Madame
Veil était retenue àl'Assemblée nationale
la 15 avril par un débat fort important sur les laboratoires
d'analyses le jour où, au Sénat, elle aurait dû
répondre à une question d e M. Jean Colin sénateur
de l'Essonne.
Celui-ci n'est pas satisfait de la circulaire du 7 mars par laquelle
Madame Veil cherche à introduire l'avortement dans les
hôpitaux quand les chefs de service s'y refusent. Il n'admet
pas qu'une circulaire permette da faire l'avortement dans n'importe
quel lit possible ou dans une consultation de régulation
de naissances. Il n'admet pas qu'on embauche, pour cela, des médecins
à la vacation. il est mécontent aussi qu'on, ne
punisse pas les manifestants qui, le 7 mars également,
ont fait à l'hôpital Cochin des avortement parfaitement
Illégaux.
En
l'absence de Mme Veil, c'est son secrétaire d'État,
M. Lenoir, qui a donné quelques explications, mais ces
explications n'ont pas satisfait M. Colin qui s'en explique ainsi
à la tribune du Sénat (1).
Monsieur
le secrétaire d'État, je vous remercie des explications
que vous venez de nous fournir et qui dans un certain sens me
donnent quelques apaisements. Nous restons cependant en désaccord
sur l'essentiel, et je vous prie de m'en excuser, car nous avons
une loi qui est celle du 17 janvier 1975 et dont je pense qu'elle
doit être appliquée avec les plus grands scrupules
et la plus grande rigueur. C'est d'ailleurs parce que cette loi
introduit un certain nombre de conditions et de réserves
qu'elle a été finalement adoptée. Or, nous
nous trouvons déjà dans une situation toute différente
de celle que prévoyait la loi du 17 janvier 1975 et je
vais vous dire pourquoi.
Tout
d'abord, c'est parce que l'administration a pris une initiative
qui est peut-être intervenue sous la pression des événements,
mais qui est absolument contraire à la loi. L'article 15
de cette dernière disposait que le décret d'application
fixerait les conditions de mise en uvre, ce qui est assez
normal. C'est une disposition de portée générale.
II est certain que pour un sujet aussi grave il faut s'en remettre
aux juristes, comme pour la plupart des dispositions législatives.
Or,
qu'a fait l'administration ? Elle se contente d'un dispositif
qui est absolument contraire à la loi, c'est-à-dire
qu'elle a produit une circulaire. Or, une circulaire, tant s'en
faut, n'est pas un décret. A ma connaissance, une circulaire
n'a qu'une valeur absolument interne et ne donne pas les mêmes
garanties que le décret. En outre, cette circulaire, dont
la légalité me semble douteuse, prend des libertés
avec le texte, ce qui n'exclut pas pour autant les contradictions.
La
première contradiction résulte d'un passage de la
circulaire intitulé " intervention technique"
et dans lequel il est prévu, ce qui est tout à fait
surprenant, que les avortements peuvent avoir lieu en milieu hospitalier
dans n'importe quel service. Par conséquent, s'il existe
des lits disponibles dans un service d'ophtalmologie et pas ailleurs,
c'est là que l'on pratiquera ces interventions !
Aussitôt
après, tout de même, il y a une réserve. On
découvre à juste titre que ces interventions peuvent,
dans certains cas, réserver des surprises, et qu'il faut
prévoir le recours rapide, en cas de besoin, à un
service de réanimation.
Sans
compter les problèmes posés par la non-proximité
ou l'inexistence d'un tel service, il y a contradiction flagrante,
lorsqu'on affirme, d'une part, que les interventions peuvent être
faites dans n'importe quel service et que, d'autre part, les risques
sont suffisants pour qu'un équipement exceptionnel soit
à proximité.
On
note une deuxième contradiction, et là je n'approuve
pas les explications que M. le secrétaire d'État
vient de nous fournir : elle se rattache à l'intervention
possible de médecins vacataires. Comparés à
la circulaire, les propos que M. le secrétaire d'État
vient de tenir apportent une précision : le terme "vacataires"
a été abandonné et nous parlons maintenant
d'attachés. Je connais bien les attachés : ce sont
des gens qui, naturellement, sont inscrits dans un groupe hospitalier
et dont nous apprécions beaucoup les services. Mais que
peuvent être les " vacataires" ? C'est tout
de même le terme qui apparaît dans la circulaire.
