ensuite des discussions, des palabres dans les couloirs, et à l'heure du déjeuner j'étais assis à côté d'une dame très gentille, et qui se posait un problème très curieux. Dans le fond, ce qui l'inquiétait c'était ceci : « Mais pourquoi est-ce que les médecins l'ont laissé mourir de faim ? c'est inhumain. II aurait fallu lui faire la piqûre ». Je ne vous cite pas cela comme une réflexion bizarre, c'était vraiment pour elle et peut être pour beaucoup, tout le fond de l'affaire !

3. L'escalade des motifs

Si vous voulez, je voudrais essayer de démonter avec vous le mécanisme de cette escalade extraordinaire et comment il a pu se produire. Eh bien ! je crois que ce mécanisme se décompose de la façon suivante :

– au début on reconnaît que la trisomie 21 est une maladie terrible, et nul n'y peut contredire ;
– on remarque ensuite : les médecins ne savent pas la guérir, et c'est vrai, pour l'instant nous ne savons pas la guérir ;
– on poursuit alors : si l'on faisait une ponction de l'amnios au cours de la grossesse on pourrait voir, dans les cellules qui flottent dans le liquide, s'il existe un chromosome en trop, on pourrait diagnostiquer la maladie.

Et c'est vrai, c'est techniquement faisable. C'est absolument irréalisable à l'échelle de toute une population, mais c'est techniquement possible dans quelques cas. On conclut alors : « Si l'enfant est malade débarrassons-nous en par l'avortement ». Et cela a été accepté dans certains États des États-Unis.

C'était la première escalade : « S'il est possible de reconnaître précocement une maladie, il suffit d'éliminer les malades quand ils sont petits ». Petits, c'est-à-dire, dans le cas particulier, aux environs du 5e ou du 6e mois de grossesse, car c'est à cette date que le résultat des examens permet de savoir réellement que l'enfant est ou n'est pas atteint d'une maladie chromosomique.

Ensuite, dans les pays ayant décidé cette escalade, on remarque que certains de ces enfants naissent avec des malformations qui ne leur permettent pas de vivre, à moins que l'on intervienne. Mais les parents ont le droit de refuser l'intervention. Donc si les parents refusent, les enfants doivent mourir. C'est légal. Alors, si les enfants doivent mourir, est-ce qu'il est humanitaire de les laisser mourir, est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux les tuer doucement ? Et finalement, on arrive à cette discussion à peine croyable – presque irréelle – que dans le pays le plus riche du monde, on discute pour savoir s'il fallait ou non, non pas sauver cet enfant, mais soit le laisser mourir de faim, soit le tuer avant qu'il ne meure de faim.

II est surprenant que ceci se passe à notre époque, et je ne pense pas que pour les médecins qui sont dans la salle, aucun d'entre nous puisse croire qu'une discussion pareille ait été possible dans un pays civilisé, il y a seulement dix ans.

4. Toujours aux U.S.A. un projet de programme d'expériences sur fœtus

Avant cette réunion de la Fondation Kennedy, avait lieu une autre réunion à côté de Washington, organisée par le National Institute of Health (c'est-à-dire l'organisme qui soutient financièrement toutes les recherches biologiques en Amérique) dans un endroit ravissant, dans une ferme pleine de poésie. On y discuta de l' "éthique", parce que les grandes consciences maintenant préfèrent parler grec plutôt que latin, et que "moral", cela fait démodé. On discuta donc de l'éthique et surtout de l'éthique de la génétique, c'est-à-dire des conséquences de l'usage de notre science qui progresse tous les jours.

A cette occasion, il m'a été soumis un curieux document. Quand je dis « il m'a été soumis », il a été soumis individuellement à chacun d'entre nous, pour solliciter nos impressions sur ce document – un document étrange. –

Ce papier traite des règles applicables aux expériences faites sur des fœtus vivants retirés de l'utérus par césarienne. Sur ce texte, qui est un projet, on demandait l'avis des spécialistes qui se trouvaient là, ce texte ayant déjà été rédigé bien entendu par une autre commission de spécialistes.

