Attendra-t-on
notre mort pour nous prendre nos reins ? C'est la question
que tous, même les plus jeunes, peuvent se poser, depuis
la loi sur les prélèvements d'organes qui a été
votée à la demande d'un sénateur afin de
faciliter la tâche de ceux qui prélèvent des
reins pour les greffer aux insuffisants rénaux.
Car
si les députés ont eu la sagesse de protéger
la plupart des mineurs et de protéger les incapables (aliénés,
par exemple) contre les prélèvements d'organes effectués
de leur vivant ils ont malheureusement confié à
Mme le Ministre de la Santé la responsabilité de
déterminer, par décret, les procédures et
les modalités selon lesquelles la mort doit être
constatée avant un prélèvement sur le cadavre.
Or,
en Angleterre, en novembre 1975, une conférence des Medical
Royal Colleges avait quelque peu inquiété l'opinion
avec ses critères pour définir la mort. On considérait
comme morts des sujets qui vivent encore mais qui n'ont plus la
« capacité fonctionnelle d'avoir une chance
de récupération même partielle ».
Un médecin de l'hôpital Hammersmith à Londres
disait à ce propos avec l'humour terrible des Britanniques:
« C'est seulement quand un malheureux commence à
réouvrir les yeux pendant qu'on le prépare au prélèvement
d'organes que les difficultés commencent »...
Ceux
que, dans les services de neurochirurgie on voit venir comme des
vautours, s'informer des mourants, de leurs reins, de leur groupe
sanguin, de leur groupe tissulaire, attendent sans doute quelque
chose du décret en préparation.
Un
sénateur craint, à leur propos « que
la convoitise d'un organe en vue d'opérer une greffe, n'incite
les médecins à se montrer plus laxistes, ou trop
hâtifs dans la constatation d'un décès ».
On
peut même se demander si l'actuelle campagne pour les dons
d'organes, généreuse dans son principe, ne risque
pas de diminuer chez les médecins le respect dû aux
malades pendant leurs derniers moments et de déboucher,
ultérieurement, sur des pratiques d'euthanasie.
L'opinion
publique doit donc se montrer très exigeante sur ce point.
II ne faut pas s'en laisser conter. il ne faut pas que la notion
de coma dépassé devienne trop floue. Nous y reviendrons.
II ne faut pas, enfin que nos technocrates étranglent la
politique du rein artificiel.
Ainsi
la jeune chambre économique, a organisé récemment
un congrès sur la transplantation rénale et souligné
à ce propos que la greffe du rein coûterait moins
cher au pays que la généralisation de la pratique
du rein artificiel. II est de fait que le rein artificiel coûte
à la Sécurité sociale dix millions d'anciens
francs par malade, et par an et c'est peut-être pourquoi
nos technocrates, en août 1973, ont fixé le nombre
maximum de reins artificiels dans des hôpitaux ou cliniques
à un taux fort bas, plus bas que dans les pays voisins.
C'est peut-être aussi pourquoi l'on nous dit souvent la
détresse des malades obligés deux fois par semaine
de venir 12 heures, se brancher sur un rein artificiel - y compris
le temps des vacances... Mais faut-il oublier, en regard, que
la greffe rénale est une aventure qui ne réussit
pas toujours. Que sur 100 malades greffés, 46 seulement
sont encore vivants après 6 ans, et 27 seulement vivant
du seul fait du rein greffé, 19 autres ayant besoin
du rein artificiel.
Aussi,
tous les efforts que vous pouvez déployer pour que vos
élus locaux obtiennent plus de reins artificiels dans leurs
hôpitaux sont utiles. Tous les efforts que vous pouvez déployer
auprès de ces élus pour que les commissions inter-hospitalières
autorisent des établissements privés à s'équiper
en reins artificiels sont utiles. Tous ces efforts permettront
à des hommes de survivre, car à l'heure actuelle,
en France, il y a des hommes qui meurent faute de reins artificiels.
Mais
surtout, vous devez parler, autour de vous pour que l'effort en
faveur des greffes d'organes ne diminue pas le respect dû
aux malades. Pour qu'on ne dispose pas des agonisants pour d'autres
patients en attendant peut-être de les sacrifier par l'euthanasie,
au confort des bien-portants.
P.
Vignes
© Laissez-les-Vivre
SOS Futures Mères, février 1977
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