Notre
article précédent
a, nous le croyons, démasqué toute une série
d'aspects complètement inconnus ou au moins méconnus
ou peu connus de ce projet. Et d'après les échos
qui nous sont revenus de divers côtés, il a eu un
rôle utile. Cependant, certaines remarques ont été
faites qui nous paraissent appeler divers commentaires.
Il
convient de souligner que cet article discutait exclusivement
le projet Messmer-Tattinger-Poniatowski et que les lignes concernant
les dispositions législatives actuelles n'étaient
que des incidentes et non une discussion sur le fond de ces dispositions
actuelles (page 3, 1ère et 2ème colonnes : On conçoit
que seule une raison absolue, danger vital pour la mère...).
La
1ère ligne de ce paragraphe aurait dû être
différente au lieu de dire : On conçoit
que..., ce qui donnait à penser que c'était
notre opinion sur la législation actuelle qui était
exprimée, nous aurions dû dire : La législation
actuelle admet que seule une raison absolue, danger vital
pour la mère...
La
remarque nous a été faite à juste titre et
nous remercions vivement ceux qui nous l'ont faite.
Cette
remarque nous a amenés à diverses réflexions
qui sont l'objet de cet article.
Le
droit à la vie de tout individu est garanti par le préambule
de la Constitution de 1946, le préambule de la Déclaration
des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789 et par le principe
XVI de la Déclaration des Droits de l'homme, préambules
et déclaration qui demeurent les bases de la Constitution
de 1958. Les seules limites qui puissent être mises à
l'exercice de ce droit à la vie de chaque être humain
sont celles qui assurent aux autres membres de la Société
la jouissance de ce même droit (principe IV de la Déclaration
des Droits de l'homme).
Dans
les circonstances de l'avortement thérapeutique, selon
les dispositions actuelles (article 87 du décret-loi du
29 juillet 1939, décret du 11 mai 1955
(article L. 161-1 du Code de la Santé) et décret
du 28 novembre 1955 (article 33 du Code de Déontologie
médicale) qui, on le sait, acceptent l'avortement thérapeutique
en cas de danger vital pour la mère, deux individus sont
en danger de mort : la mère (puisqu'on se place par
définition dans ce cas) et l'enfant, puisque par le seul
fait que l'idée est venue qu'on puisse sauver la mère
en tuant l'enfant par l'avortement il y a pour lui risque de mort.
Ce
point est tout à fait capital : Il est très important
de rapprocher la loi sur l'assistance à personne en danger
des dispositions législatives concernant l'avortement.
Cette loi est directement impliquée dans ces circonstances,
où il y a de toute évidence personne en danger,
et/où de toute évidence aussi la loi sur l'assistance
à personne en danger s'applique. En effet selon l'article
63 du Code Pénal (1). Tout citoyen est tenu de porter assistance
à toute personne en péril, s'il peut la secourir
sans risque pour lui. Tel est bien le cas et cette loi va ainsi
obliger à porter secours aux deux personnes menacées
de mort. Il faut donc en fait sauver la mère et l'enfant
ou l'enfant et la mère. C'est dans la majorité des
cas ce qui se produit car les véritables indications de
l'avortement thérapeutique au sens de la loi actuelle définie
ci-dessus sont devenues tout à fait exceptionnelles. Il
n'y a de difficultés théoriques que dans le cas
où il y a conflit entre ces deux sauvetages, c'est-à-dire
dans le cas où l'on est obligé de choisir, de donner
une priorité à l'un plutôt qu'à l'autre
dans la hiérarchie des sauvetages, ou, ce qui est plus
grave encore, de tuer l'un pour sauver l'autre, problème
théorique et démarche intellectuelle très
différents.
La
loi religieuse catholique estime que même si le but est
bon, le moyen ne saurait être mauvais (Pie XII, Discours
aux sages-femmes, 29 octobre 1951, n° 598 de l'édition
des moines de Solesmes, volume Les enseignements pontificaux,
le mariage, page 357).
Ainsi
par exemple sauver la vie d'une mère est une très
noble fin, mais la suppression directe de l'enfant comme moyen
d'obtenir cette fin n'est pas permise.
L'attentat
direct à la vie humaine innocente entrepris comme moyen
d'arriver à un but dans le but de sauver une autre
vie est illicite.
Ainsi
ce moyen le meurtre de l'enfant est écarté
par la loi catholique. Il faut sauver la mère par tous
les moyens excepté celui-là. En écartant
ce moyen, le danger de mort de l'enfant - lié précisément
directement à ce moyen est écarté.
L'enfant court peut-être d'autres risques de mort liés
à la nature de la maladie ou de la conjoncture, mais pas
celui-là. Le devoir du médecin est de s'efforcer
de sauver les deux, en écartant le moyen qui est l'inverse
du sauvetage, à savoir le meurtre de l'un des deux, en
l'occurrence de l'enfant.
