On
sait qu'en 1973 auront été enregistrés pour
l'Angleterre et le Pays de Galles réunis, 173 000 avortements
dits légaux, compte non tenu des avortements' " de
derrière la rue ", ou avortements clandestins, qui
subsistent, chiffre considérable qui sera néanmoins
très largement dépassé en 1974 et en 1975.
De
ce côté-ci de la Manche, à la suit. de la
décision prise par M. Giscard d'Estaing, M. Lecanuet et
Mme Veil d'imposer une loi d'avortement dont le pays ne veut pas,
il semble utile de dénoncer vigoureusement, comme l'a fait
avec une autorité singulière, M. Goodhart, dans
Population Studies revue de démographie anglaise
éditée par la très sérieuse "London
school of economics", cette grossière contre-vérité
selon laquelle le vote d'une loi libéralisant l'avortement
permet de supprimer l'avortement clandestin et les dangers qu'il
implique pour les femmes dénaturées qui s'y livrent.
Ce
thème majeur de la propagande des avorteurs britanniques
a cependant été immédiatement repris par
l'Association anglaise pour la Réforme de la loi sur l'Avortement
créée pour les besoins de la cause, et l'on s'est
employé à persuader l'opinion publique qu'à
cette époque, dans les années 1960, il se pratiquait
annuellement de 60 à 100 000 et même 250 000
avortements "interventions" clandestines et hasardeuses
qui devaient laisser place à des "opérations"
devenues chirurgicales, effectuées dans le cadre rassurant
et contrôlé du Service national de Santé,
afin de lutter contre les trafics inavouables et de protéger
la santé de la femme.
Dès
cette époque cependant, Goodhart avait démontré
que le nombre d'avortements criminels en Angleterre et au Pays
de Galles, ne pouvait excéder en réalité
15 000, et qu'il était en tout cas inférieur
à 20 000.
Malgré
quoi, l'Abortion Act fut voté sans opposition à
la demande de M. Jenkins, alors ministre travailliste de la Justice,
et les avorteurs se mirent aussitôt à leur basse
besogne, avec les résultats que l'on sait.
La
controverse sur le nombre des avortements clandestins avant le
vote de la loi anglaise de 1967 vient cependant de reprendre,
à la suite de l'étude retentissante de l'éminent
économiste anglais, à laquelle aucune réfutation
sérieuse n'a pu être opposée : l'une au moins
des deux conclusions qui étaient proposées sur le
nombre des avortements clandestins en Grande-Bretagne à
la veille du vote de l'Abortion Act, et l'on devine qu'il ne s'agit
pas de la sienne, était basée "sur des suppositions
fondamentalement fausses".
Se
fondant en effet successivement sur la mortalité maternelle
des années ayant précédé immédiatement
la promulgation de la loi, sur les statistiques des malades hospitalisés,
et sur les données d'Aberdeen, cette ville d'Écosse
où l'avortement était très largement pratiqué
avant l'année tragique de 1967, Goodhart affirme « qu'il
continue de penser que la réalité soutient fortement
sa première conclusion que le nombre exact (d'avortements)
n'avait pu dépasser 20 000 et qu'il était
probablement plus prés de 15 000 avortements clandestins
par an en Grande-Bretagne avant 1967 ».
II
ajoute très pertinemment que cette évidence « doit
permettre une sérieuse prédiction de temps et de
lieu du plafonnement de cette pratique (l'avortement) »,
et donc que « s'il n'y a eu en effet que 15 000
avortements clan
destins par an avant 1967 et un nombre identique d'avortements
provoqués légalement (dits thérapeutiques),
cela signifierait que le total des avortements provoqués
aurait triplé pendant les trois premières années
de la loi ».
Goodhart
en conclut qu'il n'y a aucune raison de penser que ces premiers
chiffres « se stabiliseront à ce niveau ou
à un autre », et que des taux semblables
à ceux de la Tchécoslovaquie ou de la Hongrie donneraient,
respectivement et chaque année pour la Grande-Bretagne,
250 000 à un million d'avortements !
L'étude,
très dense, se termine par cette affirmation dont la fermeté
retient l'attention :
« (...) la différence entre mon estimation
de 10 000-20 000 et d'autres 5 ou 10 fois plus fortes qui ont
la faveur du Docteur J. et de la plupart des autres commentateurs,
est bien trop grande pour s'expliquer par des divergences mineures
dans la réalité et son interprétation. Les
deux conclusions sont vraiment tout à fait irréconciliables,
et une au moins doit être basée sur des suppositions
fondamentalement fausses. Le but du présent article est
de démontrer que ce sont les estimations de 60 000 avortements
clandestins et plus par an en Grande-Bretagne avant la loi sur
l'avortement de 1967, qui doivent être rejetées. »
Que
devrions-nous dire, en France, nous qui avons encore en mémoire
les chiffres aussi formidables que suspects qu'on aurait voulu
nous imposer : ce n'était plus 100 000, mais 250 000, 500
000, et même plus d'un million d'avortements provoqués
par an, en France, et des milliers de femmes qu'il fallait, de
ce fait, conduire au cimetière.
Observons
ici qu'en Grande-Bretagne, avant 1968, le nombre de décès
de femmes des suites d'avortements criminels était en moyenne
d'une trentaine par an (Goodhart, op. cil., page 3), chiffre à
rapprocher des conclusions tout à fait comparables de l'étude
faite par le docteur Tremblay pour l'année 1967.
En
réalité, pour notre population un peu moins nombreuse
que celle de la Grande-Bretagne, le chiffre d'avortements provoqués
était, avant le vote de la loi GiscardVeil très
probablement comparable ou même inférieur
à celui qu'a dégagé Goodhart, pour la Grande-Bretagne,
à la veille de l'Abortion Act de 1967.
Mais
semblable aussi pourrait bien être l'évolution tragique
des statistiques de l'assassinat pré-natal dans notre pays;
aux avortements criminels qui demeurent, et auxquels il faudra
bien un jour qu'un ministre de la Justice, digne de ce nom, consente
à s'intéresser, s'ajoute pour nous aussi la massacre
de centaines et de centaines de milliers d'autres enfants également
innocents.
L'honneur
et la survie de notre pays sont à ce prix. Puisse l'avertissement
que nous donne Goodhart être pleinement entendu.
François Delibes
Avocat à la Cour d'appel de Paris, Secrétaire général
© Laissez-les-Vivre
– SOS Futures Mères, juillet 1975.
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