François
Volff, Généraliste, Louvres
Anne C. Speckhard (1992) et Vincent M. Rue (1992
et 1986) ont décrit sous le terme "Syndrome Post Avortement"
("PAS") une variante du syndrome post traumatique ("PTSD")
(1)
A ce titre, le syndrome post avortement entre dans le domaine
des inhibitions fonctionnelles partielles, soit spécifiquement
: lien significatif entre l'objet de l'inhibition et les circonstances
du traumatisme (troubles sexuels, par exemple), soit non-spécifiquement
: neurasthénie post traumatique, difficultés de
concentration ou d'attention, éléments phobiques
diffus.
Le diagnostic se fera d'autant plus facilement qu'il sera recherché.
Les auteurs cités rappellent que
ces femmes ont peur de faire part de leur expérience à
quiconque et/ou de paraître " déviantes "
et, a contrario, que leur malaise soit un signe d'inadaptation
à une procédure relativement simple et généralisée.
Ils notent que le chiffre des femmes américaines déclarant
avoir avorté est moitié moindre que celui attendu
au vu des statistiques d'avortement.
Les études de cas publiées dans la littérature
médicale ou psychologique sont indispensables pour une
bonne orientation du diagnostic, mais il faut quelques critères.
Les auteurs en dégagent quatre :
1)
Exposition ou participation à une expérience abortive,
c'est à dire percue comme la destruction d'un enfant non
encore né, traumatisante et loin des choses ordinaires
de la vie.
2) Ré-expérimentation négative et incontrôlée
de l'avortement : retours arrière (flash backs), cauchemars,
chagrin et réactions anniversaires.
3) Tentatives infructueuses de chasser ou de nier les souvenirs
de l'avortement et la douleur émotionnelle, avec comme
résultat une diminution de la sensibilité aux autres
et à son environnement.
4) Apparition de symptômes associés, qui n'étaient
pas présents avant l'avortement,
en particulier la culpabilité du survivant.
Quelle
est la fréquence du SPA ? Les auteurs datent de 1990 la
première étude randomisée et standardisée.
C.A. Barnard avait pris au hasard 984 clientes d'une clinique
d'avortement du Maryland, dont 60 % donnèrent un faux
numéro de téléphone. Elle put finalement
soumettre 80 femmes à un questionnaire suivi qui comportait
48 items.19% avaient tous les critères de syndrome post
traumatique (PTSD) dans les trois à cinq années
suivant l'avortement. Portant cette fois sur 442 femmes,
mais seulement sur deux ans, une autre étude statistique
comparable a été faite, mais avec seulement 1 %
de réponse aux critères des auteurs (Major et Cozzarelli,
citée plus loin) .On peut penser que ces méthodes
employées d'évaluation par questionnaires laissent
beaucoup de place à la subjectivité et pèchent
précisément par leur standardisme. Un marqueur direct
et tout à fait concret de la dépression post abortive,
et donc un marqueur indirect du syndrome post-avortement, est
l'étude du taux de suicides liés à la grossesse,
suivant qu'elle est menée à terme, avortée
spontanément ou supprimée.
Gissler,
Hemminki et Lonnqvist (2) ont recensé
, pour les années 1987 à 1994, 73 suicides
liés à la grossesse en comparant les déclarations
de suicide et les registres Finlandais des naissances, des avortements
spontanés et des provoqués . Le taux de suicide
étant de 11,3 pour 100 000, il n'est que de 5,9 quand il
est associé à la naissance, 18,1 associé
à l'avortement spontané, 34,7 à l'avortement
provoqué. Ceci dans l'année qui suit la fin de la
grossesse, quel qu'en soit le mode.
Une
étude similaire à été menée
sur les tentatives de suicide au Pays de Galles sur une population
de 408 000 habitants de 1991 à 1995 par Christopher Morgan
et coll. (3) Le risque, par rapport
aux femmes non-gestes, est de 2,17 pour les fausses couches, 1,92
pour les avortements provoqués et 0,94 pour les accouchements.
Par rapport aux parturientes, le risque est de 2,84 avant la fausse-couche
et 2,29 après, tandis qu'il est de 1,72 avant l'avortement
provoqué et 3,25 après.
Les
études statistiques directes portent bien entendu sur des
cohortes bien plus petites, puisqu'il s'agit
de suivre des femmes avant et après l'avortement. De plus,
elles ne portent pas sur le seul syndrome post-abortif.