Ceci
résume la position catholique rigoureuse sur ce problème.
Il
convient de remarquer que la loi sur l'assistance à personne
en danger qui est une loi républicaine, non religieuse,
une loi de l'État, aboutit exactement aux mêmes conclusions
que la loi catholique. L'enfant est en danger, vous lui devez
assistance, ce qui exclut de le tuer, et faire jouer l'assistance
pour l'un et pas pour l'autre est une discrimination, donc un
fait anticonstitutionnel. Autrement dit, dans ces cas difficiles,
il faut s'efforcer de sauver les deux en excluant le meurtre de
l'enfant comme moyen, ce meurtre étant en contradiction
absolue avec la loi d'assistance à personne en danger.
Cette loi impose donc que l'on utilise tous les moyens pour sauver
les deux personnes en danger, à l'exclusion du meurtre,
ce qui est une évidence, le meurtre étant le contraire
d'un moyen de sauvetage. Cette loi s'oppose donc a l'utilisation
du meurtre comme moyen. Il est de notoriété publique
que l'indication de ce moyen est devenue tout à fait exceptionnelle
et il est complètement prouvé que d'autres moyens
que celui-ci sont aussi valables sur le plan du résultat
quant à la vie de la mère, et il n'est pas complètement
prouvé que sur ce plan ce moyen soit dans certains cas
le seul actif ou au moins le plus actif. Et ü est en tout
cas vraisemblable que les progrès de la science devront
permettre de sauver la mère sans ce moyen et qu'on pourra
même trouver des moyens plus efficaces pour sauver la vie
de la mère que le meurtre de l'enfant, ce qui serait la
solution définitive non seulement sur le plan pratique
mais sur le plan théorique et doctrinal, réglant
sur le plan théorique l'épineuse question soulevée
et éliminant d'avoir à choisir entre la vie de la
mère et la mort de l'enfant ou entre la mort de la mère
et la vie de l'enfant.
Si
ce choix ne doit pas être fait puisque la mort donnée
volontairement à l'un des deux est écartée
comme moyen à la fois par la loi catholique, par les principes
constitutionnels et par la loi sur l'assistance à personne
en danger toujours en vigueur (dont aucune circulaire (ministérielle)
n'a demandé de suspendre l'application), il reste un problème
celui de la priorité.
Dans
le concret les choses s'articulent d'elles-mêmes. On commence
par ce qui est accessible ou le plus accessible et l'on continue
par le moins accessible ou le plus difficile. Il faut commencer
par ce qui est faisable et faire d'abord tout ce qui est possible.
Cette loi d'action pratique règle le problème des
priorités. II faut soupeser les risques, suivre la ligne
de plus haut rendement sur le plan de la vie, c'est-à-dire
rendre le maximum de services pour le minimum de risques pour
les deux vies en cause. C'est cette règle de conduite qui
règle en pratique la question théorique des priorités.
Il
était très important de montrer :
1° que les dispositions législatives actuelles ne doivent
pas être séparées d'une autre disposition
législative actuelle toujours en vigueur qui est la loi
d'assistance à personne en danger loi qu'aucune tentative
n'a cherché jusqu'ici
à dénaturer ou à restreindre dans ses applications ;
2° que les divergences existant entre la pure doctrine catholique
et les dispositions législatives actuelles de l'avortement
thérapeutique disparaissent quand on leur intègre
la loi d'assistance à personne en danger ;
3° qu'en faisant jouer cette loi d'assistance qui joue obligatoirement
on écarte une décision discriminatoire anticonstitutionnelle
(et qui doit de ce fait même être écartée) ;
4° que les imperfections théoriques de la loi actuelle
disparaissent quand on les complète par une autre loi actuelle
toujours en vigueur.
Les
dispositions législatives actuelles qui ne permettent de
tuer l'enfant qu'en cas de danger vital à court terme pour
la mère et en l'absence de tout autre moyen pour le même
but (2), position qui présente les difficultés théoriques
que nous avons vues, sont, malgré ces difficultés,
infiniment supérieures au projet M.T.P. et à tous
les projets comparables qui préconisent le meurtre de l'enfant
pour des buts très inférieurs au sauvetage de la
vie de la mère ou complètement inexistants et en
présence de tous les moyens possibles de faire autrement.
Avec l'intégration de la loi sur l'assistance à
personne en danger, l'ensemble législatif devient tout
à fait cohérent et les difficultés ci-dessus
disparaissent complètement.
L'adjonction
de cette loi - toujours actuelle - de l'assistance à personne
en danger aux textes concernant l'avortement thérapeutique
s'impose de toute évidence, car ces circonstances de danger
sont justement des circonstances d'application de cette loi par
définition. Il fallait le rappeler. C'est fait.
Le
rappel de ces notions fondamentales a pour nous un autre intérêt.
