J'étais
en vacances. Repos du corps, mais non de l'esprit, à cause de
cette terrible menace suspendue au-dessus de millions d'innocents.
Et
je me disais : « Pourquoi M. le Ministre de la Santé
publique ne parle-til pas ? II connaît parfaitement la Constitution,
son préambule, et même la Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme. II sait que le Droit de tout être humain à la vie, qui
s'y trouve expressément proclamé, lui impose de répondre à tant
de manifestations impudentes par une prise de position sans détour.
« Même
si M. le Ministre ne va pas jusqu'à se placer sur le plan des
Droits de la personne humaine, il lui revient de défendre le droit
à la santé, qui doit être, autant que faire se peut, le bien de
tous. Or, l'avortement tue, dans tous les cas, les enfants qu'il
supprime : avec ou sans souffrance, on ne nous le dit pas.
Et il tue aussi quelquefois la mère consentante.
« M. le Ministre sait que Santé publique
ne se concilie guère avec mortalité infantile, anse ou
post partum, et que pour réduire à la fois le nombre des enfants
morts et celui de leurs mères, il suffirait de diminuer le plus
possible le nombre des avortements. Mais sans doute M. le Ministre
prépare-t-il une vigoureuse déclararion qui va faire blémir de
dépit les 343 et rendre malades de désespoir les 247. »
Et,
la nuit suivante, j'eus un rêve. Mon quotidien parisien publiait
une lettre du Ministre BOULIN, dans laquelle il se déclarait fermement
contre l'extension des cas légaux de cet affreux "avortement thérapeutique",
que les progrès de la science ont ramené, statistiquement parlant
(car, moralement, c'est autre chose) à un niveau très faible.
M. BOULIN, dont le Ministère s'est à très juste titre ému tout
à tour des progrès de l'alcoolisme, de la drogue et du proxénétisme,
se démarquait avec énergie des adeptes de la loi-remorque, lamentable
reflet des mceurs du temps. Et il proclamait que la règle sociale
devait être d'autant plus ferme et contraignante que les moeurs
étaient relâchées ou barbares.
II
révélait le coût de "l'opération finale", dont il s'était enquis
auprès de son éminent collègue, M. le ministre du Travail et de
la Sécurité sociale; et il s'inquiétait de savoir dans quel budget
il faudrait inscrire les 40 ou les 160 milliards d'anciens
francs que les officines prévues et leurs avorteurs patentés s'apprêtaient
à recevoir chaque année de leurs patientes et des organismes de
Sécurité sociale.
II
affirmait que jamais en France on ne pourrait tuer impunément
età découvert des enfants sans défense. La vue de ces corps mutilés,
les plaintes, cet immense cri d'agonie, tout cela lui était insupportable.
Et il appelait le Premier Ministre à partager son horreur pour
le crime et sa confiance dans la médecine qui sauve.
Je m'éveillai. On frappait à la porte de ma chambre. On m'apportait,
avec mon café, le journal de la veille au soir. M. BOULIN avait
en effet écrit au Premier Ministre; et c'était pour se déclarer
en faveur de l'avortement.
J'avais
fait un mauvais rêve.
François
Delibes
© Laissez-les-Vivre
SOS Futures Mères, octobre 1971
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