Un
de nos lecteurs du Mans nous signale que des "articles" émanant
de personnalités médicales se trouveraient bloquées à la rédaction
du journal "Le Figaro". Un de nos abonnés, M. J. F. de Brest,
également lecteur de ce quotidien, nous a fait parvenir le double
d'une lettre qu'il a adressée à notre éminent confrère et que
nous reproduisons volontiers.
Monsieur
le Rédacteur en chef
J'ai
lu avec intérêt dans le "Figaro" des 10 et 15 novembre un
compte rendu de Mme Françoise BERGER sui le procès dit "de Bobigny"
et la chronique de Mme Françoise PARTURlER sur le même sujet.
L'un et l'autre documents ont, c'est curieux, de nombreux points
communs... Ils négligent systématiquement la suppression d'une
vie c'est pourtant de cela qu'il s'agit. Ils sous-entendent
que la solution des problèmes soulevés relève du corps médical.
Ils citent complaisamment des hommes de science. A croire que
l'un a inspiré l'autre...
Pour
ma part je suis sorti de leur double lecture avec un très profond
malaise et l'impression que "le Figaro" accepte de laisser, par
quelques agilités verbales, masquer la question fondamentale :
quelle est la nature de ce que produit, quand elle est féconde,
l'union de l'homme et de la femme ? Il semble que sous l'emprise
de la passion, devant l'assurance du scientifique, les déclarations
(sans danger) de témoins ou par souci de n'être pas "rétrograde"
(oh, la faute honteuse...) on n'ait plus le courage ou le bon
sens de la poser, préférant parler à tort et à travers, à longueur
de colonnes. Ce serait pourtant intéressant, car enfin de cette
union résulte bien un petit que/que chose qui vit, croît, évolue
et appartient à l'espèce humaine non ? Pour ma part, ce petit
quelque chose qui vit et appartient à l'espèce humaine est doté
de vie humaine. Il faut vraiment de très remarquables contorsions
intellectuelles pour établir le contraire d'autant plus qu'à ma
connaissance (mais je ne suis pas aussi savant que M. MONOD) on
n'a jamais vu le petit "quelque chose" s'épanouir en chat ou en
légume.
Alors
comme cette réalité n'est pas facilement démontable nous assistons
à une tentative d'escamotage derrière un écran de fumée assorti
d'un renfort de science verbeuse : au lieu de garder la notion
de vie humaine on se limite, si j'en crois l'article de Mme Françoise
BERGER, à nier dans l'être inconscient l'existence de la personne
humaine, distincte de la nature humaine. Cette casuistique me
paraît indécente et quelque peu farfelue. Farfelue parce que la
notion de "personne" ne relève pas à mon avis de la biologie :
nous sommes là en plein non-sens. Indécente parce que cela signifie
que le scientifique s'arroge le droit de peser selon ses propres
critères le poids de la conscience, et de définir ainsi dans une
vie humaine le volume de dignité qu'il daigne lui concéder. En
toute logique, la liste est immense des victimes potentielles
de cette belle théorie qui, à partir de cette trouvaille du système
nerveux central, glisse bien vite à la conscience de là à la personne...
L'inconscience de tel vieillard dont l'esprit a sombré, de tel
blessé de la tête, de telle victime d'une méningite retire-t-elle
quoi que ce soit à leur droit à la vie ? Le ftus de 6 mois,
de 7 mois, de 8 mois, le nouveau-né, ont-ils conscience d'exister,
eux qui sont dotés (sous-entend M. MONOD) d'un système nerveux
central ? Et l'homme endormi ou le comateux, qui n'ont pas
de conscience, les supprimerait-on ? Non, M. MONOD ne les supprimerait
pas, ce qui montre bien que son critère de "conscient" ou "inconscient"
ne vaut guère. Je sais bien que l'endormi est en "puissance de
conscience". L'embryon ou le ftus également chez eux tout
est "en puissance" et se réalise progressivement. Il y faut
seulement plus de temps. Mais je ne vois pas entre les uns et
les autres de différence de nature. Allons, cette déclaration
de M. MONOD n'est guère scientifique. Elle relève de l'effet d'audience,
amplifiée comme elle l'est par tel ou telle qu'impressionne la
renommée de son auteur, mais elle n'a guère de fond et se rattache,
dans la formulation qui en est présentée à ce naïf scientisme
qui a fait son temps.