Pour
tous les médecins qui n'ont pas trahi, qui sont restés
fidèles au serment d'Hippocrate, qui mettent toujours leurs
connaissances au service de la vie et ne sont donc pas passés
du côté de la mort, en devenant des fournisseurs
nouveaux de nouveaux fours crématoires, pour tous ceux-là
qui sont en France la très grande majorité mais
qui peuvent être confrontés aux cas difficiles des
circonstances de l'avortement dit thérapeutique, il était
indispensable de rappeler que la loi d'assistance à personne
en danger leur faisait un devoir de chercher à porter secours
aux deux vies en danger dans ces cas. Ceci leur permettra une
application meilleure des textes en vigueur.
Enfin,
si la législation actuelle non complétée
par la loi d'assistance à personne en danger admet l'avortement
thérapeutique dans le cas unique de danger vital pour la
mère, il faut rappeler que toute mère donnerait
sa vie pour sauver son enfant et qu'aucune mère digne de
ce nom ne tuerait son enfant pour sauver sa vie. Si donc la loi
peut admettre à la rigueur l'absence de sanction en cas
de danger vital pour une telle décision, elle ne peut considérer
qu'il s'agisse d'un acte noble, digne de félicitations.
Tous
ces aspects psychologiques et juridiques nous paraissaient devoir
être rappelés dans cette importante question en donnant
un relief tout particulier à la loi actuelle d'assistance
à personne en danger qui ne doit pas prendre place mais
a sa place d'ores et déjà et de plein droit dans
ces cas où deux vies sont précisément en
danger de mort et doivent être secourues.
Une
dernière remarque s'impose. Dans les circonstances de l'avortement
thérapeutique, selon la loi actuelle, il y a danger vital
pour deux vies humaines. Dans les circonstances d'une loi "
élargie " il y a danger vital pour une seule vie humaine,
celle de l'enfant. La loi d'assistance à personne en danger
joue donc pour la seule vie menacée ou si elle joue pour
les deux, elle joue prioritairement pour la plus menacée,
c'est-à-dire pour la vie de l'enfant menacé de mort
(par l'idée d'avortement) alors que la mère n'est
menacée que de désagrément plus ou moins
important voire plus ou moins imaginaire. Donc, cette loi règle
la question de priorité et impose de sauver la vie de l'être
le plus menacé, c'est-à-dire celui menacé
de mort, c'est-à-dire de l'enfant, c'est-à-dire
qu'elle s'oppose au meurtre de l'enfant.
Une
récente confusion a été faite entre les notions
de légitime défense et de danger vital qui constitue
en elle-même un danger vital pour l'enfant.
Dans
les conjonctures "avortogènes", il peut y avoir
pour la mère danger vital, cela est évident, quoique
rare et parfaitement admis par la loi actuelle et nous l'admettons,
mais il n'y a jamais légitime défense au sens juridique
du terme. La légitime défense suppose : 1) l'existence
d'un agresseur volontaire ; 2) que cette agression volontaire
est injuste ; 3) et admet que la riposte doit être
proportionnelle à l'attaque.
Or,
si l'enfant peut être un danger et même un danger
vital, il n'est jamais un agresseur volontaire et conscient. Ceci
n'existe pas.
Donc
cette notion ne peut pas s'appliquer à cette conjoncture.
De
plus, vous n'avez pas le droit de tuer au nom de la légitime
défense sous prétexte que quelqu'un vous a fait
volontairement un préjudice mineur.
Et
vous n'avez pas le droit de tuer au nom de la légitime
défense sous prétexte que quelqu'un vous a fait
involontairement un préjudice mineur .
Donc,
l'enfant dans le sein de sa mère n'étant pas et
ne pouvant pas être un agresseur volontaire (donc conscient)
le concept même de légitime défense ne peut
pas s'appliquer ici. Et s'appliquerait-il, il ne vous autoriserait
pas à tuer pour un préjudice mineur. La riposte
doit être proportionnelle à l'attaque.
Seule
la notion de danger vital peut être retenue. Et seule aussi
peut être retenue la notion du droit à se défendre
contre un danger vital, notion distincte de la légitime
défense juridique normale.
Mais
alors interviennent les concepts de la loi d'assistance à
personne en danger.
Et
nous revenons aux problèmes étudiés plus
haut.
(1)
Notion introduite dans le droit récemment en 1945, puis
en 1954.
(2)
Même s'il en était ainsi la loi catholique s'opposerait
à ce moyen et la loi d'assistance à personne en
danger aussi.
La loi catholique refuse ce moyen même s'il n'y en a pas
d'autre pour sauver la mère. La loi d'assistance à
personne en danger aussi, car elle demande de s'opposer au danger
vital couru alors par l'enfant, et impose de lui porter secours,
mais elle impose de porter aussi secours à la mère,
par tous AUTRES moyens.
E.C.
Tremblay
Secrétaire général
© Laissez-les-Vivre
SOS Futures Mères, juillet 1974
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