II y est stipulé que pour servir à l'expérimentation, le fœtus devra peser moins de 500 g, c'est-à-dire ne pas dépasser l'âge de 5 mois environ. L'expérimentation sur un fœtus de poids supérieur, donc d'âge un peu plus avancé, ne serait pas autorisée. II ne faut pas prendre le mot "autorisée" dans son sens strict. Cela veut dire simplement que les programmes d'expériences qui porteraient sur des fœtus de plus de 500 g ne seraient pas acceptés comme étant susceptibles de recevoir un soutien financier, mais ne seraient pas interdits.

Un autre paragraphe précisait que les fœtus vivants ainsi prélevés par césarienne devraient être considérés et manipulés comme n'importe quel prélèvement fait chez une femme non enceinte. Finalement, il était prescrit que la mise en survie par circulation extra-corporelle, (assistance de circulation nécessaire si l'on veut maintenir en vie le fœtus en dehors de l'utérus ce qui est techniquement parfaitement réalisable, tout au moins dans un temps pas très long) que cette survie artificielle ne devrait pas être indûment prolongée. Le texte n'était pas plus précis sur ce point.

Je cite de mémoire car ce document n'était distribué que pour solliciter nos commentaires et nous n'en avons pas discuté officiellement. Mais il est important que vous sachiez que cela existe, et qu'on envisage de légiférer sur l'expérimentation sur des fœtus humains vivants, prélevés par césarienne.

L'homme qui nous distribuait ce texte et qui nous demandait individuellement ce que nous en pensions est un homme charmant, très effacé, très consciencieux. II voulait savoir ce qu'en pensaient les spécialistes. II était très, très désolé que je ne puisse absolument rien faire pour améliorer sa rédaction. Les meilleurs artifices rhétoriques ne peuvent légaliser le crime.