Major,
Cozzarelli et coll. (4) ont étudié
un échantillon de 882 femmes ayant avorté à
Buffalo d'une grossesse non désirée, non issue d'un
viol. Elles ont été évaluées par questionnaire
une à deux heures avant l'avortement (T1), une heure après
(T2), un mois après (T3) et deux ans après (T4).
Elles étaient payées 20 $ pour leur participation
à 1 mois et 50 $ pour leur participation à deux
ans.
Néanmoins, seulement 442 ont participé aux quatre
questionnaires.
A un mois, 78,7 % (sur 418) affirmaient avoir fait le bon
choix et en être satisfaites contre 10,8 %
qui affirmaient avoir prise la mauvaise décision et en
être navrées (dissatisfied). 10,5 % ne savaient
pas.
A deux ans, on avait 72 %, 16,3 % et 11,7 %. Pour
ce qui est de la détermination à avorter de nouveau,
elle était certaine ou probable à 69 % (sur
441). Elles étaient 19 % de l'opinion contraire, et
12 % ne savaient pas.( On rapprochera ces données
de l'étude de Hanna Söderberg et coll. (5)
: Sur 854
femmes interrogées un an après l'avortement, 76,1 %
disent qu'elles ne l'envisageraient plus jamais si elles étaient
de nouveau enceintes.)
Pour
rechercher le syndrome post-avortement, Major, Cozzarelli et coll.
ont eu recours à un questionnaire d'évaluation du
syndrome post-traumatique chez les vétérans de la
guerre du Viêt-Nam, adapté à l'avortement
: ré-expérimentation de l'avortement par rêves
ou fantasmes récurrents (flash backs), persistance d'évitement
de stimuli évocateurs (évitement de sentiments ou
de pensées en rapport avec l'avortement), symptômes
d'excitation ( difficultés à s'endormir), émoussement
affectif qui n'existait pas avant l'avortement. Six cas ont été
trouvés (sur 442), soit 1%. Ce qui fait tout de même
2500 cas par an pour la France, si l'on s'en tient aux estimations
officielles des avortements. Mais on peut estimer que la réponse
à quatre questions standard ne correspond pas à
un véritable diagnostic. La notion d'impulsions agressives,
qui font partie du syndrome de répétition et qui
sont symboliques de la violence de l'avortement voire le réitèrent
vainement, est absente du questionnaire. On a pourtant établi
une relation entre l'avortement et les violences à enfants.
La rumination semble également ignorée.
Mimoun (6) signale justement que "
c'est par la plainte sexuelle qu'une des suites de l'IVG est facilement
repérable ". Il cite trois études établissant
le fréquence de ce trouble à environ 30%. Dans une
étude genevoise qu'il cite aussi, (Pasini et Robert, 1974)
, comparant 50 femmes ayant subi deux ou plus avortements provoqués,
à 50 ayant accouché, vingt femmes avortées
sur cinquante souffrent de frigidité. Si la plainte sexuelle
ne constitue pas le syndrome post-avortement, elle en est un signe.
Sa fréquence laisse à penser que les 1% sont largement
dépassés.
Des
symptômes non-spécifiques ont été rapportés
à l'avortement : manifestations anxieuses, conduites hystériques,
dépressions réactionnelles, états hypochondriaques.
Dans le rapport de la Commission d'Enquête sur le fonctionnement
et les conséquences de la loi sur l'avortement (Royaume-Uni,
Juin 1994) (7), le Dr McAll témoigne
de sa propre expérience dans son service de soins psychiatriques.
Beaucoup de ses patientes qui ont eu un avortement souffrent de
désordres physiques et psychiques sans relation apparente
: arthrite, problèmes gastro-intestinaux, alcoolisme, anorexie
mentale, boulimie. Il ont peu de valeur diagnostique. Mais il
faut savoir en reconnaître l'origine pour éviter
les traitements fonctionnels itératifs, car 74 % se
résolvent lorsqu'on vise à guérir le traumatisme
lié à l'avortement.
Il
est intéressant de comparer les résultat de l'étude
de Hanna Söderberg et coll (5) sur
1 285 femmes
ayant avorté à Malmö, Suède, en 1989,
854 acceptèrent d'être interrogées un an aprés,
354 (42 %) ne manifestèrent pas de conséquences
psychologiques, 467 (55 %) avaient ressenti du remords ou
de la détresse de façon plus ou moins longue, 131
(16,1 %) avaient encore de légers problèmes
émotionnels , 33 (3,9 %) une dépression plus
profonde , 20 (2,3 %) de longue durée. Ces auteurs
n'ont pas recherché le syndrome post-avortement, car ils
voulaient avant tout examiner les émotions des femmes,
leurs évaluations et leur santé mentale après
l'avortement, pour qu'il « soit possible de réduire
la sévérité et la durée de la détresse
post-abortive ».
