Un
de nos délégués, implanté dans un
quartier où sévit la drogue a été
confronté à des cas où les services sociaux
poussaient des jeunes droguées à l'avortement. Il
nous demande une information médicale : non pas, certes
une étude clinique approfondie, mais une information pratique.
Une
tragédie : la drogue dure
Il
importe tout d'abord de prendre conscience du danger très
immèdiat courru par les consommateurs habituels d'opiacés
(la morphine, ses succédanés, ses dérivés
et surtout l'héroine). Ces drogues désignées
comme drogues dures, sont dangereuses pour de multiples raisons :
en peu de jours ou de semaines, le sujet s'y accoutume, ne peut
plus s'en passer et réclame des doses toujours croissantes.
Le sevrage brusque, d'ailleurs, entraînerait une déshydratation
aiguë, qui en l'absence de réanimation peut être
mortelle. Mais la poursuite de la toxicomanie entraine une dénutrition
progressive et conduit aussi à la mort, dénouement
quelquefois hâté par la brusque défaillance
respiratoire qu'entraine une "over-dose".
Or,
la grossesse n'est pas rare chez les toxicomanes, mais elle fait
courir à l'enfant un double risque. Pendant la grossesse,
les troubles chroniques de dénutrition altèrent
la croissance de l'enfant ; il reste maigre et chétif,
à moins qu'on ne soigne avec énergie sa mère.
Après la naissance, un risque plus spectaculaire menace
le nouveau-né. Séparé de sa mère,
il présente les troubles du sevrage brusque : agitation,
sueurs, diarrhée, fièvre et meurt généralement,
à moins d'un traitement vigilant qui comporte, entre autres,
des opiacés dont les doses sont à ajuster de façon
dégressive.
Sur
le plan pratique, donc, les habituées de drogues dures
sont en danger et doivent être hospitalisées à
brève échéance. La grossesse ne doit pas
être interrompue, et l'enfant, si la mère est traitée,
finit presque toujours par guérir. Reste à traiter
la mère sur le plan psychologique, nous y reviendrons.
Un
problème psychologique: les drogues douces
La
plupart des stupéfiants non morphiniques sont, médicalement
parlant, infiniment moins dangereux et il est assez exceptionnel
que leur emploi, même à dose excessive, entraîne
la mort, à moins que le sujet ne se suicide ou surtout
qu'il ne se livre à l'escalade des drogues douces vers
l'héroïne.
La
toxicomanie aux drogues douces, et en particulier au haschich
n'en est pas moins préoccupante, car sa prévention
pose des problèmes psychologiques très difficiles.
Il
s'agit en effet de sujets constitutionnellement sensibles qui
se sentent traumatisés par une société qu'ils
désapprouvent. Inquiets, rêveurs, ils cherchent une
ambiance plus humaine dans des cénacles chaleureux, où
la drogue adoucit pour un temps les angoisses.
En
quête de leur identité, ils se cherchent souvent
dans le plaisir: "faites l'amour, pas la guerre"...
on devine les conséquences.
L'enfant
ainsi conçu a toutes chances d'être indemne. Mais
il peut être victime des avorteurs au nom de l'immaturité
affective de la mère. En réalité, une action
positive en faveur de ce petit être peut constituer un élément
décisif pour remotiver sa mère, car, sans projet
d'existence, elle ne peut guérir. L'enfant peut aussi constituer
un lien nouveau entre la jeune droguée et la future grand-mère,
lien providentiel, car la perte du dialogue parents-enfants a
joué un grand rôle dans la génèse de
la toxicomanie.
Quoiqu'il
en soit, la remise sur rails des drogués est difficile.
Elle doit être entreprise. Les parents et les établissements
d'enseignement ont à la promouvoir, mais le maitre d'uvre
doit être étranger à la famille ou au lycée.
Une
drogue doûteuse
On
ne saurait enfin passer sous silence une drogue dont la vogue,
heureusement décline, à savoir le L.S.D., drogue
de synthèse qui fut appréciée, par les promoteurs
américains de 1968, parce qu'elle stimule l'imagination
et procure des hallucinations.
Or,
le L.S.D. altère les chromosones et pourrait, en théorie,
provoquer chez l'enfant des malformations. Nous ne croyons pas,
cependant, que cette éventualité ait été
fréquemment observée sur le plan clinique. On craindra
aussi, avecle L.S.D., le risque suicidaire.
En
conclusion, la survenue d'une grossesse chez une toxicomane constitue
une raison de plus pour soigner la jeune femme. Si cette dernière
est adonnée de façon chronique aux drogues dures,
l'hospitalisation s'impose. Si elle ne tâte que de drogues
plus douces, le problème est plus psychologique que médical,
et l'exaltation de la maternité peut constituer un atout
décisif pour réussir.
Pierre
Vignes
© Laissez-les-Vivre
SOS Futures Mères, octobre 1984
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