5. Autre projet : les boutures humaines

Je ne voudrais pas que vous croyiez que tous les biologistes et les médecins d'outre-Atlantique partagent ces points de vue. La majorité d'entre eux les réprouvent mais n'osent s'y opposer. Finalement, un véritable dérèglement de l'esprit se manifeste par des choses stupéfiantes et qu'on a peine à imaginer.
Par exemple, nous avons discuté d'un procès intenté contre un médecin au nom d'un enfant qui souffrait des suites d'une atteinte rubéolique pendant la grossesse. Le médecin avait considéré que la rubéole n'étant pas certaine chez la mère et avait refusé l'avortement (légal dans l'État où il exerçait). L'action intentée contre le médecin l'était au nom de l'enfant demandant réparation du préjudice subi par lui pour refus d'avortement. Ce fait est tout à fait exact. Ce sont des choses réelles qui sont arrivées cette année aux États-Unis. La cour a refusé de statuer, car elle a considéré qu'aucune règle ne lui permettait de juger de l'éventuel dommage subi, attondu que l'on ne pouvait évaluer les avantages de la non-existence pour les comparer avec les désavantages de l'existence !
Ce qui est profondément grave, c'est que ceci n'est pas une histoire à plaisir inventée. Ce procès s'est réellement débattu, et des moralistes et de juristes s'en sont saisi pour délibérer fort doctement !
Les milieux scientifiques composés de gens qui raisonnent et qui sont supposés savoir, sont eux-mêmes contaminés par cet étrange délire et perdent leur bon sens de départ. Tout spécialement ce basculement du jugement frappe les professionnels de la grande conscience universelle.
Ils ont ainsi longuement discuté des risques que représentent les techniques dites nouvelles, encore qu'elles soient seulement futures, de la génétique. On a discuté, bien entendu, des bébés en bouteille. Ce n'est pas pour demain rassurez-vous, mais cela sera peut-être un jour possible. On a fort savamment débattu de la technique des clones qui tient à la fois de la greffe et de la bouture. On prélève le noyau d'une cellule d'un individu et on l'insère dans un œuf régulièrement fécondé, après avoir privé ce dernier de son propre noyau. Cet œuf porteur du noyau ainsi greffé serait secondairement implanté dans l'utérus d'une femme réceptrice. Comme ce procédé pourrait être répété autant de fois qu'on le voudrait, on fabriquerait ainsi des pseudo-jumeaux et toutes les femmes mettraient au monde des enfants presque identiques tous possédant le même patrimoine génétique, celui de l'individu donneur.
Les enfants ainsi produits ne seraient toutefois pas absolument semblables, car les qualités du protoplasme de l'œuf jouent probablement elles aussi un très grand rôle dont les généticiens ne parlent guère pour la simple raison que nous ne le connaissons pas.
En théorie toutefois ce type de "boutures" humaine conduirait à des exemplaires très comparables du même Individu.
