Voilà
quelques mois, Claire Fontana, la courageuse
présidente fondatrice de la Trêve de Dieu,
comparaissait, sur le plateau de la télévision d'État,
devant un tribunal chargé de juger en dernière instance
les çrimes contre la liberté, le plus grave étant
de dissuader les mères et les médecins de pratiquer
l'avortement. Et l'un des juges, loup ravisseur vêtu d'une
peau de brebis, sous le nom d'une avocate militante de l'holocauste
des enfants à naître, lui dit avec bénignité
teintée de condescendance: « Vous, chère
Madame, vous devez sans doute refuser l'avortement parce que votre
religion vous l'interdit. Mais vous n'avez pas le droit de l'imposer
aux autres. »
Le
respect de la personne humaine sous sa forme la plus cachée,
qui interdit sans restriction son assassinat, serait-il un monopole
du christianisme ? Hippocrate, en obligeant ses
élèves à un serment qui constitue une norme
permanente de la déontologie médicale, a-t-il voulu
leur imposer une attitude chrétienne, lui qui vivait cinq
siècles avant Jésus-Christ ?
Le
code pénal de l'Égypte pharaonique, qui prévoyait,
au deuxième millénaire avant notre ère, la
peine de mort pour l'auteur de ce crime, avait-il été
inspiré de l'Évangile ?
Ce
n'est pas au nom d'une quelconque religion que la loi civile punit
l'infanticide, sous ses diverses formes, mais au nom de la Loi
naturelle, qui est universelle ; et quand la loi civile, sous
la pression de l'immoralité publique, en vient à
se transformer soudainement en son contraire, elle trahit ce que
Socrate et Sophocle, comme Saint-Augustin
et Saint-Thomas, appellent une Loi éternelle.
Notre époque, où chaque politicien a sans cesse
à la bouche les droits de l'homme, ignore étrangement
que le premier de ces droits est de naître ; car si celui-ci
n'est pas respecté, on ne peut plus revendiquer aucun autre.
S'il
n'y a plus de droit naturel pour interdire la mort de l'enfant
innocent, à plus forte raison n'y en a-t-il plus pour interdire
l'internement et la mort lente de l'adversaire politique.
L'argument
ad hominem qu'allait sans doute invoquer Claire dans
la fosse aux serpents, et qu'elle n'a pu invoquer
parce qu'on lui a fermé la bouche, c'est celui-ci : « Vous
prétendez que les pratiques de l'État national-socialiste
étaient immorales ? Mais c'est là un principe d'une
morale chrétienne, maintenant dépassé. La
morale nationale-socialiste, comme toute morale socialiste, est
une autre morale que la nôtre. Vous n'avez pas à
exiger des Germains l'application d'une loi similaire à
celle qui vous est dictée par votre conscience. Soyez en
certains : les bourreaux de Buchenwald et d'Auschwitz étaient
persuadés de leur droit, et leur conscience les approuvait
aussi fortement que la vôtre en ce moment. Et ils ont pourtant
été condamnés ! » Que voilà
des juges iniques, de la même graine qu'Hippocrate et Claire
Fontana.
Il
serait d'ailleurs tout à fait juste d'adresser le même
reproche à ces messieurs de la "droite libérale"
qui ont voté la libéralisation de l'avortement :
« Pourquoi protestez-vous contre l'installation
des camps de concentration en Union soviétique ? N'est-ce
pas la conséquence fatale de la morale communiste ? Le
libéralisme et le pluralisme ne doivent pas être
à sens unique. Quelle incongruité a donc saisi nos
gouverneurs quand au siècle dernier ils ont fait cesser
les coutumes barbares dans les territoires conquis par la France
en Afrique et en Océanie: l'excision du clitoris, les épreuves
mortelles des adolescents, l'anthropophagie des prisonniers ?
C'était là un attentat à la vénérable
morale de ces peuples. » « À
chacun d'agir selon sa conscience. » Que voilà
une maxime utile aux tortionnaires ! Alors, que l'État
anonyme n'exige plus ce que l'on appelle bourgeoisement le droit
de propriété, afin que ceux qui le nient s'attribuent
(en toute bonne conscience) les biens des possédants. Que
l'État ne se mêle pas de ce que les démocrates
chrétiens nomment la justice sociale, afin que chaque employeur
(à commencer par lui-même) applique dans ce domaine
ses propres conceptions. Que l'État n'attente pas à
l'épanouissement des voyous et des terroristes, qui ont
(en toute bonne conscience) une morale de la société
différente de la nôtre. Finalement, pourquoi des
droits ? Laissons à chaque individu son éthique.
Que le législateur ne legifère plus, et que le pouvoir
exécutif n'exécute plus. Mettons à la retraite
les
juges et les gendarmes, car il est certain qu'ils condamnent et
emprisonnent des hommes qui auront agi justement dans la sincérité
de leur conscience.
Mais
le plus révoltant se produit quand se sont des théologiens
et des évêques qui relaient les impies dans la lutte
contre la morale naturelle, et qui nous disent : « Gardez
pour vous votre morale et ne l'imposez pas aux autres ! »
C'est comme si les clercs criaient aux hommes d'État et
aux législateurs: « C'est notre amour de
l'homme qui a suscité les hôpitaux, les hospices
de vieillards, les léproseries et les orphelinats. Ne vous
arrogez pas le droit d'en disposer comme de votre bien. Laissez-nous
donc le monopole de la charité, et contentez-vous de l'héritage
païen du mépris et de la violence ».
Ce
qui est vrai, c'est que ce monde sans âme a, de fait, renoncé
à pratiquer le respect de la vie depuis qu'il a abandonné
les vertus évangéliques. Alors, impies et théologiens
dégénérés, de connivence, préfèrent
admettre qu'il y a deux morales ; et ils invitent poliment ceux
qui défendent le faible contre le fort, l'innocent contre
le méchant, la civilisation contre la barbarie, à
se retirer du combat et à pratiquer en solitaires leurs
vertus rétrogrades. On leur demande, au nom de la tolérance,
de regarder sans protester le fort égorger le faible, et
de le laisser se justifier en obtenant du Parlement une autorisation
en bonne et due forme.
Hélas
! à constater le silence des pasteurs et la timidité
des brebis, il semble bien superflu de crier aux chrétiens
: « N'imposez pas votre morale ! »
Ce sont les autres qui sont en train de leur imposer la leur c'est-à-dire
leur immoralité, leur cynisme, leur égolsme meurtrier.
Aux chrétiens de réagir, de prendre conscience de
leur mission. Loin de leur dire : « Sauvez vos
enfants, mais laissez les autres assassiner les leurs ; soyez
purs, mais n'empêchez pas les autres de se souiller par
le crime le plus lâche; obéissez au Dieu de l'Évangile,
mais encouragez les autres à se révolter contre
le Dieu de la religion naturelle », au lieu de
tenir ce langage, suppliez donc les chrétiens, vous, pasteurs
d'âmes, d'être des modèles et des entraÎneurs
dans cette civilisation qui se meurt.
Ivan
Gobry
©
Laissez-les-Vivre SOS Futures Mères, décembre
1992
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