Leurs entretiens, faits dans de très bonnes conditions,
ont eu lieu un an après. On sait qu'une part non-négligeable
des femmes ayant subi un avortement le regrettent immédiatement
(10 % suivant Lise Moor) (8) On sait
aussi (4)(9)(10) que les différents
tests objectivent une amélioration dans la majorité
des cas, de suite après et , à un moindre degré,
un mois après. Le premier groupe mériterait d'être
considéré comme à risque de syndrome post-avortement.
Mais l'absence de détresse immédiate ou
précoce n'élude pas un SPA plusieurs années
après. Speckard et Rue citent l'étude de Vaughan
où le temps moyen d'apparition était de cet ordre.
La Commission britannique d'enquête citée plus haut
rapporte des recours aux centre d'écoute post-avortement
jusque sept années aprés, le record étant
de 35 ans.
Tout de même, dans une étude de cas non sélectionnés
(11), trois, à une dizaine de jours
et un, à six semaines après l'avortement, N. C.
note que le sentiment de traumatisme et la culpabilité
sont déjà présents, et présents les
mécanismes de défense : investissement plus marqué
dans les activités, rationalisation, déplacement
d'objet, régression, clivage. La négation peut porter
sur la nature du foetus (« on se dit qu'il a pas
de bras, pas de cur », dit Mme C) ou sur
la culpabilité (« j'aurais
culpabilisé si j'avais gardé la gamin »,
Mme A), elle peut aller jusqu'au déni (« c'est
comme s'il y avait eu un blanc, j'ai zappé »,
Mme B).
Dans le cas D, on note l'obsession d'avoir « tué
un bébé , alors après, tout fait que, la
TV, les femmes avec les bébés, j'en voyais partout ».
« Si ça se trouve,c'était la fille ».
Les germes du syndrome post avortement peuvent être donc
très tôt présents. Vont-ils s'estomper ou
se développer ? Il serait nécessaire de revoir ces
femmes six mois après, puis ultérieurement s'il
y a lieu.
Le
traitement est celui des syndromes post-traumatiques et repose
sur les thérapies d'exposition, la gestion du stress, l'approche
cognitive et, de façon annexe, la chimiothérapie.
(12)
Dans le gestion de stress, on aide le patient à reconnaître
ses difficultés actuelles, puis à acquérir
des techniques : relaxation, résolution des problèmes,
entraînement à la communication. On passe ensuite
aux applications en thérapie et entre les séances.
Ceci permet de lutter contre l'isolement.
L'approche cognitive invite la patiente à jeter un regard
neuf sur son histoire, à en juger d'après d'autres
critères, un autre style de pensée, à modifier
son traitement de l'information.
Les thérapies d'exposition réduisent l'anxiété
et les conduites d'évitement. Il ne faut pas les interrompre
avant la diminution de la réaction d'alerte. Elles sont
progressives. Il s'agit d'informations sur l'avortement (verbales,
puis à l'aide de photos, puis de vidéocassettes)
et, éventuellement, de confrontation avec lui.
La thérapie de groupe est séduisante, mais souffre
de limitations :
Pas de maladie psychiatrique ou physique.
Situation stable.
Etre soutenue par une personne mûre.
Ponctualité ( Une séance par semaine pendant vingt
six semaines).
Supporter un niveau de stress élevé.
Etre sincère (curieuses s'abstenir)
Etre pas plus de sept.
Les séances nécessitent un (une) thérapeute,
un (une) stagiaire, un médiateur (une médiatrice).
Elles durent deux heures, dans un local confortable, avec boissons.
Elles permettent à la femme de s'identifier aux autres,
de comprendre ce qui se passe en elle, de valider ce qu'elle a
ressenti, d'avoir un sentiment de cohésion au groupe qui
met fin à son isolement.
Mentionnons enfin les jeux de rôle : par deux, on s'entraîne
à avoir un nouveau comportement, on peut aussi jouer le
conflit intérieur, une faisant ce qu'elle aurait voulu
avoir fait, l'autre jouant la nécessité.