Je vous rassure tout de suite, les expériences de ces boutures dont on parle dans la grande presse sont des expériences qui ont été faites sur des amphibiens. Elles n'ont jusqu'ici pas été faites sur des mammifères, et à ma connaissance, personne n'a essayé de la pratiquer sur des hommes. Pourtant, il est inquiétant de voir des savants hocher doctement de la tête, s'interrogeant sur l'opportunité de fabriquer ainsi une lignée de 2 000 "Pasteurs" par exemple. Une telle profusion serait elle un facteur de progrès pour la biologie ou minerait elle à un conformisme stérilisant ? Ce point les intriguait fort !
Sur des hommes, on essaie (c'est le cas de M. Edwards en Angleterre) de fabriquer, non pas des bébés en éprouvettes, mais d'étudier le début de la vie in vitro. Effectivement, Edwards a utilisé des ovules prélevés par intervention chirurgicale sur l'ovaire d'une femme, les a fécondés in vitro avec des spermatozoides humains et obtenu des segmentations de l'œuf allant jusqu'à un stade avancé du blastocyste. Bien entendu, il est impossible de fournir en suffisance les différents produits nutritifs nécessaires au développement, ce que le blastocyste trouverait dans l'organisme maternel. Et très rapidement, ces débuts de petits hommes dégénèrent et meurent.
Certes, un prix Nobel de Médecine, M. Watson, s'est élevé contre ces pratiques et a demandé qu'on interdise ce genre d'expériences, et qu'il soit défendu de jouer avec des ovules de femmes et des spermatozoides d'hommes pour fabriquer in vitro de futurs petits cadavres.
Mais on a entendu aussi d'autres personnes – prix Nobel aussi – admettre fort aisément, ou tout au moins se résigner relativement sans regret, à tuer des fœtus parfaitement viables et parfaitement normaux – c'est la loi dans l'État de New York – ou à éliminer sélectivement les fœtus qui seraient reconnus porteurs d'une tare in utero ou même à discuter de l'utilité et de l'adéquation de la piqûre à la naissance quand l'élimination in utero serait effectivement trop difficile.

6. Les aléas de "l'information scientifique" : un article du journal "Le Monde"

Ce qui est étrange, et l'on a l'impression d'une atmosphère irréelle dans la science, c'est que des gens d'égale compétence finissent par arriver à une telle confusion. Certains d'entre eux s'inquiètent, fort noblement, d'ailleurs, et avec de lotis mouvements de menton, du meilleur des mondes qu'ils sont en train d'imaginer et ils se soucient très peu du monde horrible qu'ils sont en train de laisser s'organiser sans eux. Car il est très important sûrement que nous nous préoccupions que l'on ne loue pas avec les bébés en bouteille, que nous nous préoccupions de ne pas laisser des gens essayer de faire du bouturage humain, comme cela, pour s'amuser. Mais il est encore beaucoup plus important aujourd'hui de ne pas laisser tuer des enfants.
Pour vous donner une idée précise de cette aberration du bon sens, le pense que le mieux serait que je vous lise un article du journal Le Monde, du 3 novembre 1971 C'est un article qui a été signé par Mme le docteur Escoffier-Lambiotte, qui se trouvait, d'ailleurs, en Amérique à ces mêmes réunions. Et je pense qu'il est important que vous voyez le résultat imprimé : un mélange curieux d'erreur et de logique, de rationalisme et de déraison. Cet article est le suivant, je vais vous le lire il n'est pas très long :