Peut-être pourra-t-elle être retouchée sur
ce point ?
J'ai
dit aussi qu'il y a "violation de la loi". Celle-ci
a voulu de façon formelle réserver aux médecins
le droit de se récuser, et on le comprend fort bien, car
il se posait aussi pour eux un problème de conscience.
Je me demande si, en plus, ne se produiront pas des difficultés
dans la marche des services hospitaliers car dans l'hypothèse
où un chef de service opposera un refus à la pratique
des interventions, il va se produire des heurts d'abord avec l'attaché
ou le vacataire.
J'avais
posé ici la question lors de l'examen du projet de loi
et mon propos figure à la page 2 942 de l'édition
des Débats du Sénat. Mme le Ministre m'avait répondu
de façon très sèche, certes, mais aussi très
claire. Dans l'hypothèse où les médecins
ne voudraient pas, dans un établissement hospitalier, procéder
à des interventions de ce type, on n'en ferait pas. C'est
absolument formel et je me réfère au Journal
Officiel.
Malgré
la déclaration de Mme le Ministre, je suis obligé
de remarquer que la circulaire qui a été préparée
par les services a décidé de remettre en cause ce
qui avait été dit et promis, et que la création
de médecins vacataires, rend ainsi caduc l'engagement qui
avait été pris.
J'insiste
aussi sur le fait qu'il va se créer un climat assez peu
tolérable dans les services hospitaliers par suite des
frictions qui ne manqueront pas de se produire entre les chefs
de service et les médecins qui seront amenés à
intervenir. On a dit que cette disposition avait été
imaginée pour éviter l'instauration d'un mauvais
état d'esprit et le blocage de la loi par certains chefs
de service.
Ce
raisonnement me parait profondément illogique, car il faut
s'en remettre à l'idée, absolument formelle, que
la loi a voulu laisser aux médecins toute latitude pour
faire ou non des avortements. La loi, c'est cela et rien d'autre.
Elle doit être respectée, et si sa rédaction,
telle qu'elle est, devait entraîner des difficultés,
il aurait fallu les prévoir et modifier le texte en conséquence.
En
effet, que va-t-Il se passer ? Ou bien le chef de service
laissera faire je ne dis pas en haussant les épaules
parce que ce n'est pas sa méthode les intrus qui
arriveront dans son service. Mais alors il ne sera plus à
même de savoir ce qui se passe dans son service et il est
certain que très vite il perdra son autorité. Cela
tendra à devenir de l'anarchie.
Ou
bien, voulant éviter l'intervention de n'importe qui dans
son service, le chef de service finira par réviser sa position.
C'est très grave, parce qu'il perdra ainsi le droit qui
lui est donné par la loi de ne pas faire en conscience
de telles interventions. C'est pourquoi, par ce moyen, la loi
va se trouver tournée et mise indirectement en échec.
Une pression que j'estime inadmissible va être opérée
sur les chefs de service.
Reste
enfin le problème de la responsabilité. Je sais
que des journaux très bien informés ont fait valoir
que la responsabilité du chef de service n'existait pas
et que c'était la responsabilité de l'administration
qui intervenait dans les établissements hospitaliers. Je
pense que là nous sommes encore en pleine confusion. En
effet. la responsabilité morale du chef de service reste
entière, et c'est là l'essentiel, car, d'une part,
elle exprime l'idée profonde qu'il se fait de sa profession
et, d'autre part, elle traduit l'image de marque qu'il représente
à l'égard des patients.
La
responsabilité pénale n'est nullement modifiée,
quoi qu'on ait pu dire. Un chef de service peut voir sa responsabilité
pénale engagée à la suite de la faute commise
par l'un de ses collaborateurs. De tels faits ont déjà
été jugés dans ce sens : la jurisprudence
est constante et sans équivoque.
En
matière de responsabilité civile, s'il est vrai
que l'hôpital est responsable, rien n'empêche la victime
de se retourner contre le médecin en invoquant, à
tort ou à raison, une faute personnelle détachable
de la fonction. Or, les décisions des tribunaux ne sont
jamais prévisibles.