L'efficacité de la chimiothérapie des syndromes
post traumatiques n'apparaît pas à quatre semaines
, mais à huit. Elle utilise les antidépresseurs.
Si elles diminuent l'anxiété générale,
les benzodiazépines n'ont aucune efficacité sur
les symptômes spécifiques. (12)
Pour le prévention, sachant que l'estime de soi, la sûreté
de soi, l'optimisme, la maîtrise de soi et le bas niveau
de dépression sont de bons indicateurs d'une bonne récupération
(10), on se gardera de toute attitude, même
muette, de jugement, et c'est loin d'être facile, quand
on voit les problèmes accumulés par les avortantes
et les victimes de l'avortement. D'autant qu'il faudra garder
fermeté et clarté, car une attitude ambiguë
risque de laisser l'avortement à la charge de la femme.
Néanmoins, seule une offre chaleureuse et optimiste d'aide
désintéressée peut être utile. Cette
attitude est de mise autant en prévention de l'avortement
qu'en prévention du SPA.
Résumé : Les syndromes traumatiques sont facilement
repérés en victimologie : accidents de trajet (agression
dans les transports en commun), harcèlement, violences
conjugales. Leur domaine est beaucoup plus étendu. Il est
important de les déceler derrière une souffrance
chronique à tonalité dépressive. Nous avons
voulu étudier particulièrement le syndrome post
avortement, comme difficile à isoler, parce que le traumatisme
est profondément enfoui. Sa fréquence peut être
estimée entre 2 500 et 50 000 nouveaux cas par an en France.
Nous avons voulu esquisser sa prévention dans l'immédiat
post-abortum, car, malgré le soulagement unanimement documenté,
des entretiens de longue durée ont permis d'en dégager
les prodromes.
Bibliographie
:
1)
Speckhard A., Rue V. Post Abortion Syndrome : An Emerging Public
Health Concern. Journal of
Social Issues, Vol 48, n°3, 1992, pp 95-119.
2) Mika Gissler, Elina Hemminki, Jouko Lonnqvist, Suicides after
pregnancy in Finland, 1987-94 :register linkage study. British
Medical Journal , 1996 ;313 ;1431-1434.
3) Christopher Morgan, Marc Evans, John R Peters, Craig Currie,
Lettre sur ce sujet :Mental health may deteriorate as a direct
effect of induced abortion.B.M.J ,1997 ;314 :902.
4) Brenda Major, Catherine Cozzarelli, Lynne Cooper, Joséphine
Zubek, Caroline Richards, Michael Wilhite, Richard Gramzow.Psychological
Responses of Women After First-trimester Abortion.Arch Gen Psychiatry/vol
57 , Aug 2000 :777-786.
5) Hanna Söderberg, Lars Janzon, Nils-Otto Sjöberg.
Emotionnal distress following induced abortion . A study of its
incidence and determinants among abortees in Malmö, Sweden.European
Journal of obstetrics & Gynecology and Reproductive Biology
79 (1998) 173-178..
6) Mimoun S.-L'interruption volontaire de grossesse, quel choc,
quelles suites.Contracept. Fertil.Sex.,1991,Vol 19, n° 2.
7) Les conséquences physiques et psychosociales de l'avortement
sur les femmes. Un rapport de la Commission d'enquête sur
le fonctionnement et les conséquences de la Loi sur l'Avortement,
Royaume-Uni, Juin 1994, traduit par François Pascal, TransVie,n°
80.
8) J-M Dubroca. Interruptions volontaires de grossesse, aspects
psychologiques, Hôpital de Bécheville, Les Mureaux.
Médecine Pratique, n° 89, 17/04/89.
9) Linda Pope, Nancy Adler, Jeanne Tschann.Post-abortion psychological
Adjustement : are Minors at increaded risk ? Journal of Adolescent
Health 2001 ;29 :2-11.
10) Catherine Cozzarelli. Personality and Self-Efficacy as Predictors
of coping With Abortion. Journal of Personality and Social Psychology,
1993, vol 65, n° 6, 1224-1236.
11) N.C. Femmes et avortement. Vécu psychologique post-IVG.
Université de Bordeaux II, Maîtrise de Psychologie
du développement, Mai 2000.
12) Bernard Cordier, Marc Sylvestre, Jacques Leyrie- Pathologies
psychiatriques post traumatiques. EMC Psychiatrie 37-329-A 10
|