Pour la première fois, cent soixante femmes qui étaient atteintes de phénylcétonurie et qui ont été maintenues en vie grâce au régime que l'on applique à ceux qui sont atteints de cette tare génétique, sont en âge de procréer et ont procréé.
Il s'agit, on le sait ("Le Monde", du 5 février 1970) d'une anomalie selon laquelle les enfants ne peuvent dégrader un constituant composant de l'alimentation courante (la phénylalanine) dont l'excédent est toxique pour le développement du système nerveux. Grâce à un régime draconien appliqué dès la naissance, ces enfants peuvent aujourd'hui survivre normalement – alors qu'ils étaient condamnés jusqu'à la découverte de Ftilling (1934) – à une idiotie grave. Le désastre, qu'observent les médecins américains, est que TOUS les enfants de ces jeunes femmes ainsi maintenues en vie sont anormaux, car leur système nerveux a été lésé dans le sein de la mère. Ce qui pose de façon concrète et dramatique le problème des moyens et des fins, le bien-fondé des traitements palliatifs ou substitutifs de ceux qui, atteints d'une tare génétique que masque la thérapeutique, la propagent ensuite à l'infini des générations et procréent de grands infirmes.
L'interrogation est entière à l'heure air la France entreprend un dépistage (et un traitement) systématique de ces enfants.

C'est très important de voir un texte comme cela dans un journal français, parce que bien entendu l'essentiel de l'information scientifique est fausse. Mais avant de venir aux faits et de savoir réellement de quoi il s'agit, remarquons l'étrange question posée à la fin de ce texte : « Si ces femmes qui ont survécu grâce au traitement ont des enfants, leurs enfants sont normaux ». Ce qui pose de façon concrète et dramatique le problème des moyens et des fins, le bien-fondé des traitements, etc.
Ceci représente, par inférence, une tentative de donner pour aliment à la réflexion du lecteur « Dans le fond, si on n'avait pas traité ces femmes, elles n'auraient pas survécu, elles n'auraient pas eu de débiles mentaux, alors peut-être ne fallait-il pas les traiter ? ». Voilà ce qu'on pourrait penser à la lecture de cet article quand on ne sait pas de quoi il s'agit.
Quand on sait de quoi il s'agit, c'est un petit peu différent. D'abord l'article commence en disant « pour la première fois, 160 femmes qui ont été atteintes de phénylcétonurie et qui ont été maintenues en vie grâce au régime se sont reproduites ». Alors ce n'est pas la peine d'aller contrôler une à une toutes les observations, nous sommes sûrs que ce n'est pas vrai. Les premiers essais datent de 1954 et le traitement n'a été bien codifié que vers les années 1960. Les premières filles traitées dès la naissance ont à l'heure actuelle 11 à 15 ans au maximum. II n'est donc pas possible d'imaginer que des filles traitées puissent se reproduire maintenant. Je ne dis pas : il n'y en a pas 160, je dis il n'y en a pas une seule.
Cette même phrase contient une autre contrevérité puisqu'elle dit que ces femmes ont été maintenues en vie grâce au régime. Tous les médecins savent que la phénylcétonurie n'est pas une maladie mortelle. Sans aucun traitement tous les malades survivent, mais la plupart d'entre eux deviennent débiles mentaux. Le régime ne préserve donc pas leur me, qui n'est pas en danger, mais leur intelligence qui est terriblement menacée. Ces deux réflexions vous donnent une idée de la qualité de l'information scientifique ainsi proposée au public !
Le reste est beaucoup plus grave, car il y a une part de vérité dans cet article, et cette vérité est dramatique. Effectivement, on connaît des cas de femmes dont on n'avait pas du tout diagnostiqué la phénylcétonurie et qui n'ont jamais été traitées, mais qui sont parvenues à l'état adulte avec un quotient intellectuel de 0,80 : c'est-à-dire un peu inférieur à la normale.
Nous ne savons pas d'ailleurs par quel mécanisme ces femmes, atteintes de phénylcétonurie vraie, ont échappé à la débilité mentale profonde.
C'est par un examen systématique des urines pendant la grossesse que la maladie de ces femmes a été découverte. Et les premiers cas qui ont été connus il y a quelques années ont été très angoissants, car la plupart des enfants étaient atteints de débilité mentale. Et l'on ne comprenait pas pourquoi car ces enfants n'étaient pas eux-mêmes atteints de la maladie. En effet, toute femme atteinte porte à ses enfants deux fois le caractère anormal, mais elle ne transmet qu'un seul caractère. Comme le père est normal, les enfants devraient être porteurs d'un caractère normal et d'un caractère anormal, le gène normal compensant totalement la maladie.
Or, pourtant, une grande partie des enfants sont nés avec une tête trop petite, et une débilité mentale. Mais il faut dire aussi que certains enfants sont nés normaux, sans aucun traitement. II est donc pour le moins inexact de dire TOUS, tous veut dire tous. Ce qu'oublie de mentionner cet article c'est que les chercheurs se sont attaqués à ce grave problème, que des femmes atteintes de phénylcétonurie ont été soumises au régime spécial lorsqu'elles se sont trouvées enceintes. Et les premiers traitements n'ont pas été heureux. II y a eu encore des enfants anormaux. Et puis récemment de nouvelles publications avec un traitement mieux conduit et surtout très précoce ont rapporté la naissance d'enfants normaux.
Autrement dit, la médecine s'est heurtée comme il fallait s'y attendre à un problème qui se pose à la deuxième génération. Elle a mis du temps à le résoudre. II n'est pas encore totalement résolu, mais il l'est presque.