C'est
pourquoi il n'apparaît pas très normal qu'à
défaut de médecins consentant, dans un établissement
hospitalier, à pratiquer las interventions prévues
par la loi du 17 janvier 1975 on y introduise des éléments
extérieurs dont le rôle ne peut qu'entraîner
de graves difficultés.
L'impunité
des incidents de Cochin
D'autre
part, des faits récents et fort regrettables M.
le secrétaire d'État m'a rendu justice à
ce titre se sont produits le 7 mars dernier, à l'hôpital
Cochin. Un groupe de provocateurs a envahi le service d'un professeur
de chirurgie, en lui enjoignant, de pratiquer sur-le-champ un
certain nombre d'avortements dans la matinée. Ces faits
ont été soigneusement orchestrés par une
certaine presse et par la télévision qui, miraculeusement,
se trouvait là. La préméditation était
donc évidente.
Refoulés
du service de chirurgie, les agités se sont rendus maîtres
d'un autre service et y ont procédé, en toute liberté,
à des avortements.
Qu'a-t-on
fait ? Rient Bien que les intéressés soient
restés une matinée et probablement une bonne partie
de l'après-midi à l'hôpital, il a été,
d'après les déclarations de M. le secrétaire
d'État, impossible de les identifier.
Je
crois pourtant que la loi donne des moyens d'intervention. On
nous a assez dit que la loi de 1920 était devenue caduque,
vermoulue, dépassée, mais que, si nous votions le
texte qui est devenu la loi du 17 janvier 1975, mise au goût
du jour justifiée par l'évolution des moteurs, il
serait fait application avec la plus grande rigueur des mesures
de coercition qu'il est possible d'envisager.
La
loi du 17 janvier comporte, notamment, deux dispositions.
En
son article 2, elle prévoit que l'article 317 du Code pénal
demeure la règle. Son application n'est suspendue que si
se trouvent remplies un certain nombre de conditions. Or, manifestement,
le 7 mars, à l'hôpital Cochin, ces conditions n'étaient
pas réunies et il n'a pas été fait application
de l'article 317. Je demande pourquoi.
D'autre
part, la loi du 17 janvier 1975 prévoit en son article
10 des peines sévères à l'égard de
ceux qui, par un moyen quelconque, auront provoqué à
l'interruption de grossesse, même licite, quand bien même
cette provocation n'aurait pas été suivie d'effet.
Le
7 mars, au moment des incidents de Cochin, au moins trois infractions
pouvaient faire l'objet de sanctions : la préméditation,
la provocation et la réalisation.
Dans
ces conditions, il appareil tout à fait anormal que des
groupes de pression puissent prendre la direction d'un centre
hospitalier et imposer leur volonté. C'est extrêmement
grave car la loi ne se fait plus au Parlement ; elle n'est
même plus faite, comme je le disais tout à l'heure,
par l'administration ; elle est faite par des groupes de
pression. Ces méthodes aboutissent à un système
qui avoisine l'anarchie.
Je
conclus, monsieur le Président. Mes explications visaient
à montrer qu'au-delà des incidents de Cochin et
des privautés que l'administration a prises avec les dispositions
législatives on arrive à une formule extrêmement
discutable.
J'ose
espérer qu'après ce court débat on pourra
remettre à l'étude les mesures d'application hâtives
qui ont fait l'objet de la circulaire du 7 mars.
J'espère
aussi que l'on se montrera tout de même plus ferme à
l'égard de ceux qui, à la tête de groupes
de pression, entendent imposer, au besoin par la force, leur propre
conception. Je souhaite, pour l'avenir de ce pays et celui de
la démocratie, que de semblables méthodes soient
condamnées.
Je
souhaite enfin est-ce vraiment trop demander ? dans
un domaine aussi sérieux et aussi lourd de conséquences
pour l'avenir de la France, être un peu entendu. (Applaudissements
à gauche, au centre et à droite.)
(1)
Journal Officiel, Sénat, n° du 16 avril 1975.
Sous-titres de la Rédaction.
© Laissez-les-Vivre
SOS Futures Mères, juillet 1975
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