Mme
Parturier n'est d'ailleurs pas tombée dans le piège de ce verbiage
scientifique. Il semble qu'elle ait été beaucoup plus impressionnée
par la déclaration du professeur MlLLlEZ, déclaration à laquelle
elle cède huit lignes de sa chronique sans s'apercevoir que ce
qu'elle cite aurait de quoi faire sourire si ce n'était consternant.
Car enfin, à lire ce qu'elle rapporte, il semblerait que pour
se faire "délivrer" comme semble avoir élégamment dit M. MlLLlEZ
(admirons l'euphémisme) une femme n'aurait qu'à se présenter à
lui en disant avoir été violée : quelle certitude obtenir, en
effet, qu'elle dit vrai ou qu'elle ment... Cette affaire de "filles
violées" me parait tellement "hénaurme" que je m'étonne de voir
Mme Françoise PARTURlER, avec l'esprit incisif qui est habituellement
le sien, présenter sérieusement la citation qu'elle nous offre.
Cela retire bien du poids à cette "confession bouleversante"
comme elle dit. (Approximation amusante, du reste; car le terme
de "confession" appliqué à la déclaration d'un homme qui
se présente comme catholique et proclame le bienfondé de son comportement
est très exactement à l'opposé de ce qui conviendrait...)
Faut-il
en fin de compte, au-delà des clameurs des uns, des déclarations
à grand spectacle des autres, retenir quelque grief contre l'injustice
sociale l Je le pense. Il y a sûrement, il y a toujours des améliorations
à apporter dans les situations douloureuses. Cela ne date pas
d'aujourd'hui. Mais à mon sens la lutte contre l'injustice sociale
ne relève pas de la médecine en tant que telle. Charger le corps
médical, dans ces situations douloureuses, d'apporter par la suppression
de l'enfant à naître l'hypothétique solution à des drames que
nos lois sociales ne sont pas capables de prendre en compte, non
I Lutter pour une politique familiale, pour faciliter le logement,
améliorer les ressources du foyer chargé d'enfants, c'est positif.
Refuser l'esclavage de l'érotisme et l'asservissement de la pornographie,
très bien. ("Le Figaro", d'ailleurs pouvait bien refuser
certaines publicités de films...). Protéger les jeunes contre
eux-mêmes afin d'éviter le drame de la petite avortée de Bobigny
: oui. (Double drame, d'ailleurs, car elle n'est en fait qu'un
instrument utilisé par quelques entreprises de démolition sociale.)
Mais remplacer tous ces efforts par le simple massacre annuel
de centaines de milliers d'innocents à naître, sous l'orchestration
d'une administration de la mort se déchargeant sur les médecins
du soin de pallier ses insuffisances : ce n'est pas acceptable.
Bref,
ces "réflexions" de Mme PARTURlER ne me semblent pas bonnes...
Elles sont, en outre, présentées sur un mode grinçant, agressif,
avec pirouettes et coups de griffes en passant : jusque sur la
fin où nous voyons les chrétiens poussés à devenir courageux...
Cela signifie-t-il que les chrétiens, en tant que tels, ne sont
pas courageux ? Que les catholiques le sont encore moins
que les autres ? Ou qu'il y a incompatibilité entre chrétiens
et courage ? Est-ce-sérieux ? Ou avons-nous seulement
affaire à un de ces bons mots dans lesquels l'éclat de la forme
compense l'absence de fond ? Un de ces slogans, peut-être,
qui tient lieu de pensée... Alors s'expliquerait mieux la dernière
phrase de la chronique, où se trouvent associés en un savant désordre
et une formule dont je reconnais la réelle élégance formelle,
le respect de la vie, celui de ceux qui la donnent et l'intention
de la supprimer...
Eh
bien l dans le devoir de l'élève PARTURlER, le style me paraît
bon (comme toujours), les idées confuses, la réflexion insuffisante,
l'impulsion excessive. L'élève PARTURlER a de grandes facilités
et un réel talent, mais cette fois-ci elle a bâclé son devoir.
Ce n'est pas bien : elle n'aura pas la moyenne... "Le Figaro"
non plus.
Croyez,
Monsieur le Rédacteur en Chef, à ma considération distinguée.
J.F.
© Laissez-les-Vivre
SOS Futures Mères, janvier 1973
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