7. La nouvelle peur

En dépit de ses erreurs ou plutôt par ses erreurs mêmes, cet article est fort instructif. Par profession je suppose, un journaliste est plus sensible à l'état d'esprit qu'il sent régner dans une réunion, qu'à l'exposé précis de faits scientifiques. Ainsi cet article illustre fort bien cet étrange malaise, ce vacillement du jugement dont je vous parlais tout à l'heure. Devant les progrès scientifiques mal compris, on a peur et on veut faire partager cette peur. Mais cette peur est artificielle, elle ne provient pas des données scientifiques mais de l'interprétation qu'on en donne. Et ce n'est pas nouveau, cette situation n'est autre que celle des enfants dont parle Pascal; ils se mettent un masque sur le visage et se font peur eux-mêmes.
C'est vrai qu'à force de défigurer la médecine et de la dénaturer elle va devenir hideuse et va nous faire peur. Mais c'est simplement parce qu'on met un masque sur elle. Enlevez le masque, et la peur disparaîtra car toute l'histoire de la médecine est là pour nous rassurer. Nous savons, par expérience, que la position qu'ont les médecins est une des conditions de leur réussite. Je veux dire, nous savons avec certitude, que ceux qui n'ont pas respecté leurs malades n'ont jamais réussi.
Vous savez, il serait puéril de croire, comme on voudrait le faire supposer à chacun, que les médecins maudits des camps nazis étaient exclusivement des sadiques et des imbéciles. Ce n'est pas vrai. C'était des biologistes médiocres, ni pires ni meilleurs que beaucoup d'autres. Seulement, ils partaient d'un contresens biologique monstrueux qui est simplement « un prisonnier n'est pas un homme » ; en science, on ne peut pas partir d'un contresens. Lorsqu'on discute pour savoir si l'on doit interdire de jouer avec des bébés en bouteille et permettre de les tuer quand ils sont un peu plus grands, ou bien au contraire si l'on peut les tuer quand ils sont petits et s'en abstenir quand ils sont un peu plus gros; lorsque l'on entend ces discussions totalement aberrantes, on se dit mais, « mais est-ce que ce n'est pas la même erreur ? » Et c'est la même erreur. Oh bien sûr, il ne s'agit pas de médecins nazis, il ne s'agit pas de dire qu'un prisonnier n'est pas un homme. II s'agit simplement de dire qu'un fœtus n'est pas un être humain, qu'un malade n'a pas autant de droits qu'un non malade. C'est le même contresens. II est suffisant pour conduire à une véritable terreur en face du progrès scientifique.
Pourtant il ne faudrait pas imaginer que ces conférences, quel que soit le tapage qui se fait autour d'elles, peut-être pas en France, mais tout au moins en Amérique, représentent l'opinion des gens. Cela représente l'opinion que certains voudraient imposer à la multitude. Mais tenter de faire croire à des gens de bon sens que disséquer vivant un fœtus de 500 g c'est très bien et ce n'est pas de la vivisection, alors que de le faire sur un de 550 g, c'est très mal, et que cela doit être interdit, tenter de faire croire cela au bon peuple, ce sera assez difficile ; personne ne le croira pas, parce que ce n'est pas vrai. Alors, il ne faut pas que vous imaginiez que cette terreur est réelle. Elle est en fait complètement construite : on veut faire passer devant le bataillon des malades pour ouvrir la brèche de l'avortement à volonté. Et plus on noircira le tableau des malades, plus cela sera horrible, inextricable et désespéré et plus lourd sera le bélier pour enfoncer le mur qui protège encore les innocents.
En Amérique comme en France, la majorité des médecins et des biologistes ne croient pas à ces histoires. Nous savons bien que ceux qui ont vaincu la peste et la rage n'étaient pas ceux qui brûlaient les pestiférés dans leur maison, ni ceux qui proposaient d'étouffer les enragés entre deux matelas. Ce n'étaient pas les mémos. Peut-être parce qu'il doit exister une sorte de connivence biologique entre les conceptions scientifiques et la réalité de l'homme. Quand au nom d'une certaine dialectique on refuse de reconnaître qu'un homme a débuté quand il a débuté, quand on prétend qu'un malade n'a pas les mêmes droits qu'un bien-portant, on fait un tel contresens qu'il n'est pas possible, à partir de cette idée fausse, de poursuivre un raisonnement efficace.

Conclusion : choisir

Pour finir peut-être pouvons-nous paraphraser le début de la Genèse et dire que « La Science est l'arbre du bien et du mal ». Seulement, l'arbre se juge aux fruits, et les fruits c'est nous qui les cueillons. Et quand je dis-nous, ce n'est pas la médecine seule, c'est l'ensemble de la population. Et la population peut dire quels fruits elle veut cueillir sur cet arbre. Et dans ce cas-là l'arbre n'est plus dangereux. II ne fait pas peur, parce que nous ne prendrons sur lui que les fruits qui sont bons. Alors nous avons à choisir; nous avons à choisir si nous voulons présenter la science comme aboutissant définitivement à la désespérance, et à la haine, à l'élimination des faibles et à la proscription des malades, ou si au contraire nous voulons qu'elle soit un gage d'espoir et d'amour, pour la protection des enfants et pour la victoire sur les maladies. Le choix scientifique est là. II n'y en a pas d'autres, et c'est de la façon dont nous le ferons que dépendront les fruits que nous recueillerons.
Je crois que le titre de notre association est bien choisi, il est "Laissez-les Vivre". Mais il n'est pas suffisant, il faut aussi les aider à vivre, il faut aussi les guérir. Voilà les deux buts que nous poursuivons. Devant l'énormité de la tâche et la formidable nécessité de réussir, une seule chose est certaine, quoi qu'il advienne, nous n'abandonnerons jamais.

Pr Jérôme LEJEUNE

© Laissez-les-Vivre – SOS Futures Mères, novembre 1971

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